Un nom célèbre mais un héros mal connu : Robert Picqué
Un hebdomadaire régional, relatant un accident, indiquait dernièrement que la victime avait été transportée à l’hôpital Robert Picquey. On veut bien croire que la notoriété de ce pittoresque village de la presqu’île ferret-capienne est pour quelque chose dans cette confusion, mais un mini-sondage environnemental nous confirma que ce pionnier de l’aviation sanitaire est très mal connu en Pays de Buch. La S.H.A.A., qui a publié l’ouvrage Cazaux, de l’École de Tir aérien à la Base 120. 1913-1962, nous ouvre donc ses colonnes pour réhabiliter le personnage qui a donné son nom à l’hôpital militaire régional mais qui mérite aussi de figurer parmi les pionniers qui ont écrit, par leur sacrifice, la grande histoire de l’aviation.
QUI ÉTAIT ROBERT PICQUÉ ?
La thèse pour le Doctorat en médecine soutenue publiquement par Jean-Bernard Paillou, le jeudi 29 janvier 1970, nous éclaire sur la personnalité de ce médecin militaire.
Robert Picqué est né à Paris le 15 décembre 1877 dans une famille de militaires. Le père, colonel en retraite, répétait toujours à chacun de ses deux fils : “ Tu seras soldat ou tu seras militaire ”. Robert accepta les deux voies.
À dix-neuf ans, il est admis sur concours à l’École du Service de Santé Militaire de Lyon. Il sort de l’École le 6 février 1900 avec le grade de médecin aide-major de 2è classe. Au Val de Grâce, il sort premier de sa promotion.
Affecté au 5e Régiment du Génie à Versailles, il connaît un avancement rapide :
– 1902 : aide-major de 1ère classe ;
– 1905 : surveillant à l’École d’Application du Val-de-Grâce ;
– 1906 : médecin major de 2e classe ; reçu 1er au concours de l’agrégation au Val-de-Grâce ;
– 1911 : il obtient la licence ès sciences ;
– 1913 : thèse pour le doctorat ès sciences : Étude embryogénique sur le développement du pancréas de la lamproie ; au mois d’août, il est affecté par le Ministère de la Guerre à Bordeaux, comme chirurgien de l’hôpital St-Nicolas ; il présente le concours d’agrégation des Facultés de Médecine, “ section anatomie et embryologie ” où il est admis avec succès ; affecté le 1er novembre à la faculté de Médecine de Bordeaux comme agrégé et chef de travaux à la Chaire d’anatomie du Professeur Gentes.
Les études de la faculté portaient sur les problèmes physiologiques et pathologiques posés par les débuts de l’aviation.
Le 3 août 1914, c’est la déclaration de guerre. Inapte au service en campagne, il réussit à obtenir la chefferie d’une ambulance hippomobile (ambulance n° 3 du 18e Corps d’Armée). L’idée de R. Picqué était que le chirurgien devait être en mesure d’intervenir le plus rapidement possible. Aussi, il installa toujours son ambulance le plus près possible du front. Durant tout le conflit, il reçut d’élogieuses citations.
Démobilisé, il retourne à l’hôpital St-Nicolas de Bordeaux où il cumule deux fonctions :
– chirurgien en chef des Hôpitaux militaires,
– professeur à la Faculté de Médecine.
La Faculté de Bordeaux montre alors un très vif intérêt pour l’aviation dans le domaine de la biologie. De 1919 à 1922, la Société de Biologie de Bordeaux publie de nombreuses notes sur ce sujet.
Picqué retrouve dans l’aviation sa théorie sur le chirurgien au combat : “ Être le plus rapidement possible au chevet du blessé ”. Dans un de ses rapports, il écrivait : “ La révélation de l’urgence de ce moyen moderne nous vint le jour d’hiver (1922) où mandé à Cazaux, près de deux aviateurs tombés le matin, nous les trouvâmes vers 16 heures, à la nuit tombante, attendant sur leur brancard ensanglanté la décision du chirurgien. Il nous resta alors, les jugeant malgré tout transportables, à les ramener par la route désespérément cahoteuse, jusqu’à l’hôpital de Talence, où ils arrivèrent à 22 heures, refroidis ”.
En 1921, il succède au professeur Gentes à la chaire d’anatomie.
LE PIONNIER DE L’AVIATION SANITAIRE
Durant la même période, au Camp d’aviation de Cazaux, des accident aériens graves exigent des interventions chirurgicales urgentes. Mais le délai de route, entre le camp et l’hôpital de Bordeaux, était de plus de deux heures.
Aussi, R. Picqué eut l’idée de faire assurer ce transport par avion en 15 ou 20 minutes. Le commandant de la base, le colonel Félix Marie, fit affecter deux avions Bréguet 14 à ce projet. Ils furent modifiés en sanitaire sur les conseils de R. Picqué :
– fermeture de la place du passager,
– ouverture d’une porte coulissante sur le côté du fuselage,
– intérieur de la carlingue pouvant recevoir deux brancards, deux infirmières et le pilote.
De plus, ces avions sont équipés d’appareils pouvant être utilisés pour les soins urgents et d’un moteur Renault plus puissant que celui du Bréguet 14.
Plus tard, ce fut d’autres types d’avions qui furent transformés.
En 1923, R. Picqué est inscrit comme officier observateur attaché au camp de Cazaux. Un sous-officier pilote, l’adjudant Gogel, lui est affecté.
Par ordre du colonel Félix Marie, il est créé à Cazaux une section d’avion sanitaire assurant un service de garde permanent. La procédure d’urgence est simple. Lors d’un accident aérien :
– coup de téléphone à l’hôpital de Talence,
– départ de l’avion de Cazaux,
– départ au même moment de l’hôpital d’une ambulance,
– trente minutes plus tard, l’avion et l’automobile arrivent à l’aérodrome de Mérignac Beaudésert.
– trente autres minutes et le blessé est sur la table d’opération.
Cette section subit au fil des jours une constante amélioration. De plus, R. Picqué étend son rayon d’action à toute la 18e Région Militaire. Il fait le point de tous les terrains pouvant servir de piste d’atterrissage (hippodromes, golfs, stades, etc…). Vingt-et-un terrains sont ainsi officialisés. R. Picqué prend aussi contact avec des organismes civils pour proposer ses services (Aéro-Club du Sud-Ouest, Compagnie des chemins de fer du Midi).
Il est toujours prêt au décollage pour des interventions, que ce soit à Libourne pour un accident de cheminot ou à Mirambeau pour un aviateur.
Fervent convaincu de l’utilité de l’avion sanitaire, “ le médecin volant ”, comme on le surnommait, parcourt avec son inséparable pilote Gogel la France et les pays limitrophes pour porter la bonne parole : Comité central de la Croix-Rouge à Genève, Séance d’aviation du Bourget, Congrès international de Médecine Aéronautique, Journées Médicales de Bordeaux, Montpellier, Bruxelles et Liège, Congrès international de chirurgie de Rome, Meetings d’aviation, etc…
Il effectue aussi une tournée de conférences en Amérique du Nord (Montréal, Washington, etc…).
Le 1er juin 1927, il décide de faire transporter d’urgence à l’hôpital de Bordeaux l’épouse d’un officier de la base de Cazaux. Trois avions sont nécessaires : un sanitaire pour la malade, un deuxième pour lui et un troisième pour le mari de la malade.
Aux environs de Marcheprime, des flammes sortent de la carlingue de l’avion de R. Picqué. Celui-ci, après avoir essayé de résister à la chaleur, quitte sa place et va s’asseoir sur le fuselage. Mais victime d’un début d’asphyxie, il lâche prise et tombe de l’appareil d’une hauteur de 80 mètres. Le pilote de l’avion en flammes réussit à atterrir et à s’extraire sans trop de dommages du brasier. Retrouvé après une demi-heure de recherches, R. Picqué est transporté à Talence. Ironie du sort, le transport se fait en automobile. R. Picqué décédera à son arrivée à l’hôpital. La malade, quant à elle, arriva sans incident à Talence où elle fut opérée et sauvée.
En 1937, une stèle fut érigée dans la forêt de Marcheprime, à l’endroit exact où fut retrouvé le corps de Robert Picqué, un an après que l’hôpital militaire de Bordeaux ait reçu son nom.
Les années passèrent. Heureusement, quelques personnes ont désiré perpétuer le souvenir de celui qui mourut pour sauver des vies. Le maire de Marcheprime, Gaston Flament, fut de ceux-là. Conscient de ce devoir de mémoire, avec l’aide de l’adjudant Lecourou chargé d’une mission de recherche historique au sein de la 3e Région Militaire, ils localisèrent la stèle, perdue dans la forêt, dans un roncier, rongée par la mousse et les lichens.
Le 1er juin 1987 eut lieu une cérémonie sylvestre : “ la rencontre de l’écharpe tricolore, du glaive et du caducée ”, comme l’a qualifiée un participant de cette commémoration, devant une stèle rénovée trônant au centre d’une clairière ensoleillée.
Après le cyclone qui ravagea la région, fin décembre 1999, nous nous sommes rendus sur les lieux, une piste forestière qui débouche sur la D5 entre Marcheprime et le lieu-dit “ la pointe d’Émile ”. Dans un chaos de pins abattus, nous avons retrouvé, intacte, la pierre symbole.
Roger CASTET – Patrick BOYER
Reproduction exacte du texte gravé sur la stèle
Extrait du Bulletin n° 115 de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch.