130 ans de rails
Notre Société historique a heureusement vu le jour cent trente ans exactement après l’inauguration d’une voie chère à notre région, c’est le chemin de fer de Bordeaux à La Teste. Il semble opportun de retrouver et retracer le début de sa vie.
Deux années à peine s’étaient écoulées depuis que des essais sérieux de « machine locomotive » avaient été faits sur les lignes à l’état d’enfance qui reliaient St-Étienne à Andrézieux et Lyon, comme sur d’autres voies primitivement installées mais en vue de la traction avec chevaux. C’est alors qu’un Bordelais, Isaac Pereire, conçut l’idée de relier Paris à St-Cermain par un chemin de fer construit avec toutes les perfections de l’art nouveau et toutes les améliorations que les expériences anglaises et françaises avaient permis de reconnaître. Cette première ligne française était inaugurée le 25 août 1837. Au même moment, un autre Bordelais, malheureusement moins connu, a l’honneur d’avoir fait les premières études d’un chemin de fer dans le Sud-Ouest français. Louis Godinet, notaire, qui habitait 19, rue Esprit-des-Lois, sollicita l’autorisation de construire une ligne de Bordeaux jusqu’au Bassin d’Arcachon.
Dans un rapport portant la date du 11 juillet 1835, M. de la Costa, préfet de la Gironde, fait connaître le premier document officiel adressé au directeur général des Ponts et Chaussées à Paris, « sur les avantages de construire ce chemin de fer » et qu’il appuie la demande que M. Godinet vient de lui remettre. Il y est principalement fait mention de l’attention attirée sur les richesses des Landes dont les produits n’avaient pas d’écoulement et se perdaient sur place, faute de communications aisées entre les villages, difficiles et impraticables en hiver.
En outre, La Teste était recherchée pour la salubrité de son climat, pour ses bains de mer. Dans ce centre important, ancien siège des captaux de Buch, de hauts personnages étaient venus en visite, tel le maréchal duc de Richelieu, mais surtout les baigneurs, malgré les difficultés sans nombre, venaient passer la belle saison sur la plage, à l’abri des grosses vagues et des dangers de l’Océan.
S’il faut en croire les relations du temps, le voyage Bordeaux à La Teste n’était pas, en 1835, chose aisée : Quitter Bordeaux à 4 heures du soir, n’être que le lendemain matin à destination, dans une voiture ouverte à tous les vents et quelles secousses ! Et encore, cette bonne fortune n’existait qu’en été. En hiver, il fallait se contenter des voitures à poissons. Heureux que les routes étaient améliorées depuis peu ; avant le cheval et les chars à bœufs ne franchissaient la route qu’en trois jours et trois nuits quand les débordements de la Leyre n’interrompaient pas le voyage à Lamothe.
Le voyageur était bien hardi de traverser les marais de Gazinet pour affronter quelques pillards établis, prétendait-on dans un repaire de l’endroit.
C’est en 1832 qu’une allocation de 100 000 francs (or) avait été affectée par le département à la réparation et l’achèvement de la route départementale n° 4, de Bordeaux à La Teste. Aussitôt les hôteliers du pays d’expédier prospectus et brochures pour lancer les établissements de bains sur la plage. Parmi eux, M. Legallais (1825) Mais aussi, à cette époque, M. Jean Hameau, docteur en médecine à La Teste, lançait une brochure très intéressante sur l’efficacité des bains de mer d’Arcachon. Sa publication remplie de sérieuses observations et répandue à profusion ne contribua pas plus à rendre populaire le voyage à La Teste.
Cette même thèse devait être soutenue avec éloquence par deux autres docteurs du pays, M. A. Lalesque fils, médecin des établissements d’Arcachon et du Moïng, à La Teste, et M. Émile L. Pereyra.
D’autre part, l’ouverture entre le Bassin d’Arcachon et le canal de Mimizan d’une voie de grande navigation, devait accroître notablement le mouvement commercial, en portant à La Hume, près de La Teste, les produits résineux des bords des étangs intérieurs qui n’avaient aucun débouché, ainsi que les fers de forge de Pontenx ou Audenge.
Il faut citer aussi que la Chapelle d’Arcachon jouissait d’une certaine renommée, car, élevée en 1488, réédifiée en 1624, presque enfouie sous les sables en 1721, rebâtie en 1722 avec un ermitage en 1727, elle était un lieu fréquent de pèlerinages.
Cela était tout naturel de voir les premiers essais de chemin de fer se diriger vers cette région qui paraissait offrir non seulement de nombreuses ressources en transport de marchandises, mais aussi un mouvement considérable de voyageurs.
Aussi M. Godinet activait son projet en transmettant le 25 juillet 1835 un complément de pièces pour son dossier. S’étant remis à l’oeuvre sur demande du ministère, c’est le 28 décembre que son avant-projet est expédié au directeur général des Ponts et Chaussées « qui reconnut qu’il satisfaisait aux conditions réglées par l’ordonnance royale du 18 février 1834 ».
Le 19 janvier 1836, le préfet le recevait en retour avec prière de le soumettre à l’enquête ; mais comme la voie était comprise « dans la zone de défense du royaume », il fut décidé que les ingénieurs civils et militaires devraient être appelés à en examiner les dispositions. De cette mission, se trouvèrent chargés les ingénieurs en chef Billaudel et Deschamps et le chef de bataillon du génie de Chancel.
En même temps, le préfet nommait, par arrêté du 30 janvier, un commission d’enquête composée de :
MM. Portal, Cousin père, Allègre, Marichon, comte de Kerkado, Mestrezat, Chéri Hourquebie, Buret et Ivoy père. M. Portal fut nommé président.
M. Godinet, devant les bonnes dispositions de l’administration, crut voir la fin des difficultés et attendit en patience les résultats de l’enquête et le rapport des ingénieurs.
À part quelques oppositions d’intérêt privé, l’enquête fut entièrement favorable au projet, approuvée par la Chambre de commerce de Bordeaux, le Conseil général, la Municipalité, etc. Le rapport des ingénieurs ne marcha pas aussi vite et au mois d’avril, l’ingénieur Billaudel déclarait au préfet qu’il manquait de conducteurs pour faire le nivellement.
C’est ainsi qu’en haut lieu on s’intéressait également à l’affaire et le 3 septembre 1836, le directeur général des Ponts et Chaussées écrivait au préfet « qu’il n’en avait plus entendu parler et désirait savoir où elle en était ». Le 26 octobre, le préfet répondit que l’instruction était complète, les ingénieurs ayant vérifié le projet, mais le retard venait de la production du cahier de délibérations du Conseil général et de la jonction du vœu émis par cette assemblée. Le directeur général était prié « de bien vouloir s’efforcer d’autoriser le plus prochainement possible MM. Godinet et Roche — son associé jusque-là ignoré — à travailler à la construction du chemin de fer. La pensée du préfet n’était pas « d’ouvrir un concours qui n’aurait d’autre résultat que de retarder l’issue de l’affaire » et il adressait aux chefs d’entreprise un projet d’arrêté :
« … que l’on doit reconnaître que l’utilité publique réclame l’exécution du chemin de fer projeté…
« … est d’avis,
« 1° qu’il y a lieu à autoriser les sieurs Godinet et Roche à établir un chemin de fer de Bordeaux à Lai Teste, suivant le projet qu’ils ont présenté et à percevoir à leur profit les droits fixés par le tarif joint au projet ;
« 2° Qu’avant toute œuvre, ils soient tenus à verser dans la caisse du receveur général du département à titre de cautionnement, une somme de 15 .000 francs qui ne pourra être retirée par eux qu’après l’entière exécution des clauses du projet ;
« 3° Qu’ils soient tenus aussi de justifier avant de commencer leurs opérations, qu’ils ont en leur pouvoir un million à valoir sur le montant de la somme nécessaire à l’achèvement de leurs travaux.
« Le Préfet. »
Ils attendaient donc l’approbation ministérielle, lorsqu’un vilain matin, ils reçurent avis que l’autorité supérieure avait pensé qu’il était préférable d’ouvrir un concours public. Juger de leur désappointement après les promesses de l’administration, les sommes qu’ils avaient engagées dans leur étude, de laquelle se servait maintenant le gouvernement comme base de projet d’adjudication. Ils réclamèrent… une indemnité pour le moins.
Leur projet, retouché, fut présenté à la Chambre des députés par M. Martin (du Nord), alors ministre des Travaux Publics, de l’Agriculture et du Commerce, le 3 juin 1837, et à la Chambre des pairs le 2 juillet suivant.
Sur les rapports de MM. Laurence, député des Landes, et de la Villegontier, pair de France, les deux chambres votèrent la loi qui fut promulguée le 17 juillet 1837.
Son article 30 déclarait « que dans les trois mois qui, suivant l’approbation de l’adjudication, la Compagnie sera tenue de payer à M. Godinet, auteur de l’avant-projet du chemin de fer de Bordeaux à La Te&te, une somme de 15 000 francs, en remboursement de ses frais d’études », juste accueil favorable de leurs revendications pour un travail qu’ils estimaient terminé à leur coûter deux millions (or) environ.
Tout était donc à reprendre après deux années de tâtonnements, mais ces indécisions ne peuvent guère étonner. Un seul chemin de fer construit sérieusement n’avait pas encore fonctionné en France ; il n’avait que vingt et un kilomètres, celui de Versailles à Saint-Germain, tandis que le chemin de fer de La Teste devait en compter cinquante deux.
Le gouvernement trouva qu’on allait perdre du temps, aussi pour rattraper les mois perdus, la minute du projet en date du 19 mai 1837 fut en partie calquée et le 31 juillet, les ordres ministériels faisaient procéder par M. le comte Jean-François de Preissac, pair de France, préfet de la Gironde, à l’adjudication basée sur une diminution de durée de concession fixée par le cahier des charges à quatre vingt dix neuf ans, avec l’accord du Conseil de préfecture. Le cautionnement passait à 200.000 francs, et le concessionnaire devait fournir dans un délai de six mois, son tracé définitif sous peine de déchéance.
Six soumissionnaires firent candidatures : MM. de Coincy ; Séguier, Mellet, Henry et Cie ; Aydé ; de Vergez ; Debans Aîné ; Dupouiy, Berdaly et Lopès-Dias. Il faut mentionner que MM. Melet et Henry étaient aussi concessionnaires du chemin de fer d’Andrézieux à Roanne.
Chacun ayant déposé son cautionnement en rente 3 % ou 5 % avec numéraire si nécessaire, il y eut protestation quant à la valeur réelle de l’une ou l’autre rente et certains prétendirent qu’il fallait accepter les dépôts au pair. Il en résulta trois soumissions non retenues : MM. de Coincy, Seguier ot Aydé.
Qui fit la meilleure proposition ?
Les discussions allèrent bon train parmi les hommes d’affaires restants et trois restèrent en présence avec des projets valables pour le moins.
M. de Vergez offrit « un rabais de 65 ans 3 mois 7 jours, sur le minimum de la durée du péage ».
MM. Dupouy, Berdaly et Lopès-Diaz, 50 ans 7 mois.
M. Debans l’aîné, 19 ans.
La durée de 99 ans étant maintenue au projet, c’est donc M. de Vergez qui offrit de prendre l’adjudication pour le minimum de temps de 34 ans 8 mois 23 jours ! Cet ingénieur demeurant à Paris, rue St-Guillaume, numéro 29, fut nommé « adjudicataire de la construction des chemins de fer de Bordeaux à La Teste ». Déjà fort connu pour ses magnifiques travaux du pont de Cubzac, il s’empressa de constituer une société anonyme qui, dans le délai de deux mois, déposa son dossier chez Me Jacques François Hyacinthe Lehon, notaire à Paris.
Ma!gré les prédictions pessimistes de Fr. Arago, les finances de la bourgeoisie affluèrent.
On remarque assez de particules dans la société composée de MM. F. J. B. de la Vingtrie, A. J. B. de la Vingtrie, ingénieurs commanditaires ; MM. Aristide Louis Pereyra, Henri-Nicolas Hovy, Walter et David Johnston, Henri Cart, Mestrezat, Louis Pereyra frères, Nathaniel Johnston et fils, Jacques Galos et fils et David-Frédéric Lopès-Diaz, rentiers. Les banquiers de la société furent MM. les frères de Rothschild, et le fonds social fut fixé à cinq millions — pouvant être porté à six — et divisé en dix mille actions de 500 francs (or) chacune.
Dès que la loi du 17 juillet 1837 fut confirmée par l’ordonnance royale du 15 décembre 1837, des circulaires et prospectus furent envoyés de tous côtés, pour vanter l’attrait qu’on devait attendre “de cette voie ferrée et tout le bien qui en découlera pour l’agriculture, les transports avec les riverains, le développement du commerce, la curiosité, l’agrément des liaisons avec le bord de mer, l’établissement de forges verreries, etc., l’apport des produits résineux et les liaisons par le canal de Mimizan et la rivière Leyre, etc.
C’est le premier mars 1838 que la société s’engagea, moyennant la somme de 4 600 000 francs, à acheter les terrains, exécuter la voie, construire les gares, fournir tout le matériel, et subitement les actions cotées en Bourse, atteignirent le cours de 630 et 650 francs.
Les études activement poussées permirent aux ingénieurs de remettre leurs premiers plans pour la construction de Bordeaux à la Croix d’Hins et peu après ceux de Croix d’Hins à La Teste.
Restait à fixer la gare du point de départ. À l’origine, le cahier des charges indiquait presque au cœur de la ville, l’extrémité de la rue Lecocq, mais précisait que les pentes ne devaient pas être supérieures à 0,0035 par mètre. On découvrit alors qu’une erreur de 10 m 69 (!) avait été commise dans le nivellement entre Bordeaux et Pessac (projet Godinet).
Pour construire la gare à l’endroit désigné, M. de Vergez, qui avait refait tous les tracés, savait que l’édifice aurait dû être placé à près de vingt mètres de hauteur, à l’extrémité d’un talus coupant la ville en deux. En attendant, et provisoirement, la tête de ligne fut arrêtée à Pessac, sur l’emplacement du domaine de Ségur.
Une commission d’enquête, voulue par la loi, conclut qu’il serait substitué à la partie du chemin comprise entre la rue Lecocq et la barrière de Pessac, une autre voie aboutissant à cette barrière à partir des cours d’Albret et d’Aquitaine. Cette commission demanda au gouvernement de réserver la faculté d’embrancher le futur chemin de Bayonne sur celui de La Teste, vœu qui fut énergiquement appuyé par la municipalité de Bordeaux.
Le projet de gare à peine connu vit surgir des discussions sans nombre, ce qui n’est pas pour nous étonner.
Trois camps se formèrent :
Ceux qui tenaient au projet primitif de la rue Lecocq,
Ceux qui réclamaient la gare au cours d’Aquitaine,
Et les habitants de la barrière de Pessac qui trouvaient plus simple de la conserver telle qu’elle, construite à leur barrière.
Dans les défenseurs de la rue Lecocq, plus de cinq cents personnes, entraient MM. Chiapella, propriétaire de la Mission ; de Grammont, Raba-Laroque frères, Jacquemet, etc., et à leur tête le propriétaire du moment de Haut-Brion M. Eugène Larrieu.
Bien organisés, disposant de grandes ressources, entassant mémoires sur mémoires, déclarant que la gare de la rue Lecocq étant prévue par la loi, on ne pouvait la déplacer sans une autre loi ; d’ailleurs, ce déplacement nuirait au magnifique coup d’œil que la vue des wagons arrivant de deux lieues procurerait aux promeneurs du cours d’Albret.
On parlait déjà de spéculation affirmée faisant monter sans raisons les actions de 160 à 170 francs, par une bande d’aventuriers industriels couvrant leur spéculation du manteau de la popularité.
« On se sentait en présence de gens qui gagnent des millions sur un coup de dés et dont le talent consiste à exploiter habilement les idées et les projets des autres. » Le ton s’élevait à propos de l’emplacement de la gare bordelaise, mais M. D. G. Mestrezat, président de la compagnie, profitait de l’assemblée générale des actionnaires du 27 décembre 1838 à la Bourse de Bordeaux, pour réfuter les insinuations des protestataires.
D’un côté, on mettait en cause M. Johnston, de l’autre M. Larrieu, chassé-croisé d’accusations et de dénégations d’où il semble résulter, d’après les documents connus, que la question se résumait, à savoir laquelle de telle ou telle propriété serait coupée par la ligne.
Hormis cela, les maires des communes intéressées se plaignaient au préfet des retards apportés depuis quatre ans à la construction du chemin de fer, et M. Marichon, maire de Mios, démontrait dans sa lettre que… plus ça change, plus c’est la même chose (14 février 1839).
Le préfet de la Gironde accélérait ses démarches qui furent couronnées de succès le 28 août 1839 par une loi que le gouvernement adopta en laissant au Conseil général des Ponts et Chaussées la faculté de faire tous les changements que la Compagnie pourrait réclamer, sauf de statuer sur la partie comprise à l’intérieur de Bordeaux. Ainsi autorisation fut donnée de réduire à vingt le nombre des stations, au lieu de trente. Cela paraissait disproportionné sur une distance de cinquante-deux kilomètres. Le réseau routier étant rudimentaire, il convenait de fixer les gares au plus près des points faciles d’accès pour l’apport des marchandises, tels poteaux de mines et pieux de pins.
La Compagnie était donc victorieuse et, dans la joie, annonçait, le 27 décembre 1839, que le chemin de fer serait terminé entre Pessac et La Teste et ouvert à la circulation sur toute son étendue dans un an et quelques mois.
Pourtant, des désagréments allaient surgir et M. de Vergez veillait à tout.
Les questions en suspens étaient principalement d’ordre pécuniaire qui n’en compliquaient pas moins les fins de mois à régler aux ouvriers tout le long du tracé, car le matériel arrivant assez régulièrement, l’ingénieur voyait son œuvre prendre belle tournure sur chaque tronçon. Et le ministre, reconnaissant que, sans le rapport de l’art, le tracé en cours était de beaucoup plus préférable aux précédents, maintenait néanmoins d’ajourner à statuer sur la partie comprise dans Bordeaux ; aussi certains esprits avancés n’hésitaient pas à parler et s’entretenir uniquement du chemin de fer de La Teste.
C’est alors que M. de Vergez, voyant que le moment est proche où tout allait être terminé dans la partie ouest décide de construire un splendide viaduc de 91 arceaux, élevés de 9 à 11 mètres, sur une longueur de 960 mètres, pour joindre Pessac aux hauteurs de Haut-Brion. Peu d’observations à cette époque où la question politique française occupe bien les esprits. Et l’on trouve en tout sept ponts édifiés, dix-neuf gares élevées et à La Teste, la gare avec ses deux bâtiments jumeaux que l’on voit encore, était terminée. Des équipes ont planté 30 000 acacias sur les talus pour retenir les terres et d’actifs spécialistes organisent la gare provisoire sur le domaine de Ségur, avec ateliers d’entretien et de construction.
Dans le traité primitif, étaient prévues cinq petites locomotives à quatre roues, vingt voitures à seize places et soixante wagons ; au lieu de cela, et suivant les derniers progrès connus la Compagnie reçut deux petites locomotives1 à quatre roues et trois à six roues (2), fournies par la Compagnie d’Anzin et par Slrarbruck Longridge et Cie de Newcastle. Arrivaient aussi par Brest, dix wagons de 1ere classe dix voitures de 2eme classe à trente places, quatre voitures de 3e classe à quarante places, plus soixante-huit wagons de marchandises.
Aucun incident majeur n’étant retenu, la Compagnie se fit accorder une prolongation portée à soixante-dix ans en prévision, malgré les crises ministérielles 1839-1840, de reprendre l’idée de l’administrateur M. Pereyra, de relier Lamothe à Bayonne.
Dès les premiers mois de 1841, la Compagnie réfute victorieusement les dénonciations calomnieuses qu’on veut lui porter et voit s’avancer le moment de l’inauguration.
Tout semble prêt, quand le 24 juin 1841, le mur de soutènement de La Hume s’effondre. Pour éviter le retard, la reconstruction est menée en quelques jours et, le premier juillet, le ministre des Travaux Publics autorise l’exploitation du chemin de fer avec cependant quelques réserves.
Dès réception de la décision, le Préfet s’empresse de la notifier à la Compagnie par arrêté avec autorisation de mettre en service la partie comprise entre la barrière de Pessac et La Teste. Et nous devons cela à la haute compétence de M. Alphand, cet ingénieur du chemin de fer, sorti de Polytechnique et de l’École des Ponts et Chaussées qui n’avait alors que 24 ans. Dommage que nous ne l’ayons pas honoré par un nom de rue.
Landais sur ses échasses, surveillant la voie vers Gazinet
Ainsi l’inauguration officielle est fixée au mardi 6 juillet, avec service régulier dès le lendemain. Alors tous les journaux bordelais sont garnis d’articles pompeux célébrant à l’envie les beautés et l’avenir du magnifique pays que ce chemin de fer va permettre de découvrir. Tout le monde est rempli d’un enthousiasme sincère et, en présence de l’élan général, la Compagnie voit les voyageurs et leurs écus se précipiter en foule vers les guichets de départs.
Les journaux débordent d’articles qui touchent la foule :
« Sans les mains d’hommes opulents, les jolies communes de Gujan, Andernos, Lanton et Arès seront fécondées, des troupeaux améliorés se multiplieront, des marais salants, des réservoirs de pêcheries, de riches moissons se créeront. Et quand le soleil levant vient frapper les blanches dunes se mirant dans l’eau, la sombre verdure des pins forme un contraste des plus plaisants sur le devant du tableau ; quand le flot, se retirant appelle au dehors les intrépides pêcheurs de La Teste ; lorsque dans leur pirogue allongée, les femmes hardies comme leurs maris vont remplir leurs baquets d’huîtres ramassées sur la grève découverte, ou de poissons percés sous l’eau par une fourche à plusieurs dards, il ne se rencontre nulle part un coup d’œil aussi ravissant que celui du Bassin d’Arcachon, animé par la flottille qui se rend en mer, ces nuées d’oiseaux aquatiques qui s’ébattent sur les plages et les îles. . . »
« Dans vingt ans, dans quarante ans les rues de La Teste seront pavées, éclairées la nuit et pleines de vie, car dans vingt ans la passe du Bassin d’Arcachon aura été assurée et il offrira le coup d’œil du plus beau port du monde dans lequel en grand nombre, flotteront les pavillons des autres nations. »
Nous sommes au 6 juillet 1841 !
De 8 à 10 heures du matin, la route qui conduit de Bordeaux à Ségur est sillonnée de multiples équipages et voitures. Les personnes munies de billets ont été admises dans l’enceinte réservée que remplissait déjà l’élite de la société bordelaise ; sur l’estrade, les autorités les membres du Conseil d’administration du chemin de fer et M. de Vergez, le constructeur, héros de la fête. Avant l’ouverture pour la cérémonie religieuse, la musique du régiment faisait entendre ses plus « gracieuses symphonies », tandis que dans les wagons, remplie d’émotion, la foule attendait d’être transportée à La Teste. À perte de vue, la population se tenait sur les côtés du chemin de fer. À 10 heures et demie, l’archevêque Mgr Donnet, monta devant un petit autel dressé pour la circonstance et dans un intéressant discours rappela le but et les espérances des fondateurs de l’entreprise.
Puis M. Mestrezat expliqua que la Société avait été conçue dans le but identique de joindre Bordeaux à Bayonne, mais seulement retardée « par le fait de circonstances politiques ». Mgr Donnet répondit au discours de M. Mestrezat, et, après la bénédiction pastorale, le convoi s’avança sur les rails.
Quelle euphorie ! La musique était sur les banquettes de wagons découverts, les autorités placées au centre du train, les voyageurs répartis dans les autres wagons et ceux munis de billets de 1ere classe se voyaient être les premiers à arriver à La Teste.
Parti à 11 heures un quart, le convoi arriva à 1 heure à La Teste où la garde nationale était sous les armes. Le Conseil municipal et le maire reçurent les visiteurs et, à son tour, M. Soulié, maire adressa une allocution d’abord à l’archevêque ensuite aux administrateurs de la Compagnie dont il vanta le grand génie qui avait si bien compris et exécuté ses nobles projets. Le Préfet A. Sers succéda à l’archevêque dans son nouveau discours, pour assurer que l’administration et le gouvernement portaient le plus grand intérêt à l’entreprise et que des travaux prochains donneraient une jetée jusqu’à la pointe de l’Aiguillon, pour le meilleur intérêt de La Teste.
Un banquet fut ensuite servi et le convoi retourna à Bordeaux pour 7 heures du soir, sous la conduite d’un des mécaniciens de Paris-St-Germain.
Ch. GEORGET
1. Une de ces locomotives, « La Teste », sombra par malchance dans le port de Brest avec le bateau qui la portait. Il en fut sauvé ce qu’on put.
Leur nom était : « La Teste et Arcachon » puis « L’Océan », « La Leyre », « La Garonne », enfin « La Gironde » et « L’Anzin » plus tard.
Extrait des Bulletins de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch, n° 3, 4 et 5 (1973-1974)