Arcachon source d’inspiration (Élie Menaut)

ARCACHON SOURCE D’INSPIRATION

 

Élie MENAUT

Maître ès-jeux Florimontains

Mainteneur du Félibrige

Conférence faite en Arcachon le 22 septembre 1938

au 62e congrès de

l’Association française pour l’avancement des sciences.

 

Une plaquette, non mise dans le commerce, a été tirée à trois cents exemplaires, dont cent cinquante exemplaires réservés à l’auteur et cent cinquante exemplaires réservés aux Amis de la Librairie Générale d’Arcachon.

 

« Heri solitude, urbs hodie, cras civitas. »

 

La devise d’Arcachon prend une va­leur nouvelle si je mets en parallèle l’ex heremo Teste Buxi de 1519, la terre d’élection de Thomas Illyricus, ce lieu que Florimond de Rœmond ap­pelle Arcaixon, qui ne deviendra administrativement parlant la commune d’Arcachon qu’en 1857, et la descrip­tion contemporaine qu’en donne J. de Pesquidoux dans son Livre de Raison :

« Aujourd’hui, insoucieuse des sables fixés que ne roulait plus la tempête, te­nant tête à la terrible houle, arrêtée et détournée par les digues amoncelées, la ville étalait sur la plage ses rues, ses pla­ces, ses jardins, ses avenues bordées de platanes géants, gravissait les dunes, villas par villas éparses, pareilles à des fleurs de pierre et de brique, entre des barrières peintes, au tournant des routes blanches, au milieu de clos intimes où les pins se berçaient au vent tamisé et, par­fois, y menaient comme une colonnade…

« Même un autre quartier grandissait vers les prés salins et la forêt extérieure. De sorte que l’on compte trois villes dans une seule, appelées ville d’été, d’au­tomne ou d’hiver, selon l’emplacement, comme si l’on avait voulu suivre le pas des saisons pour l’aise et le plaisir de l’homme. »

Si Thomas Illyricus revenait, lui qui vint ici pour être seul, il reprendrait, pensant à son ermitage :

« Quel je l’ai vu et quel je le vois ! »

Sous quelles influences, par la vertu de quelle baguette magique, ce cas de génération spontanée a-t-il pu se pro­duire ? A l’occasion du Congrès pour l’avancement des Sciences, j’ai essayé de faire la part des Sciences, des Let­tres et des Arts à l’essor vertigineux et à la notoriété mondiale de notre cité.

Arcachon a déjà payé un juste tri­but de reconnaissance en donnant à des voies les noms des médecins Jean Hameau, Gustave Hameau, Péreira, Corrigan, Sarraméa, Bouillaud, Texeira, Lalesque. C’est assez dire la belle part qui revient aux médecins.

Dès 1835, le docteur Jean Hameau, de La Teste, fut un des premiers, dans une communication à l’Académie de Médecine, à signaler les salutaires ef­fets des bains de mer (Quelques avis sur les bains de mer), venant après sa thèse (1807) : Essai sur la topogra­phie physico-médicale de La Teste.

Nous lui devons plus et mieux en­core avec l’Introduction de la vaccine dans le canton de La Teste (1801), ses premières communications sur la pellagre (1829) et ses réflexions sur les virus, qui en font un précurseur de Pasteur.

Vint le docteur Pereira, en qualité de premier inspecteur des bains de mer, qui put juger de l’Influence des bords du bassin sur les tuberculeux pulmonaires.

Le docteur Sarraméa qui, en 1860, jeta un « regard sur Arcachon », conçut tout de suite le projet de colonie en­fantine, et dans une lettre du 8 mars 1861, Michelet lui promettait de par­ler de ses idées dans la troisième édi­tion de son ouvrage sur La Mer.

Michelet, qui vint surtout à Saint-Georges-de-Didonne, qui passa peut-être en Arcachon, consacre, en effet, son livre IV à la Renaissance par la mer, et célèbre Arcachon en ces ter­mes :

« Arcachon est aussi très doux dans ses pinadas résineuses qui ont si bonne odeur de vie. Sans l’invasion mondaine de cette grande et riche Bordeaux, sans la foule qui, à certains jours, afflue et se précipite, c’est bien là qu’on aimerait à cacher ses chers malades, les tendres et délicats objets pour qui l’on craint le choc du monde. »

Ces idées verront leur réalisation, en 1887, avec le Préventorium Mari­time, fondé par le docteur Armaingaud, avec le concours de Mme Engrémy, du docteur Lalanne, des docteurs Lalesque et Hameau, puis avec le Pré­ventorium protestant et la Fondation Lalanne pour la ville de Bordeaux.

Les grands cœurs se comprennent et se rapprochent toujours. Il appar­tenait au docteur Corrigan, médecin ordinaire de la reine d’Irlande, de fai­re rayonner les vertus curatives d’Arcachon dans son Discours d’ouverture à l’Académie royale de Dublin (1860-1861), et au docteur Mess (de Scheveningen), envoyé en mission par le Gouvernement des Pays-Bas, d’en fai­re état dans un rapport à son Gouver­nement et d’en vérifier l’efficacité sur lui-même, trente ans plus tard, quand il viendra demander à notre station de réparer sa santé ébranlée par son grand âge. De sa propre cure, il tirait comme conclusion la plaquette intitu­lée : Arcachon envisagé en tant que station hivernale pour malades.

Précédemment, Gustave Hameau s’était attaché à la Climatologie médi­cale, en. particulier sur la saison d’hi­ver à Arcachon, étude que reprendra, développera, poussera plus tard le docteur Fernand Lalesque, en élevant à Arcachon climatique ce monument qu’est sa monographie scientifique et médicale : Arcachon, ville de santé. Mais F. Lalesque, qui était aussi un homme d’action, avait réalisé, en col­laboration avec M. Ormières, la Villa hygiénique modèle, dont il présenta la maquette au Congrès de l’avancement des Sciences de Montauban en 1903, et dont nous avons 12 créations en ville d’hiver.

Je dois également rappeler l’activité du docteur Festal, de ces grands cœurs qui, de leurs efforts, lancèrent Arcachon ; que ne puis-je les citer tous !

Arcachon qui a vu défiler des som­mités médicales, a également vu ar­river dans leur sillage, ou sur leurs prescriptions, comme malades, des personnalités du monde des Lettres, des Sciences et des Arts.

Élisée Reclus vint y soigner une jeune fille malade qui, du reste, y mourut. Elle fut enterrée dans la fo­rêt, sans qu’aucun signe marquât l’endroit exact de sa sépulture. Seules les « Sablines » se souviennent.

Jules Guesde viendra y achever fin 1888 la convalescence d’une fluxion de poitrine qui faillit l’emporter. Poli­ticien, mais aussi poète, il composa plusieurs poésies frappées du sceau d’Arcachon ; un Poëme à la gloire de Vénus, où l’on sent l’influence de Baudelaire :

« …l’immortelle Aphrodite, Vénus, Fille du chaud soleil et de la mer profonde,

Qui flambe dans l’azur vermeil et sur le monde,

Dans leur splendeur nacrée étalant ses seins nus. »

un Hymne à la mort, qu’il salue dans sa beauté sereine, la mort dont on a voulu faire un épouvantail — et qu’il aime ! — et une poésie à Notre-Dame d’Arcachon frappée au même coin du scepticisme.

C’est le doux Coppée qui, au cours de sa « Bonne souffrance », en « Pas­sant », aura recours aux soins éclairés du docteur F. Lalesque, à qui il dédi­cacera un exemplaire de Pour la Cou­ronne.

Fustel de Coulanges vint demander à l’allée des Dunes, la paix dans le repos. Lentement, comme pour retar­der les séparations prochaines, il s’en­tretenait avec ceux qui venaient lui dire, dissimulant que ce fut la derniè­re fois, leur affection de disciple et la résolution de lui rester fidèles. Et Jullian qui le relate, fut certainement de ces pèlerins.

Louis Pasteur, déjà comblé par le poids de l’infini, — c’est Francis Jammes qui nous l’apprend dans Trente-six femmes, — Louis Pasteur, dis-je, avant que d’aller se replonger dans le ciel de son microscope, espéra un moment trouver un réconfort dans l’air salubre du bassin.

De 1859 à l’année de sa mort (1893), Gounod vint aussi chercher ici la so­litude. Néanmoins, il dirigea à plu­sieurs reprises des messes en musique à Notre-Dame, tenant même les gran­des orgues. Il composa dans l’ambian­ce de Saint-Elme un Cantique à Saint Dominique sur les paroles du R. P. Lhermite, et dans l’harmonie du pro­che Océan, un Cantique à N.-D. de la Mer (chœur à 4 voix d’hommes) dédié à l’Orphéon d’Arcachon et à son Di­recteur, M. Chavan. De ces fré­quents séjours de l’illustre composi­teur, Arcachon conserve le souvenir avec une allée Faust et une allée Gou­nod, les villas « Faust », « Siebel » et « Marguerite », mais Gounod habita « Trianon » chez M. Ferras, villa « Thiers » chez Mme Zimmerman ou encore « Sylvabelle » et fut aussi l’hôte de MmeCh. Rhoné.

Le Père Lacordaire, lui aussi, pensa à une cure de repos à Arcachon (lettre d’Henri Perreyve, 31 juillet 1861).

Toujours sur les bords du bassin (mais à Andernos toutefois), Sarah Bernhardt viendra en convalescence. Elle y enrichit la flore locale des Calcéolaires ou Gloire de Versailles, inconnues ici avant l’arrivée de la gran­de tragédienne.

Guy de Pierrefeux, reprenant pour titre sa devise, nous a, dans Madame Quand Même, retracé son séjour dont elle garda jusqu’à la fin un souvenir ému :

« Embrassez pour moi vos genêts, vos pins meurtris et les herbes marines de votre plage hospitalière. Si mon corps est ici, mon cœur est là-bas. »

écrivait-elle de Paris à M. David, mai­re d’Andernos.

Le Surhomme de la Côte d’Argent gardera de notre Terre d’Amour, chère à Guy de Pierrefeux, le même souve­nir nostalgique quand il écrira à M. Philippart, qui s’était rendu acqué­reur de la villa « Saint-Dominique » :

« Veuillez saluer de ma part les beaux pins blessés et les genêts d’or. Ils em­baument toujours dans mon souvenir fi­dèle. C’est le pur parfum de France que je veux garder. »

 

Ainsi donc, sur la conque marine d’Arcachon, les inquiets, les menacés viennent invoquer le génie du lieu, dé­positaire auguste de quatre puissan­ces pour se refaire une vita nuova, avec la douceur du climat, la séche­resse des sables, les souffles de la mer, les effluves des pins aromatiques. Il appartenait aux poètes de lui décou­vrir une cinquième vertu : celle de sa solitude :

« O beata solitudo, o sola beatitudo! »

À cette solitude, les uns sont venus demander le repos dans le calme, les autres une ambiance propice au tra­vail. Ainsi, Gabriele d’Annunzio, dès son arrivée au Moulleau, chercha-t-il à conserver l’incognito et fut-il très ennuyé le jour où il entendit un co­cher le signaler à ses clients : « Té! voilà d’Annunzio ! » D’Annunzio de­venu « un monument » comme le Grand Hôtel, la chapelle N.-D. des Passes, le débarcadère, pour reprendre ses propres expressions.

De cette solitude devait naître l’au­berge littéraire de Chantecler, au Piquey. Pierre Benoît, commensal de Francis Carco, pouvait écrire :

« Les repas nous réunissaient. Nous étions maîtres et rois dans une véranda qui sentait la résine et les balles de pins cuites au soleil. »

Radiguet y écrivait Le diable au corps, sous la garde fraternelle de Coc­teau. Nous avons une Ecole du Piquey, comme il y a une Ecole de Barbizon ou d’Hossegor.

Au nom des mêmes principes, Pier­re Frondaie affectionne ses « Sablines » et le mois d’octobre, — le mois aimable d’Arcachon :

« Délivrée d’être une banlieue, toute une contrée sablonneuse, si bien faite pour la solitude qu’on ne l’y sent pas, redevient dans son délaisser le refuge chéri du recueillement. Ce qu’on guérit le mieux autour de ces dunes, ce ne sont point les blessures du poumon, mais celles des fièvres de l’esprit. Quelquefois, au contraire, elles s’y exaltent, s’y allument, comme ces incendies qui galopent, soudain, aux cimes forestières, plus rapides que les chevaux. » (Deux fois vingt ans).

Le poète P. Frondaie nous montre aussi qu’à l’orée des bois, d’une lyre on tire d’harmonieux accords.

Cette recherche de la solitude rendit souvent laborieuses mes investiga­tions, et je n’aurai pas la prétention de n’avoir pas péché par omission, quand je vois le poète Frédéric Plessis, dans son Ode à Arcachon, dédiée à Léon Dierx :

« …d’une haie former une clôture,

Qui tenait à l’abri des regards du passant,

Le poète pensif, seul avec la nature,

Libre de tout contact ennuyeux ou bles­sant.

Sa maison que les bois et que la mer voisine

Enveloppent aux jours chaleureux de l’été,

D’un air vif, imprégné de sel et de résine,

Réclame de la muse une immortalité. »

J’ai donc pris sa Lampe d’Argile, et j’ai accompli pour vous ces pèleri­nages littéraires à la recherche de ce que les poètes ont pu laisser de leur âme dans ces endroits qu’ils ont aimés, et auxquels ils ont conféré une sorte d’aristocratie :

« Qu’elle soit dite un jour la maison du poète,

Quand, loin de la forêt qui chante et reverdit,

Lui-même dormira dans la tombe muette,

Si jusque-là sa muse obtient quelque crédit. »

Toujours nous émeuvent les lieux où vécut un grand homme lorsqu’ils servirent à façonner sa sensibilité.

Voilà pourquoi Maurice Barrés pou­vait prophétiser à G. D’Annunzio :

« On ira plus tard en pèlerinage à vo­tre villa du Moulleau. »

comme y vinrent de son vivant De­bussy, Ida Rubinstein (à propos du Martyre de Saint Sébastien), Gérard d’Houville qui en écrivit la relation dans les Lectures pour Tous, et, enfin, Henri de Régnier, qui rapporta de « Saint-Dominique » ce poétique hom­mage :

« La maison du poète est auprès de la mer.

La ville en est lointaine et la forêt voisine ;

L’air qui l’entoure est plein d’une odeur de résine

Dont l’embaume le pin éternellement vert.

Son seuil hospitalier à mon pas s’est ouvert,

Mais le trident se dresse à la porte marine;

La solitude sied à toute œuvre divine,

Et le vin de la gloire est noblement amer.

Salut, demeure où vit, en face de la grève,

Volontaire exilé, dans l’orgueil de son rêve,

Celui de qui le nom est un avènement !

Fils illustre deux fois d’une double patrie

Et dont la fière main planta si fièrement En notre sol de France un laurier d’Italie! »

Depuis — où finit la poésie, la mu­sique commence — Aristide Martz, touché à la fois de la grâce poétique et de la grâce musicale, a, du séjour du tribun de Quarto et de l’auteur de la Contemplation de la Mort à « Saint-Dominique », composé en hommage un grandiose poème symphonique pour chœurs et orchestre.

Arcachon a, par surcroît, pour sé­duire l’artiste, plusieurs cordes à son arc. La nature y écrit un poème de l’eau, de l’arbre, du ciel, sans cesse re­nouvelé qui, transcrit par le poète, de­vient le chef-d’œuvre.

« C’était un de ces matins océaniques où l’air et l’eau se confondent tour à tour l’un dans l’autre, semblant ne former qu’un seul élément impalpable. De grands voiles pâles montaient, s’étiraient, tombaient en lambeaux, se raccommo­daient, se retissaient sans fin. La lande semblait les soulever et les repousser de sa respiration pénible.

Comme il chanta notre mer, D’An­nunzio chanta notre forêt. Le poète des Louanges du Ciel, de la Mer, de la Terre et des Héros, semble même avoir adapté à la forêt arcachonnaise sa Pioggia nel Pineto :

« Tais-toi ! Sur le seuil du bois, je n’entends pas les paroles humaines que tu dis ; mais j’entends les paroles plus neuves que disent les gouttes et les feuil­les lointaines. »

Ce chant d’Alcyone, cette pluie sur la pinède, il me semble l’entendre tom­ber sur notre ville d’hiver, et le pin jette un son, et l’arbousier un autre son, et le genêt un autre encore, instruments divers sous d’innombrables doigts. Et nous sommes immergés dans l’esprit sylvestre, d’arborescente vie, vivant.

De notre forêt, un enfant du pays, Gilbert Sore (De Sable et d’Emeraude) a noté les aspects (Midi en forêt), son­dé le mystère (Rumeurs dans la fo­rêt), harmonisé tous les bruits, retenu tous les rythmes.

Pour Pierre Benoît, le bassin, c’est le microcosme :

« Je plains les gens qui vont chercher aux quatre cents diables un exotisme fre­laté. Le bassin d’Arcachon leur offre tous les résumés de la vaste terre. Ici, les vil­las sont Algériennes, et les pins parasols affichent des airs japonais. La Grande Ourse, la vulgaire Grande Ourse vous a des allures de Croix du Sud. Et, lors­qu’on a bien su choisir son refuge, où trouverait-on une voix pareille, nulle part ! »

Le fait est que dans le message qui sert de préface à la Contemplation de la Mort, d’Annunzio pouvait écrire à Mario Pelosini, de Pise :

« Je vous envoie ce petit livre de la lande océanique où tant de fois, le soir, mon souvenir et mon désir cherchèrent une ressemblance avec le pays de sable et de résine qui s’étend au long de la mer pisane. »

Le fait est que l’auteur d’Axelle a peut-être pu s’inspirer de nos rives, de nos lacs, de nos oiseaux de passage :

…« qu’il plongea dans le triste brouillard du Nord, qu’il assombrit des rayons d’un pâle soleil, pour obtenir un paysage de Prusse. »

Le fait est que le peintre Jean-Paul Alaux a pu traiter aisément des pay­sages du bassin à la façon des estam­pes japonaises, à telle enseigne que Loti, qui venait visiter son frère Yves dans sa cabane du Ferret, voyait le Japon dans tous nos villages.

Le fait est que lorsque nous assis­tons au « combat pathétique de l’arbre contre les puissances de l’air » quand nous pénétrons dans cette « cour des miracles, grave au seuil marin des bois » d’où émergent les pins tordus, qui firent les délices du poète Armand Got — et les nôtres —, nous ne les dis­tinguons plus de ceux qui luttent sur la vieille route tragique du Tokkaido, au Japon, dont Paul Claudel nous re­trace l’épopée.

 

Lamennais, contemplant une tem­pête des remparts de Saint-Malo, avait bien raison de dire :

« Tout le monde regarde ce que je re­garde, mais personne ne voit ce que je vois. »

Chaque écrivain devant chaque pay­sage pourrait faire sienne cette ob­servation.

Aussi bien, ai-je recherché les diver­ses réactions des paysages arcachonnais sur les écrivains, non seulement dans leurs œuvres, mais dans les con­fidences d’un Livre d’or que M. et Mme Gautherot ont pris l’heureuse initiative d’ouvrir et où ils m’ont permis de puiser.

« O vous, mes visiteurs de tout temps préfères,

Glorieux écrivains, artistes inspirés,

Favoris des muses disertes,

Si vous avez aimé l’arc de mes flots divins,

Mes dunes d’or, l’asile infini de mes pins,

Temple de pourpre aux tuiles vertes,

Entendez cet appel, et ne me quittez pas

Sans avoir célébré quelqu’un de mes appas

Aux feuilles de ce livre.

Ode, hymne, madrigal, portrait grave ou mutin,

C’est comme il vous plaira, pourvu que le Destin,

Par vos chants, m’assure de vivre. »

L’appel de notre délicat poète de la Poussière du Pastel, poète de « l’Amour courtois »Félix Frapereau, a été en­tendu. Le parrain de la Côte d’Argent, qui, dans le Triptyque, a chanté le ciel, l’océan, la forêt : Maurice Martin, « qui de sa foi soutint la beauté des Lan­des comme les vieux Saints portent parfois de petites villes dans le creux de la main », ne pouvait manquer de té­moigner à Arcachon, perle de la Côte-d’Argent, la fervente admiration du parrain d’icelle.

Sur le même album, Jean Balde, au­teur du Goéland, laisse exhaler sa nos­talgie du bassin :

« À Arcachon, blanche et rose au mi­lieu des pins, au pied des dunes, à sa vaste arène marine, à ses pinasses, à ses légères escadres de barques et d’oiseaux, j’ai consacré deux années de ma jeu­nesse. Et, où que j’aille, son ciel, ses goélands, sa belle atmosphère salubre et marine hanteront mon cœur fidèle et charmé. »

Mme Gérard d’Houville, fille de poète, femme de poète, poétesse elle-mê­me, a écrit sur le livre d’or ces lignes d’une prose, où l’on sent le frémisse­ment ailé de la poésie qui chante la dune :

« La dune si pâle est étendue avec des grâces féminines entre le ciel et la mer, sa grande robe de forêts, onduleuse et verte, elle l’a rejetée et, toute nue, chan­geante et mouvante peu à peu, livrée au vent, au soleil, à la nuit, tour à tour de nacre ou de sel, de cendre ou de sable, de chair ou d’argent, présente et mysté­rieuse, elle semble amoncelée avec des rêves. »

Gilbert de Voisins y dénonce le sor­tilège qu’exerce sur lui la forêt arcachonnaise :

« Couché tout de mon long dans l’épaisse fougère, j’écoute les bruits de son bois et ceux qui montent de la terre: la plainte d’un rameau qui ploie, les ru­meurs bavardes du feuillage, l’invisible passage d’insectes en tournée de voyage, la vie enfin de tout un petit monde qui se révèle à moi. Les oiseaux font leur quotidien concert aux alentours, tantôt plus vif, tantôt plus sourd. Le soleil cri­ble de disques jaunes la verdure sombre des pins… Je tends la main… Un disque tombe et je reçois la belle pièce d’or comme une aumône. »

Roland Dorgelès, au repos mais en perpétuelle méditation, nous y fait re­vivre un peu de sa vie arcachonnaise :

« Je partais le matin — c’était en hi­ver ; la forêt, à cette heure, était encore déserte et, m’enfonçant au hasard sous les pins, j’allais m’étendre sur le sable, ici ou là, enroulé dans ma cape de ber­ger. Quels heureux moments de travail nonchalant et de rêverie sans objet, de fièvre contenue et de voyages immobiles! Un roman entier est né là, sa trame re­nouée tous les matins et rompue tous les soirs. Les yeux agrandis, la bouche sotte­ment entr’ouverte, je suivais en songe des aventures qui s’élaboraient malgré moi. Puis, j’ai du quitter la pinède; un autre sujet m’a séduit.

Qui sait, les plus beaux livres sont peut-être ceux qu’on n’écrit pas ? »

Pour la gloire d’Arcachon, j’ai pour­chassé les célébrités du monde des Let­tres jusque dans la correspondance, sans violer le secret professionnel. A la lumière de sa correspondance, j’ai découvert la présence de Louis Veuillot à Arcachon, en 1860, 1875, 1876 et 1877. En 1875, il habite une villa « Mo­lière »,

« …abritée du vent qui entend la mer et ne la voit pas. Le quartier est un jardin d’ajoncs fleuris et de bruyères qui vont fleurir, coupé d’avenues, de bouquets et de fouillis d’arbres. L’église est invisible et tout proche. » (Lettre à Mme Pierron).

En 1865, Alexandre Dumas ne fit que passer et dîna au buffet chinois, aujourd’hui démoli.

Des passants illustres qui marquè­rent leur séjour d’une œuvre née sous le ciel d’Arcachon, je retiendrai de la moisson de l’inlassable chercheur M. Rebsomen, Legouvé qui invoqua la Madone ; Scribe qui distilla son Verre d’eau ;le Duc de Luynes, archéologue et peintre, qui évoqua de son pinceau la première procession nautique de 1854. Pour l’église Notre-Dame, à laquelle Pradier avait pro­mis une statue, Mme de Guisard peignit un Thomas Illyricus apaisant la tempête, (cf. Notre-Dame d’Arcachon, A. Rebsomen).

Dans le rayonnement de « Saint-Dominique » à Saint-Elme, Gounod joua de l’orgue sur lequel, plus tard, Claude Terrasse et Aristide Martz, maîtres de chapelle à l’École, improvisèrent. C’est dans le studio solitaire de Saint-Elme, que ce dernier compo­sa notamment les Nocturnes, inspi­rés par le cri plaintif des courlis et le grondement éternel de l’océan. C’est vers Arcachon encore que se tournera l’écolier de Saint-Elme, J. de Pesquidoux, pour faire jouer sa première pièce : le Sang fatal.

Et aussi en Arcachon, dans une mai­son des dunes, que Gabriel Dupont vint s’éteindre après y avoir vécu et harmonisé ses Heures dolentes.

Enfin, d’une villa « Bon-Abri », se sont élevés les premiers Chants d’Au­rore d’Hélène Vacaresco.

J’ai vainement recherché les traces du séjour du poète-cordonnier Jacques Le Lorrain, qui, sa licence obtenue, trouva un poste de professeur au collège des Pères Jésuites (?) d’Arcachon.

En revanche, Victor Giraud, préface d’Arcachon-Le Moulleau (1908) ses Pages choisies de Taine.

Ce n’est pas sans émotion pour mon cœur de félibre, que j’ai retrouvé ici le passage de Jasmin — sur le ton mi­neur. Il y venait à l’occasion d’une fête de bienfaisance, au profit des pé­ris en mer, et il y en a (cf. les Ex-voto de la chapelle N.-D. d’Arcachon, A. Rebsomen) ; il se devait d’accorder sa lyre sur la Cruelle berceuse :

« E quan anabi dins Bourdéou — Plagnoy, la bilo tan luzento, — Elo qu’a lou co plé d’amou — D’abé débat soun él dins soun bos d’Arcachoun, — Un cimenteri d’espoubento — pepignero de la doulou. »

Le sable du bassin, enfin, en révé­lant le jeune Claude Bouscau dans un concours de plage, devait aussi prépa­rer notre grand prix de Rome de sculp­ture.

 

L’huître elle-même devait rallier des suffrages littéraires à Arcachon. Le baron Durègne de Launaguet nous apprend, dans Un touriste au XVIe siè­cle, que Montaigne vint en grand équi­page, en compagnie du Président Pier­re Séguier, du Conseiller Jacques de Thou, de l’Avocat général Antoine Loisel, du Procureur Pithou. Nous savons aussi qu’ils allèrent cueillir des huî­tres à la pointe de leur couteau et que le sage, mais gaillard Montaigne, joua aux ricochets sur l’eau.

Et Montaigne, à plusieurs reprises, dans ses Essais, parle de notre pro­duction huîtrière.

De son côté, de Thou, ayant dîné avec des huîtres près du rivage de La Teste, rapporte dans ses Mémoires (li­vre II, p. 61) :

« On apporta des huîtres dans un pa­nier; elles sont si agréables et d’un goût si relevé, qu’on croit respirer la violette en les mangeant ; d’ailleurs, elles sont si saines qu’un valet en avala plus d’un cent sans être incommodé. »

Panurge, qui s’y connaissait,

« …guaige à Dindenault un cent de huystres de Buch. »

Plus près de nous, par contre, le sociologue anglais Galsworthy, qui vint visiter des amis, se fit le disciple de Théodule Ribot, qui prétendait que tous les êtres vivants — les huîtres en particulier, dont la destinée est d’être consommées vivantes — avaient les mêmes sommes de joies et de souf­frances, et n’en mangea pas.

À côté de la cité du rêve ou du re­pos, il y a aussi I’Arcachon qui tra­vaille avec une Société scientifique créée en 1863 par Gustave Hameau, dans le but de

« …faciliter l’étude, l’avancement, la vul­garisation des sciences naturelles et des procédés d’aquiculture marine, par l’or­ganisation et l’entretien d’un établisse­ment comprenant un musée, une bibliothèque et un aquarium, avec des labora­toires destinés aux recherches et aux étu­des biologiques. »

Il est bon de noter qu’il s’agit là d’une initiative privée qui se trouve être à l’avant-garde, parmi les stations zoologiques côtières et qui demeure un des plus remarquables centres fran­çais d’océanographie, avec un labora­toire marin des mieux outillés.

Il est juste aussi d’en attribuer le mérite à la phalange des praticiens, les Hameau (Gustave et André), les Lalesque (Fernand et Jules), docteur Sigalas, secondés par les professeurs Jolyet, Durègne, Sellier, Boutan, Sauvageau.

La Société Scientifique s’honore d’avoir reçu et facilité les recherches de Paul Bert qui vint noter la pré­sence de l’Amphioxus lanceolatus dans le bassin ; du professeur Fischer, qui vint étudier le crâne du ziphius trou­vé à Lanton et la faune du bassin ; de Quatrefages, du docteur de Nabias, du professeur Kunstler, Henri Viallanes, Quinton, docteur Joubin…

Dans le même cadre de la Société Scientifique : M. Loubatié est parvenu à la fixation de l’iode à l’état organisé dans le corps de l’huître vivante, et M. Rebsomen s’est fait le cartographe émérite et le guide averti du Bassin, de ses rives, et de la route des lacs lan­dais.

Arcachon est à la fois la cité qui ins­pire et la cité qui suscite.

Arcachon ne regarde pas seule­ment l’avenir : quand l’arbre a des ra­meaux, il songe à ses racines, et nous avons aussi une Société Historique et Archéologique d’Arcachon et du pays de Buch, avec des archéologues qui ont retrouvé notre état-civil (docteur Peyneau, Fouilles archéologiques du pays de Buch), (M. de Ricaudy, qui s’est fait l’historien du pays, du captalat et des captaux de Buch) ; des géographes éprouvés (Baron Durègne, qui dressa le plan de la forêt usagère et apporta une sérieuse contribution à l’étude de nos dunes, montagnes et forêts antiques).

 —

Maintenant que je vous ai montré le chemin de nos bruyères, des bruyè­res qui distillent un miel parfumé et substantiel que les abeilles viendront butiner, il ne tiendra qu’à vous, Mes­dames et Messieurs, d’être ces abeilles. Je n’ai pas fait autre chose — ai fa coume fan lis abiho, de floureto en floureto ai a campa de meù, — c’est-à-dire, en traduction libre, sur le ton de Montaigne : J’ai fait seulement ici un amas de fleurs étrangères, n’y ayant fourni du mien que le mince filet à les lier.

(Dédicace de l’auteur à Pierre Frondaie)

Archives Municipales d’Arcachon

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