“Rien ne va plus, les jeux sont faits”, au casino de Pilat-Plage
Cette injonction, lancée par les croupiers à la table du jeu de la roulette, n’a point résonné sous les lambris du Casino dit de Pilat-Plage. Et pour cause. Ce dernier, n’ayant jamais été achevé, n’a jamais été inauguré, ni utilisé pour sa destination initiale.
RAPPEL HISTORIQUE
C’est sans contestation possible le mérite de Daniel Meller d’être à l’origine de la création du site de Pyla-sur-Mer, qui fait partie intégrante de la commune de La Teste-de-Buch.
Une Société Immobilière est créée en 1920 et, d’après M. Jacques Ragot1, le plan du lotissement et son cahier des charges ne furent présentés au Conseil municipal de La Teste que le 21 novembre 1924. Ce dernier n’aurait donné son avis qu’après le 21 juin 1925. Or, nous avons retrouvé sur une carte postale datée de 1923 un panneau publicitaire (document n° 1) annonçant l’implantation de la Société anonyme du Pyla-sur-Mer ; le prix minimum du m² est proposé à 4 F., avec trois adresses pour la vente, ainsi que le nom de l’architecte associé à cette Société, J. Arnaudin2.
On peut rappeler que ces terrains, de la limite du Moulleau vers la grande dune du Pilat (ou de Sabloney) étaient possession de l’Etat qui ne vendait plus mais pouvait échanger… Ce qui fut fait ; M. Meller, ayant acquis des terrains sur le bord du lac de Cazaux, échangea ceux-ci pour une surface moindre mais en bordure du Bassin. C’était une bonne transaction dans une vision à long terme3.
Quelques années plus tard, M. Meller trouva en la personne de M. Louis Gaume4 un digne continuateur pour créer le lotissement de Pilat-Plage ; et c’est au sein du schéma de ce projet immobilier que figure le Casino qui aurait dû voir le jour avant la Seconde Guerre mondiale.
Pour faciliter la pénétration sur le territoire de la nouvelle station de Pyla-sur-Mer, dont l’entrée était signalée par un portique en bois, il faudra attendre 1926 pour voir s’ouvrir une route sortant du Moulleau, le Conseil municipal testerin ayant pris à sa charge l’intégralité de la dépense5.
Quant à l’ouverture depuis La Teste qui ne pouvait se faire jadis qu’à travers des chemins de sable jusqu’à la côte et vers les dunes, elle n’est réalisée qu’en 1931 avec une nouvelle route (photo de couverture) pour la construction de laquelle la municipalité testerine avança la somme nécessaire.
C’est dans ce cadre que la Société Immobilière de Pilat-Plage projette la création d’un Casino. Plusieurs écrits en portent témoignage. Ainsi un texte présenté dans le Guide touristique et historique du Bassin d’Arcachon6 rappelle : “ Administrateur délégué de la Société Immobilière, M. Louis Gaume a fait, tel un magicien, surgir des dunes incultes, au sol favorable à la seule poussée des grands pins, des villas et des villas, toutes du plus séduisant confort entre lesquelles un choix raisonné paraîtrait difficile.
Et depuis six ans l’extension de Pilat-Plage va progressant. La grande route côtoyant l’Océan7 et qui bientôt, on doit l’espérer, se muera en “ boulevard maritime ”, chaque jour s’allonge et instantanément se pare de chalets posés dans la verdure et les fleurs.
Pour démontrer la foi que les administrateurs de Pilat-Plage ont en l’avenir de la jeune station, notons qu’après l’avoir dotée d’hôtels du tout dernier modernisme, de garages, etc…, ils ont, en bordure de l’Océan, au pied de la grande dune du Pilat, entrepris la construction d’un grand Casino Palace dont l’architecte Siclis, auteur du Théâtre Pigalle8 a dressé les plans et surveille l’exécution. ”
Ce témoignage sur l’existence du Casino de Pilat-Plage s’accompagne d’une carte (voir page précédente) sur laquelle nous voyons, schématisées, les différentes liaisons françaises, européennes et même algérienne qui permettent de rallier le Pilat, qualifié de “ station d’avenir ”, pourvue d’hôtels de tous ordres et d’un Casino (cette dernière information était certes un peu prématurée).
Trois autres documents rappellent la construction de ce Casino. Nous le découvrons d’abord sur une carte établie en 1948 d’après André Rebsomen (carte ci-contre), situé entre l’hôtel Haïtza et celui de la Corniche, le long de l’avenue de la Corniche9.
C’est Durègne de Launaguet qui, dans une monographie consacrée à Arcachon10, nous propose ensuite le deuxième texte. Analysant la position d’Arcachon dans le contexte des distractions offertes aux touristes, il poursuit ainsi : “ Il a de puissants rivaux au point de vue de ce qu’on a coutume d’appeler les “ attractions ”, ayant deux casinos ; on en construit un troisième à Pilat-Plage, mais on ne peut y voir les représentations et encore moins les “ parties ” de Biarritz ou de Vichy. En revanche il est un centre incomparable de sport nautique ”.
Enfin, un dernier témoignage nous est proposé par un Guide bleu illustré consacré à Arcachon11. Après un bel hommage à “ un site qui est sans doute le plus beau de la côte des Landes ”, il y est écrit : “ La grande route côtière se termine actuellement, à 9 km d’Arcachon, par un lacet s’élevant au flanc même de la dune du Pilat. C’est à cet endroit que doit être construit un grand hôtel de luxe12. Le Casino, œuvre des architectes Siclis et Robin, s’élèvera en bordure de la plage ”.
Remarquons, à la lecture de ces deux derniers textes, qu’aucune allusion ne souligne que Pilat-Plage fait partie intégrante de la commune de La Teste-de-Buch ; on pourrait même supposer que ce n’est que le prolongement d’Arcachon !
SOUVENIRS PERSONNELS
La “ découverte ” de ce Casino inachevé a été possible, pour notre génération, lorsque les Allemands ont quitté cette partie de la côte, confisquée pendant plus de quatre ans. En effet, ce littoral était devenu un lieu stratégique pour les occupants qui avaient investi les plus belles villas, les meilleurs hôtels13 et fait construire un grand nombre de blockhaus sur les pentes de la Dune et ailleurs dans Pyla-sur-Mer. Il était don
c impossible aux autochtones, et encore plus aux autres, d’accéder à cette partie de Pilat-Plage, et ce depuis le carrefour dit du “ Cabaret des Pins ” dont les abords étaient minés14.
Nous avons retrouvé les plaisirs de la baignade sur la côte de Pyla-sur-Mer d’abord, puis de Pilat-Plage ensuite, les agréments du pique-nique dominical sur les flancs de cette côte que bordait l’avenue de la Corniche et où nous “ atterrissions ” après une échappée depuis La Teste, à bicyclette ou, quelques années plus tard, à l’aide d’un car. Et c’est ainsi que nous avons “ découvert ” – le mot n’est pas trop fort – ce bâtiment abandonné qui aurait dû devenir un Casino, dominant un site exceptionnel, longé par la “ nouvelle route de la grande Dune ”15.
Quelques décennies plus tard, nous avons photographié à quatre reprises – en 1969, 1970, 1971 et 1972 – ces vestiges qui bordaient dangereusement un terrain en pente, donnant sur des perrés souvent détruits par la tempête, en 1971 notamment.
Les souvenirs que nous avons de l’état de cette bâtisse nous conduisent à penser que l’extérieur était pratiquement achevé ; seuls les aménagements intérieurs, les fermetures, les sols et la toiture principale étaient en attente de finition. La silhouette du bâtiment principal se présentait selon un quadrilatère à deux niveaux, avec une terrasse partielle à l’étage. Une belle rotonde, en avancée de façade, coupait la monotonie de cette dernière.
Une immense baie occupait la presque totalité de la façade, éclairant l’immense pièce principale du rez-de-chaussée, d’où une vue splendide était offerte aux curieux qui osaient s’aventurer dans ces lieux assez inhospitaliers ; la rotonde latérale offrait elle aussi le même spectacle.
À l’arrière et sur le côté gauche, une tour ronde était érigée ; peut-être aurait-elle servi d’escalier pour accéder à l’étage qui semblait se dessiner sur les photos. Le toit en terrasse de ce bâtiment semblait a priori sa principale particularité, surtout par rapport à l’architecture des hôtels voisins, mais peut-être la construction inachevée était-elle en attente d’une charpente ? En effet, on distingue sur la photo de la page précédente, à travers les ouvertures supérieures, une certaine clarté qui laisserait supposer un vide au niveau de la toiture. Cependant, au premier abord, le type de construction du Casino rappelait celui instauré par Le Corbusier en Gironde, notamment à Pessac et Lège où il construisit quelques pavillons pour le compte de l’industriel bordelais Frugès, selon une architecture dite “brutaliste” – sous-entendu brute de décoffrage ; la similitude se retrouve en effet dans la rectitude des façades, la surface des ouvertures et l’aspect initial d’une toiture en terrasse.
Une chose est certaine : si le Casino avait été achevé, occupant alors une position géographique exceptionnelle, il aurait drainé vers lui une foule de noctambules qui auraient pu bénéficier d’un point de vue imprenable sur le Bassin. Sans doute cela aurait-il compromis la tranquillité des riverains qui se sont opposés, il y a une dizaine d’années, et ont fait annuler la construction d’un ensemble de thalassothérapie sur un terrain voisin de celui du Casino inachevé.
ABANDON ET DISPARITION DU CASINO
Plusieurs raisons se cumulent pour expliquer l’abandon du projet, pourtant bien avancé, du Casino de Pilat-Plage.
Tout d’abord, il semble en effet que les promoteurs du Casino, dont la construction avait débuté en 1933, rencontrèrent une difficulté majeure : il n’obtinrent pas l’autorisation de l’État pour les jeux. A l’époque, en vertu de la législation en vigueur datant de 1907, l’ouverture d’un casino était liée à trois conditions : la ville devait être classée station balnéaire, climatique ou thermale ; qui plus est, il y avait la proximité des deux casinos d’Arcachon !
Ensuite, il convient de ne pas négliger que dès le début des années 30 la crise économique touche de plein fouet le pays, entraînant, dans une France secouée par les scandales politico-financiers, un climat social fortement dégradé et la multiplication des conflits sociaux. La période qui va de 1930 à 1939 est qualifiée de grande dépression par Jacques Bernard et justifie d’après lui un ralentissement très net dans les constructions arcachonnaises, freinant l’expansion immobilière d’autant16.
Quant à la disparition des “vestiges” du Casino, elle doit être datée de 1974 lorsque leur démolition fut entreprise ; ils devaient laisser place nette pour la construction de la villa de Bi, qui fut réalisée en 1977.
Si cet article pouvait réveiller certains souvenirs, nous serions ravis d’en faire profiter les fidèles lecteurs du bulletin.
Michel JACQUES
Tous nos remerciements vont à M. Jean Gaume qui a bien voulu exercer son œil critique sur cette étude.
NOTES
1. J. Ragot, Pages d’histoire locale, p. 169.
2. Sur Arnaudin, voir G. Brissonneau-Steck, dans Bulletin de la Société Historique et Archéologique d’Arcachon (= B.S.H.A.A.) n° 96.
3. J. Ragot, ouvrage cité, p. 169 : “ M. Meller, principal responsable de la Société Immobilière échangea près de 463 ha de terrain à l’intérieur du massif dunaire contre 163 ha appartenant à l’Etat en bordure de mer. Le 20 avril 1915, cette cession était officialisée par un acte administratif ”.
4. Venu d’Auvergne (cf. Le Pilat, la Grande Dune et le Pays de Buch, p. 146).
5. J. Ragot, ouvrage cité, p. 170.
6. Édition 1933-1934, J.-J. A. Gilabert. La Revue Historique du Pays de Buch n° 20 (avril 1933), p. 24, signale l’existence de la Société Immobilière de Pilat-Plage (S.I.P.P.)
7. Cette voie est sans doute le boulevard de l’Océan actuel qui, en 1933-1934, ne conduit pas au delà du pied de la dune. Malgré le rêve de Maurice Martin, qui pensait réaliser une liaison Arcachon-Biarritz par les lacs et la frange côtière, il faudra attendre plus de dix ans après la guerre pour voir s’ouvrir un embryon de route qui partant du pied de la dune rejoindra Biscarrosse, en empruntant une route ébauchée par les Allemands, réalisée en plaques de ciment (cf. B.S.A.A. n° 76, p. 27 à 29). Cependant, le Conseil municipal d’Arcachon avait lancé le 21 décembre 1935 l’idée d’une route d’Arcachon à Biarritz, via Biscarrosse.
8. C’est au n° 12 de la rue Pigalle, sur l’emplacement de l’hôtel du fameux dramaturge Eugène Scribe – le bien nommé -, que le théâtre Pigalle fut construit par le baron H. de Rothschild en 1926-1929 sur les plans de l’architecte Siclis (Guide bleu, Paris, Hachette, p. 194).
9. Actuellement, cette voie est dénommée Avenue Lo
uis Gaume, en hommage au promoteur de ce quartier.
10. Sous le titre général de Villes du Sud-Ouest, éditeur Chabas, Hossegor, Landes (avant 1934 ?), p. 52. L’exemplaire que nous avons acquis est dédicacé à Armand Got.
11. Arcachon et la Côte d’Argent, Hachette, 1933, p. 32. A noter par ailleurs que, bizarrement, le Larousse définit le Pyla-sur-Mer comme une station des Landes, à l’entrée du Bassin d’Arcachon.
12. Peut-être s’agit-il du projet de construction d’un Carlton de 300 chambres lancé dans l’entre-deux-guerres et rappelé par Jean-Denis Renard (Journal Sud-Ouest du 10 août 1995).
13. Pierre Giraud, petit-fils de Louis Gaume nous rappelle que les troupes allemandes avaient réquisitionné l’hôtel Haïtza et son annexe et s’étaient emparés du linge des deux hôtels. Aussitôt après la Libération, les premiers touristes ont dû se munir de draps pour se loger dans ces deux résidences. Quant à Marik Michalet (Sud-Ouest du 31 décembre 1994 – “ L’enseigne Boudon disparaît ”), elle raconte : “ La famille Boudon possédait avant la guerre l’hôtel Oyana à Pilat-Plage. Ce fut l’époque où, non loin de là, l’infanterie de Marine coloniale occupait Haïtza avec Bigeard, avec lequel Marie-Anne Stéphan, fondatrice de la maison, faisait son marché. L’hôtel Oyana connut plus de réquisitions que la visite de touristes et fut mis en vente en 1947 ”.
14. J. Ragot, Arcachon et ses environs pendant l’Occupation, p. 29 : “ Le jour de la Libération, le 22 août 1944, ce cabaret avait été soufflé par une explosion ”. Ensuite, quelques Testerins imprudents, en voulant récupérer des pignes à travers les barbelés encore en place, ont déclenché des pièges explosifs, se mutilant sérieusement.
15. Commentaire d’une carte postale de Tito montrant le tournant de la Corniche en 1934.
16. J. Bernard, Les villas d’Arcachon et leurs noms, dans Revue Historique de Bordeaux et du département de la Gironde, oct.-déc. 1954, p. 301.
Extrait du Bulletin n° 115 de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch.