Histoire de l’École Saint-Elme d’Arcachon (1)

HISTOIRE DE L’ÉCOLE SAINT-ELME D’ARCACHON

(1ère partie)

 

AVANT QUE SAINT-ELME NE SOIT

Le baron Durègne de Launaguet, qui termina sa carrière dans les Postes et Télégraphes comme Inspecteur Général et fut élève de Saint-Elme de 1873 à 1876, fit paraître en 1928 une brochure intitulée « Arcachon, son histoire et son évolution ». On y lit, page 60 : « La guerre de 1870 fixa à Arcachon une importante colonie de réfugiés chassés par l’invasion. Nombreuses sont les familles qui, ainsi transplantées, sont restées fidèles à ce séjour d’une époque d’angoisse. L’École Saint-Elme, créée par le R.P. Baudrand, Dominicain échappé au massacre d’Arcueil, est une conséquence de cet exode ». Ce qui concerne l’École Saint-Elme n’est pas absolument exact. La création d’une École Dominicaine à Arcachon était envisagée avant 1870 et le R.P. Baudrand vint prospecter sur place avant la déclaration de guerre.

S’étant engagé en 1870 comme aumônier et fait prisonnier par les Allemands, le R.P. Baudrand ne se trouve pas au Collège Albert Legrand d’Arcueil quand les Communards parisiens vinrent le dévaster et emmener cinq religieux, deux professeurs laïques et cinq domestiques qu’ils fusillèrent par la suite en mai 1871. Il ne rejoignit Arcueil que quelques jours après le massacre. Jacques Traizet, ancien capitaine au long cours, ancien élève de Saint-Elme (1919-1924) a exposé, dans son livre « Le premier Navire École » paru en 1977, la passion pour la mer qu’éprouvait le R.P. Baudrand et l’acharnement qu’il déploya pour créer, à Arcueil d’abord, à Arcachon ensuite, une école de formation d’officiers de marine, destinés à servir dans la Marine de Commerce. Si le R.P. Baudrand se passionnait pour la Marine de Commerce, c’était par patriotisme. Ce religieux, en effet, n’avait rien d’un objecteur de conscience comme en témoigne le passage suivant d’une lettre écrite par lui à Arcueil, le 30 juin 1871 : « Puisse le jour de la revanche n’être pas trop long à se lever pour que je puisse reprendre mon sac et ouvrir les portes du ciel à un grand nombre de ces Hottentots d’Outre Rhin! »

 

Le Collège Saint-Ferdinand

Arcueil n’était pas géographiquement un lieu idéal pour former des marins, c’est pourquoi avant 1870, le R.P. Baudrand était venu prospecter à Arcachon, dont une des paroisses, celle du Moulleau, avait été confiée à ses confrères Dominicains du Grand Ordre.

Arcachon avait déjà un Collège créé par Adalbert Deganne, un des promoteurs de la ville naissante. Initialement, Deganne en avait confié la gestion à un prêtre séculier, l’abbé Rozié, mais il dut s’en séparer. Un autre prêtre séculier, l’abbé Bonnetat fit alors acte de candidature, mais ce candidat n’avait aucun diplôme universitaire, pas même celui de bachelier ! C’est pourquoi le maire d’Arcachon, Héricart de Thury, était intervenu et avait proposé à l’Inspecteur d’Académie le 20 novembre 1868, sous couvert du préfet, d’autoriser M. Baillemont, ancien Chef de Bataillon du Génie, Officier de la Légion d’Honneur, Officier d’Académie, Président Honoraire du Comité Agricole de Montignac d’ouvrir une École Internationale et Navale dans les locaux de l’École Saint-Ferdinand.

Autorisé, M. Baillemont fit paraître un prospectus vantant son école, que commenta comme suit le journal « Le Bordelais » du 22 août 1869 : « On ne peut se dissimuler qu’Arcachon est aujourd’hui une véritable colonie alimentée par des familles venant de tous les pays… Il n’en faut pas davantage pour démontrer l’opportunité de la création d’un Collège à Arcachon, à six minutes de la gare, à trois cents pas de la plage et en pleine forêt. » Pour justifier le qualificatif « international » donné au Collège, Baillemont avait fait valoir qu’à la suite de la Révolution Espagnole, le Collège ne manquerait pas de recevoir un nombreux contingent espagnol. Le journaliste du « Bordelais » en avait déduit qu’au Collège les langues vivantes seraient apprises facilement « presque sans professeurs, par le contact journalier et encouragé pendant les promenades et les récréations des élèves étrangers avec les élèves français ». Comme celle de l’abbé Rozié, la tentative de M. Baillemont n’eut pas de suite, ce qui décida Deganne à mettre en vente le Collège Saint-Ferdinand.

Ce Collège avait attiré l’attention du R.P. Baudrand quand il était venu à Arcachon en 1866, mais il l’avait estimé trop loin du Bassin et le quartier autour de l’église Saint-Ferdinand ne lui avait pas plu : «multitude de petites maisonnettes et de guinguettes d’un aspect douteux qui sont pendant la saison le rendez-vous du demi-monde et même du quart de monde de Bordeaux». Par contre, le cadre du Moulleau autour du couvent des Dominicains lui avait beaucoup plu, mais il y avait un grave inconvénient : l’éloignement de la gare d’Arcachon. Quand éclata la guerre, l’installation d’une École Dominicaine à Arcachon n’était pas encore décidée. Ce sont les événements survenus à Arcueil en mai 1871, la dévastation de l’École Albert le Grand, à la suite de laquelle le Tiers Ordre enseignant décida de supprimer l’annexe de celle-ci l’École préparatoire à la marine de Commerce créée par le Père Baudrand, qui arrêteront le choix d’Arcachon.

Sous sa seule responsabilité‚ le Père Baudrand s’installa à Arcachon et en fin d’année 1872 occupa le Collège de Deganne. Son École ne sera adoptée par la Congrégation du Tiers Ordre Enseignant de saint Dominique que le 12 août 1873, à laquelle elle sera rattachée définitivement le 12 octobre 1877.

Deganne avait cédé les bâtiments et quatre hectares de terrain contre une somme de 70 000 F, l’acheteur ayant six ans pour s’acquitter, sans obligation de versement avant la sixième année. L’acte de vente fut passé le 21 février 1878 : était créée une société anonyme de l’école Saint-Elme dont les statuts furent déposés à l’étude de maître Dumora, notaire à La Teste, le 17 mai 1886. Il n’y avait plus à Arcachon de Collège Saint-Ferdinand. L’École Saint-Elme était née.

Mais pourquoi avoir donné à l’École le nom de ce saint peu connu et sur lequel les hagiographes ne sont pas d’accord ! Pour certains, Elme serait la forme populaire d’Erasme. Lequel Erasme, évêque de Formies, près de Gaete, en Italie, aurait été martyrisé au IVe siècle, sous l’empereur Dioclétien. La légende raconte que ses intestins auraient été enroulés autour d’un treuil et il serait devenu le patron des femmes en couches !

D’autres identifient saint Elme avec saint Telme, san Telmo en espagnol, Pierre Gonzales de son nom de famille. San Telmo serait né en 1190, dans une famille riche du Royaume de Léon. Il entra dans les ordres, sans aucune vocation, pour satisfaire ses parents, et mena, quoique prêtre, une vie fort dissipée. Un jour qu’il paradait sous les acclamations de la foule, son cheval glissa dans un ruisseau d’où le cavalier sortit couvert de boue. D’admiratrice, la foule devint moqueuse. Cela fit réfléchir Pierre Gonzales dont le comportement changea du tout au tout. Il renonça aux honneurs et à l’argent et mourut en 1246. Son tombeau devint un lieu de pèlerinage et les marins espagnols le prirent pour patron, affirmant que dans les tempêtes, il leur apparaissait en haut du mât de leur bateau, une lumière à la main. De là, le nom de « feu Saint-Elme » donné par les navigateurs aux éclairs parcourant par temps d’orage les mâts et les vergues, chargé d’électricité.

Ce feu de Saint-Elme, illuminant le sommet des mâts, pouvait être un symbole. C’est peut-être pour cela que le R.P. Baudrand donna le nom de Saint-Elme à l’École Maritime dont il rêvait depuis tant d’années. Ce nom, l’École Centrale Maritime, ne le prendra officiellement qu’en 1876 après l’acquisition du trois-mâts barque « Vera-Cruzana », rebaptisé « Saint-Elme », qui viendra rejoindre en rade d’Arcachon, le 21 octobre 1876 la goélette « L’Eclipse », acquise précédemment.

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Le père Baudrand – Buste devant le bâtiment principal

 

Prospectus rédigé par le R.P. Baudrand :
ÉCOLE SAINT-ELME : ÉCOLE PROFESSIONNELLE SPÉCIALE POUR L’ÉDUCATION DES JEUNES OFFICIERS DE LA MARINE DE COMMERCE

Il y a quelques années, l’industrie sentit le besoin de créer en elle-même une École spéciale d’ingénieurs, qui fût tout à la fois pratique et savante. Elle fonda l’École centrale, pépinière féconde d’hommes intelligents et habiles qui ont si puissamment contribué à sa prospérité. La Marine du Commerce est la sœur de l’industrie; elle a les mêmes besoins : comme elle, elle vit en même temps d’intelligence et d’action ; comme elle, elle exige de ses principaux agents les lumières de la science unies à l’habileté de la pratique. Il est donc naturel d’espérer que, les conditions étant les mêmes, elle obtiendra des résultats analogues en employant un moyen semblable. De là est née la pensée de fonder, pour la Marine du Commerce, une École spéciale d’officiers qui soit, comme l’École centrale, tout à la fois instruite et pratique, et puisse un jour contribuer comme elle à la gloire et à la prospérité du pays.

La devise de l’École Saint-Elme se résume en deux mots : Savoir et faire.

Pour réaliser cette devise, l’École Saint-Elme prend les jeunes marins dès leur adolescence, afin d’avoir le temps de les façonner également à la théorie et à la pratique. Elle les divise en deux sections : la section des Novices-Pilotins, comprenant les enfants de 12 à 16 ans, et la section des Pilotins, comprenant les jeunes gens de 16 à 18 ans. Elle donne aux uns beaucoup d’instruction et les premiers éléments de la pratique ; aux autres, beaucoup de pratique et les derniers éléments de l’instruction.

 

SECTION DES NOVICES-PILOTINS

Les jeunes marins passent quatre années (de 12 à 16 ans) dans la section des novices-pilotins. Les novices-pilotins sont habituellement à terre, occasionnellement à la mer. Ils reçoivent un double enseignement, l’enseignement classique et l’enseignement naval. L’enseignement classique se donne dans un local de terre. Il est en tout conforme aux programmes et aux méthodes de l’enseignement secondaire spécial. Il a pour objet, dans la limite de ces programmes, toutes les branches de connaissances qui sont nécessaires ou utiles à une instruction sérieuse, savoir la religion, la morale, le français, l’anglais, l’histoire, la géographie, l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie, la trigonométrie, l’astronomie, la physique, la chimie, l’histoire naturelle, la botanique, la géologie, la comptabilité, la calligraphie, le dessin d’ornement et d’imitation, le dessin géométrique et lavis, la gymnastique et le chant.

L’enseignement de pratique élémentaire se donne à bord d’un navire spécial. Il a pour but de sonder l’aptitude des enfants, de leur apprendre les premiers éléments de la profession maritime et de les mettre à même d’employer utilement leur temps à la mer, dès qu’ils seront embarqués dans la section des pilotins. L’enseignement de pratique élémentaire a pour objet la connaissance technique du matériel du bord, l’apprentissage des menus travaux de matelotage, les manœuvres élémentaires, les principes de la timonerie et de la télégraphie maritime, le détail et le fonctionnement des machines à vapeur navales, le maniement des embarcations, les éléments du canotage et de la natation.

L’enseignement de pratique élémentaire est complété par les promenades d’instruction navale. Ces promenades sont consacrées à visiter en détail les navires de forme ou de destination spéciale, les phares, les sémaphores, les signaux de marée, les appareils et les engins de sauvetage, les chantiers de constructions et de réparations navales, les ateliers de fabrication pour les machines à vapeur marines, les docks, les bassins de carénage, les machines à mâter, les fabriques d’ancres, de cordages, de toiles à voiles, de conserves alimentaires, et généralement tout ce qui touche à la marine et à la navigation.

À la fin de leur quatrième année, c’est-à-dire vers 16 ans, les jeunes gens passent un examen de théorie sur toutes les matières de l’enseignement secondaire spécial, et un examen de pratique élémentaire sur les matières de l’enseignement naval.

À partir de ce moment, ils quittent la section des novices-pilotins, qui a principalement pour but de savoir, pour entrer dans la section des pilotins, qui a principalement pour but de faire.

 

SECTION DES PILOTINS

La section des pilotins est habituellement à la mer, occasionnellement à terre. Les jeunes gens y font deux campagnes complètes au long cours, la première comme pilotins de 2ème classe, la deuxième comme pilotins de 1ère classe. Le navire à bord duquel ils font ces deux campagnes est un fort trois-mâts de commerce ; il porte des marchandises et il a pour destination les parties les plus saines du nouveau monde. L’état-major se compose, outre le capitaine, le second et le lieutenant, d’un chirurgien et d’un aumônier.

Pendant la navigation, les pilotins reçoivent les derniers éléments de leur instruction dans un cours qui a pour objet l’ensemble des devoirs imposés aux officiers de la Marine de Commerce, les notions fondamentales du droit maritime, du droit commercial et du droit international. Tout le reste du temps est employé à la pratique. Le chirurgien leur apprend l’hygiène navale, la thérapeutique pratique, les manipulations pharmaceutiques et chirurgicales usuelles. Chaque jour ils font les observations et les calculs relatifs à la direction du navire ; enfin ils prennent part aux quarts du bord et ils travaillent à toutes les manœuvres nécessaires à la navigation. La prière, le service religieux et les soins moraux sont confiés à l’aumônier.

À la fin de leur seconde campagne, les pilotins subissent un examen de théorie et un examen de pratique, à la suite desquels on leur délivre au nom de l’École un brevet de Lieutenant de la Marine du Commerce.

À partir de ce moment (18 ans), le jeune lieutenant peut naviguer isolément et se suffire à lui-même : il a un diplôme qui le recommande au choix des armateurs ; s’il a de l’argent à consigner sur son navire, il est proportionnellement intéressé dans les bénéfices de l’armement ; dans tous les cas, il gagne, tous frais payés, de 100 à 120 F par mois. A vingt-et-un ans il sera second, et il aura pu économiser la somme nécessaire pour se procurer un remplaçant dans les équipages de la flotte et se dispenser ainsi de tout service militaire. A 24 ans, il subira l’examen officiel d’hydrographie, et il sera capitaine au long cours. A partir de ce moment, si jamais l’Etat l’appelait sur un de ses navires, il n’y monterait qu’avec l’épaulette, le titre et la solde d’officier. Enfin à 50 ans, il réunira sans effort les conditions de navigation et de commandement qui lui donnent droit à une pension desservie par l’Etat.

Tous frais comptés, l’éducation du jeune lieutenant aura coûté 6800 F ainsi répartis :

4 années dans la section des novices-pilotins à 900 F  : 3 600 F

2 campagnes au long cours à 1 000 F :                                      2 000 F

6 années (vêtements, chaussures, etc.) à 200 F :                 1 200 F

                                                                                                                           6 800 F

Tels sont, en quelques mots, le but et la physionomie de l’École de Saint-Elme.

Cette École est évidemment appelée à rendre service à tous les intéressés, c’est-à-dire aux familles, aux jeunes gens, aux armateurs et à l’État.

Aux familles. Bien que la marine soit une carrière aussi honorable et plus lucrative que beaucoup d’autres, un grand nombre de familles, jusqu’à ce jour, écartaient leurs enfants de la mer, parce qu’il fallait pour y arriver subir une triple nécessité, fort dure et fort regrettable pour eux ; nécessité de les envoyer à titre de novices sur les navires de guerre ; nécessité de les faire naviguer isolément et dans les conditions fâcheuses à tous égards sur les bâtiments du commerce ; nécessité de tronquer leurs études et de les diriger dans un sens exclusif, qui les rendait impropres à toute autre carrière en cas d’inaptitude ou de découragement. Désormais toutes ces difficultés seront aplanies : en permettant le remplacement aux inscrits maritimes en général et aux jeunes gens qui se destinent à devenir capitaines au long cours en particulier, le décret du 22 octobre 1863 a levé le premier de ces obstacles. En créant une section spéciale de navigation pour les pilotins, dirigée par des officiers choisis, soignée par un prêtre et par un médecin, l’École Saint-Elme fera disparaître le second. Enfin au point de vue classique, elle enlèvera toute inquiétude aux familles, en appuyant l’instruction de ses élèves, non sur un programme d’études exclusivement propre à la marine, mais sur les larges bases de l’enseignement secondaire spécial, qui trouve dans son admirable organisation assez d’ampleur et de souplesse pour rendre les jeunes gens également aptes à la marine, à l’industrie, au commerce et à l’agriculture.

Aux jeunes gens, l’École Saint-Elme rendra un double service : d’abord elle leur fournira le moyen de voir de près et d’expérimenter la carrière maritime, sans s’y engager d’une manière définitive, et sans retarder ni fausser la marche générale de leurs études. Ensuite elle leur ouvrira dans l’état-major de la marine marchande une carrière nouvelle honorable, indépendante, bien rétribuée et donnant droit à une pension desservie par l’État. Enfin elle permettra aux jeunes gens qui ont échoué à l’École Navale de se maintenir dans leur vocation générale, et d’arriver convenablement à un commandement dans la Marine du Commerce.

Aux armateurs, l’École Saint-Elme donnera ce qu’ils désirent le plus, des officiers instruits et habiles, capables de prendre efficacement leurs intérêts sur terre et sur mer.

4° À l’Etat enfin, l’École Saint-Elme préparera un corps homogène et instruit d’Officiers Auxiliaires, qui travaillera pendant la paix à la prospérité nationale, et qui saurait pendant la guerre seconder au besoin les officiers de notre flotte et soutenir dignement à côté d’eux la gloire maritime de la France.

 

L’ÉCOLE SAINT-ELME, FIDÈLE À SA VOCATION PREMIÈRE (1872-1880)

Mai 1873 : La goélette « L’Éclipse » effectue son premier voyage en mer avec des élèves de l’École.

Mai 1875 : « L’Éclipse » fait escale à Paris du 14 au 21 mai. Le petit navire-école suscite la curiosité et a de nombreux jours.

20 juin 1876 : Une délégation de l’École Saint-Elme est présente à Cazaux aux cérémonies d’inauguration de la voie ferrée, présidées par le Cardinal Donnet.

3 novembre 1876 : Le Cardinal Donnet, venu à Arcachon, bénit le « Saint-Elme ». A l’issue de la cérémonie, le R.P. Baudrand remercie le Cardinal et l’élite de la société arcachonnaise qui a tenu à être présente parce qu’elle a compris qu’en fondant l’École Maritime les R.P. Dominicains ont voulu faire avant tout une œuvre qui soit à la fois chrétienne et française. (L’Aquitaine du 18 novembre 1876).

21 janvier 1877 : L’élève Raoul de Gromard reçoit à bord du « Saint-Elme », la médaille d’or de sauvetage pour un sauvetage opéré par lui en juillet 1876 à Port Navalo.

14 avril 1877 : Le journal « L’Avenir d’Arcachon » reproduit la circulaire adressée aux parents des élèves relative à une croisière du «Saint-Elme ».

Circulaire du R.P. Baudrand

Le « Saint-Elme » est un trois-mâts barque, à doubles vergues, de 234 tonneaux. Dans son entrepont se trouvent trois postes complètement séparés, l’un pour l’équipage, l’autre pour les mousses, le troisième pour les élèves. La maistrance est logée dans un carré spécial, l’État-major dans la dunette.

Les capitaines qui commandent notre navire ont fait leurs preuves comme officiers à bord des paquebots des messageries et de la Compagnie Générale Transatlantique.

La maistrance se compose de : un maître de manœuvre, un maître de timonerie et un maître charpentier.

L’État Major compte, outre les officiers et professeurs, un aumônier et un chirurgien.

L’équipage se compose, indépendamment des élèves, d’un nombre de marins suffisant pour manœuvrer à eux seuls le navire. Les services de table et cuisine sont faits par les marins sous la direction d’un maître coq et d’un maître d’hôtel.

L’enseignement des cours de théorie continue pendant le voyage aussi exactement que le permettent les nécessités de la navigation. Les élèves prennent dans chaque port des notes qu’ils doivent ensuite rédiger en relation de voyage. Ces notes sont contrôlées d’un port à l’autre : la rédaction définitive doit être terminée et mise au net au moment du retour.

En dehors du temps consacré à leurs cours et à la rédaction de leurs notes, les élèves prennent part de jour et de nuit aux quarts règlementaires du bord. S’il se présente des manœuvres exceptionnellement dangereuses, elles sont faites par les hommes de l’équipage.

Au cours des voyages, comme en rade, les élèves n’ont avec les hommes d’équipage et avec les mousses, que les rapports strictement exigés par le service. Ils sont comme les marins soumis aux règles disciplinaires des navires marchands. Sauf modification, le « Saint-Elme » visitera : Oran, Alger, Naples, Civita Vecchia et Rome, Bastia, Marseille, Gibraltar, Algesiras, Cadix, Lisbonne et la Corogne.

Départ entre le 15 et le 30 avril – Retour vers la fin de juillet. »

 

La croisière racontée par le journal « L’Avenir d’Arcachon »

6 mai 1877 : Le « Saint-Elme » a quitté notre rade le 25 avril pour le Cap Ferret, où il a trouvé le remorqueur qui l’a aidé à franchir les passes. Le navire a annoncé son départ par des salves de coups de canon auxquelles ont répondu des salves tirées du château Deganne.

Le « Saint-Elme », qui attendait depuis trois semaines les vents favorables, a pris la mer, le 27 avril, remorqué par « Le Cormoran » des pêcheries à vapeur.

Le « Saint-Elme » a à son bord : 25 élèves, 3 officiers, 1 aumônier, 1 chirurgien, l maître de manœuvre, l maître de timonerie, 1 maître charpentier, 6 matelots, 2 mousses, l cuisinier, 1 maître d’hôtel, en tout 43 personnes.

13 mai 1877 : Le « Saint-Elme » a mouillé à Oran, le vendredi 11 mai à 9 heures. Tout va bien à bord.

3 juin 1877 : Contrarié par des vents d’est depuis le 15 mai, le « Saint-Elme » est arrivé à Alger, le lundi 28 mai.

24 juin 1877 : Le R.P. Baudrand a rejoint le « Saint-Elme » à Alger, le 14 juin, par le « Bastia » qui assure la traversée Marseille-Alger. Le « Saint-Elme » est mouillé à côté du navire de transport de l’État « L’Entreprenant ». Il ressemble à une petite mouette à côté d’un albatros. Le révérend Père a procédé tout de suite à une inspection. Le poste des élèves est garni de souvenirs parmi lesquels les poignards arabes sont en plus grand nombre.

Vendredi : Visite de la Trappe de Staoueli à 24 kilomètres d’Alger.

Samedi : L’évêque d’Alger, Monseigneur Lavigerie, a reçu à dîner dans sa villa de campagne les officiers, professeurs et élèves.

Dimanche : C’est le 47ème anniversaire de la prise d’Alger par l’Armée Française. Les élèves assistent à une grande revue passée sur le champ de manœuvres par le général Chanzy, Gouverneur Général de l’Algérie.

Lundi : Départ pour Naples. La brise est favorable. Arrivée à Naples le 26 juin.

À Naples, le R.P. Baudrand et les élèves prennent le train pour Rome et le 5 juillet sont reçus en audience par le Pape Pie IX. Séduit par ces jeunes marins, l’idée serait alors venue au Saint Père de vendre à l’École Saint-Elme le navire pontifical « L’Immacolata Concezionne ».

29 juillet 1877 : Parti de Naples le 10 juillet, le « Saint-Elme » est arrivé à Marseille le 23. Tout le monde à bord est en excellente santé.

16 septembre 1877 : Le « Saint-Elme » est revenu, il y a deux jours, dans le Bassin qu’il avait quitté il y a plus de cinq mois. Samedi, après une messe d’action de grâces et un banquet d’adieu, les élèves sont partis rejoindre leurs familles. Ils sont pleins d’entrain et en bonne santé. La rentrée à bord aura probablement lieu le 25 octobre. Le R.P. Baudrand qui avait quitté le «Saint-Elme»à Marseille et était revenu à Arcachon par le train, s’était vu remettre quelques jours plus tôt, le 11 septembre, les insignes d’Officier d’Académie par le Maréchal de Mac-Mahon, président de la République, en visite à Arcachon.

10 mars 1878 : Le journal « L’Avenir d’Arcachon » signale que le Commissaire de la Marine a adressé une lettre de remerciements au R.P. Baudrand pour le sauvetage par des élèves, dans les passes d’une barque de pêche bretonne.

1878 : C’est l’année de l’exposition universelle à Paris. En raison du succès remporté par « l’Éclipse » à Paris en 1875, le R.P. Baudrand pense qu’il serait bon pour la renommée de l’École d’être présent à l’exposition. Mais les bateaux de l’École ayant été jugé l’un trop petit, l’autre trop grand, c’est par « L’Etoile », yacht du Duc de Montebello, basé à Bayonne et prêté par la veuve du Duc, que « Saint-Elme » sera représentée à Paris. Partis de Bayonne le 3 mai, douze élèves rentreront à Arcachon le 25 juillet après avoir côtoyé la Belgique, la Hollande et la rive Sud des Iles Britanniques.

Octobre 1878 : L’École participe, les 9 et 10 octobre, aux cérémonies de l’inauguration de l’Eglise d’Arès par le Cardinal Donnet. « L’Eclipse », ancrée devant le port, salue l’arrivée du cardinal par une salve de coups de canons.

29 mars 1879 : Ce samedi vers 11 heures, une embarcation montée par un conducteur et un marin des Ponts et Chaussées chavire à une encablure du « Saint-Elme ». Deux élèves, Osmond de Maillé et de Potestad, ce dernier fils du consul général d’Espagne à Washington, se portent à leur secours et les ramènent à bord.

28 août 1879 : Henri et Paul Vessilier, élèves de l’École Saint-Elme, sauvent un jeune baigneur entraîné par le courant devant l’allée de l’église Notre-Dame.

 

L’immacolata Concezionne

Lettre du R.P. Baudrand, datée du 13 septembre 1878.

Le Souverain Pontife Léon XIII, désireux de diminuer autant que possible les lourdes charges du Trésor Pontifical, vient de donner au Consul Général du Saint Siège à Marseille, l’ordre de se défaire de son yacht à vapeur, « l’Immacolata », en faveur d’une œuvre qui soit à la fois catholique et maritime. Négligeant des conditions beaucoup plus avantageuses, il vient de nous offrir « l‘Immacolata » dans des conditions absolument exceptionnelles. L’École d’Arcachon peut seule moralement répondre aux désirs du Souverain Pontife, mais elle ne le peut matériellement.

Dimanche prochain, à la mairie d’Arcachon, réunion pour rechercher les moyens de résoudre cette situation et de rendre service tout à la fois au Trésor Pontifical, à l’École Maritime d’Arcachon et à la ville même d’Arcachon qui sera certainement fière de posséder sur sa rade un navire historique qui sera le plus beau yacht de France.

26 janvier 1879 : Le journal « L’Avenir d’Arcachon » citant le journal « La Gironde » annonce que le Pape a mis en vente son yacht à vapeur « L’Immacolata », confié au port de Toulon depuis 1870. L’École Maritime d’Arcachon s’en est rendue acquéreur. « L’Immacolata » est de construction anglaise ; sa machine est anglaise. C’est un trois-mâts goélette, long de 54 mètres, large de 8 mètres 20.

« L’Immacolata » arriva à Arcachon le 13 juillet après avoir relâché à Gibraltar, Lagos et Lisbonne. Le Cardinal Donnet venu à Arcachon pour le sixième anniversaire du couronnement de N.D. d’Arcachon, délégua son grand vicaire pour visiter le bateau du pape. Celui-ci était représenté à bord par un garde-noble en grand uniforme venant de Paris où il avait porté la barrette cardinalice à Monseigneur Pie. Le représentant du pape et celui de l’archevêque furent accueillis par les élèves au cri trois fois répété de «Vive le Saint Père – Vive la France ». Le pavillon pontifical flottait en haut du grand mât et le pavillon français à la corne d’artimon. Les canons tonnèrent et la fanfare de l’École joua ses plus beaux airs.

Le 13 septembre suivant, c’est la grande Duchesse Catherine de Russie, accompagnée de ses enfants, qui visita « l’Immacolata » et fut saluée à son départ par neuf coups de canon.

Jacques Traizet dans son livre « Le premier Navire École » a raconté l’histoire de « l’Immacolata Concezionne » : son exil à Toulon, son achat par l’École Saint-Elme, son arrivée à Arcachon, sa vente à un armateur du Havre, sa saisie à Londres en 1882, l’armateur ayant fait faillite.

Les élèves de Saint-Elme ne firent aucune sortie en mer sur ce yacht à vapeur. Leurs dernières croisières : Rochefort en mai-juin 1880, l’Espagne en juin-juillet, se firent sur le «Saint-Elme», l’« l’Immacolata » restant au mouillage dans le Bassin.

L’avenir de l’École Dominicaine d’Arcachon était, en effet, en péril : besoins d’argent, incertitude sur la possibilité d’une carrière maritime pour les élèves à leur sortie de l’École et surtout incompréhension des pouvoirs publics quand ce n’était pas leur hostilité. La vague antireligieuse et anticléricale qui avait secoué la France après la révolution de 1830 et qui avait été victorieusement combattue par Lacordaire et Montalembert, avait repris des forces sous la Troisième République. En 1880, des décrets furent pris contre des congrégations religieuses ; les jésuites furent expulsés. Une expérience comme celle de l’École Saint-Elme ne pouvait que déplaire au gouvernement. La prudence commandait de l’arrêter. C’est pourquoi à la rentrée scolaire d’octobre 1880, il n’y avait plus à Saint-Elme de section préparatoire à la Marine de Commerce.

 

SAINT-ELME, COLLÈGE SECONDAIRE ET DÉPART DES R.P. DOMINICAINS POUR L’EXIL

Jacques Traizet a écrit :

L’exploitation d’un navire-école ne peut être viable sans une aide importante de l’État. Financièrement, l’affaire du Père Baudrand était donc vraisemblablement condamnée.

Mais l’échec est dû aussi à la politique anticléricale de l’époque après les élections de 1878. Les Dominicains, ainsi que les autres ordres religieux, crurent en 1880 qu’ils allaient être obligés de partir à l’étranger. En réalité, leur départ n’aura lieu que 20 ans après, en 1903, mais pendant cette période incertaine ils durent rester dans l’ombre.

C’est pourtant dans cette période incertaine que fut bâtie la chapelle de l’École, dont les deux clochetons, symbole de foi, se voient toujours de très loin au-dessus de la cime des pins. L’École pendant ces 20 ans continua à participer activement à la vie d’Arcachon comme en témoigne la revue de presse suivante :

6 mars 1881 : Demain lundi, au Casino, matinée musicale donnée par les élèves de Saint-Elme au profit des pauvres.

24 juillet 1881 : Le dimanche 17 juillet, la fanfare de Saint-Elme a défilé sur le boulevard, vers 19 heures, en jouant un pas redoublé entraînant, qui lui a valu les marques les plus sympathiques de la part de la population.

Décembre 1882 : Le R.P. Baudrand, à la tête d’une délégation de 24 élèves, assiste à Bordeaux aux obsèques du Cardinal Donnet. Dans une lettre datée du 5 janvier 1883, il a raconté : «Triomphe sur toute la ligne. La chose a été loin, trop loin à mon avis, à cause des enfants qui ont été trop flattés et à cause des voisins devant et derrière qui ont été visiblement froissés. Sur toute la ligne et sur tout le parcours, et des deux côtés, on n’entendait que ces mots presque toujours les mêmes : Oh! qu’ils sont mignons, oh! qu’ils sont braves, oh! qu’ils sont jolis. Les enfants riaient discrètement et se rengorgeaient… Comme manifestation, ces funérailles ont été ce que j’ai vu de plus beau. Partout, beaucoup d’ordre et beaucoup de respect. Une foule immense dans toutes les rues et à toutes les fenêtres ».

23 février 1883 : Obsèques du R.P. Baudrand « enlevé par une mort presque subite, en pleine activité‚ et au milieu de sa course ». Le cortège, parti de l’École à 9 h 30, arriva à l’église N.-D. d’Arcachon à 10 h. 45. L’église était entièrement tendue de noir et remplie d’une foule considérable. La messe fut chantée par les élèves, M. Salzedo, professeur de chant au collège, chanta seul quelques versets du « Dies irae ». Le cercueil fut transporté à la gare, l’inhumation devant se faire dans le caveau des Dominicains, à Oullins.

14 mars 1886 : Le journal « L’Avenir d’Arcachon » rend compte de la séance littéraire et musicale donnée par les élèves au Casino.

13 mars 1888 : Le même journal rend compte d’une séance semblable donnée au Casino Mauresque à l’occasion de la saint Thomas d’Aquin.

26 juillet 1888 : distribution des prix. Extraits du discours du R.P. Libercier. « L’Éducation Nationale…doit être un système d’éducation où l’amour de la patrie occupe après la religion la première place. Le patriotisme dans l’éducation est un sentiment trop chrétien et trop évangélique pour que des éducateurs chrétiens puissent s’en passer. »

30 septembre 1888 : mise en place et bénédiction des statues de saint Vincent de Paul, Jeanne d’Arc et Pie V ornant la façade de l’École.

21 octobre 1888 : le journal « L’Avenir d’Arcachon » reproduit le sermon du R.P. Bourgeois, prieur du couvent des Dominicains de Paris, venu prêcher la retraite de début d’année scolaire où il est dit : «Vous serez appelés un jour à servir votre pays. Apprenez dès maintenant à aimer cette France qui doit être après Dieu et votre famille, le suprême objet de votre culte ».

1889 : une ordination à Saint-Elme. Le 12 mai dans la chapelle, un ancien élève est ordonné prêtre par le Cardinal Guilbert. Une escorte d’élèves à cheval accompagna la voiture du Cardinal du presbytère de N.-D. d’Arcachon à Saint-Elme.

23 mars 1890 : « L’Avenir d’Arcachon » annonce l’achat de grandes orgues par l’École Saint-Elme, provenant des ateliers de M. Ghys, facteur d’orgues renommé. Leur inauguration aura lieu le jeudi 27 mars, à 14 heures, avec le concours de l’organiste de la Cathédrale de Périgueux et celui de M. Lejeune, professeur au Conservatoire de Bordeaux.

1er novembre 1892, fête de la Toussaint : la chapelle était trop petite pour l’assistance à la messe de 9 heures, la nouvelle s’étant répandue en ville que Charles Gounod tiendrait l’orgue. Gounod, effectivement, se mit à l’orgue pour le Credo. Auparavant, il avait fait chanter aux élèves le « Kyrie » et le « Gloria », l’orgue étant tenu par M. Terrasse, organiste de l’École. Le 11 novembre, dans la semaine religieuse du Diocèse, on put lire : Personne de ceux qui ont pu assister à cette fête de la Toussaint, à l’École Saint-Elme, n’en perdra le souvenir.

7 mars 1893 : fête de Saint Thomas d’Aquin. Messe inédite de Charles Gounod, composée en 1844, chantée par les élèves sous la direction du R.P. Couturier. A l’issue de la messe, exécution pour la première fois d’un hymne religieux à Saint Dominique et à Saint Thomas d’Aquin, composé récemment par Gounod et dédié par l’illustre maître aux élèves de l’École Saint-Elme.

Jeudi 23 mars 1893 : pose de la première pierre de la nouvelle chapelle. La salle des fêtes actuelle fut la première chapelle de l’école. « Qu’elle était élégante et jolie, cette petite chapelle toute en boiseries et d’une acoustique si parfaite. Le Père Couturier la faisait résonner d’une musique si belle que l’on accourait de tout Arcachon et même de Bordeaux pour nous entendre aux jours de grandes fêtes » a dit le 29 mai 1938, à la réunion de l’Association des anciens élèves, Benito de Véricourt, son président de l’époque.

Elle était jolie cette petite chapelle, mais trop petite et mal commode d’accès. C’est pourquoi la construction d’un édifice plus vaste avait été décidée, et pendant de nombreuses récréations, des élèves arrachèrent à la dune des centaines de brouettes de sable pour créer la terrasse où il devrait s’élever. La première pierre fut bénite par le T.R.P. Libercier après une messe en plein air à laquelle assistaient l’entrepreneur et les ouvriers.

28 juin 1894 : bénédiction de la nouvelle chapelle. Après la pose de la première pierre, le 7 mars 1893, la construction de la chapelle avait été menée activement par des ouvriers appartenant à la corporation chrétienne du bâtiment. « Ce sera là, put-on lire dans la semaine religieuse du Diocèse, année 1893, page 482, le premier chef-d’œuvre de cette corporation vaillante qui est un des premiers syndicats mixtes fondés dans nos contrées ».

L’archevêque de Bordeaux qui n’avait pu assister à la pose de la première pierre, tint à être présent à la cérémonie de la consécration. Il arriva la veille, 27 juin, à Arcachon accueilli à la gare par le R.P. Libercier, provincial, et par le R.P. Didon, ainsi que par un peloton d’élèves à cheval qui entourèrent sa voiture. Celle-ci pénétra dans la cour de l’école pendant que sonnaient les cloches de l’église Saint Ferdinand. La bienvenue fut souhaitée au Cardinal Lecot dans le parloir de l’école par le R.P. Ligonnet, entouré du corps professoral. Du parloir, le cardinal passa dans la cour de récréation où les élèves, qui y avaient été massés, l’accueillirent par des applaudissements. Dans le fond de la cour la chapelle apparaissait « avec ses deux flèches dans la virginale beauté de sa masse imposante et de ses lignes harmonieuses, encadrée d’arbres verts, de drapeaux et d’oriflammes » (L’Avenir d’Arcachon du 8 juillet 1894). Benito de Véricourt, élève de philo, lut un compliment au Cardinal.

Le lendemain, 28 juin, la foule s’entassait sur le perron de la chapelle et sous les galeries du collège. « Les yeux sont émerveillés à la vue de cet édifice gracieux, élancé, recueilli, où la pierre blanche sous l’habile main de l’architecte Garros, semble s’être faite idée et prière ». La messe fut célébrée par le R.P. Libercier et le grand orateur sacré qu’était le R.P. Didon prêcha pendant plus d’une heure. Après la messe, l’archevêque de Bordeaux félicita les élèves pour leur bonne tenue et pour la franchise et la confiance qu’il lisait sur leurs visages. Au déjeuner qui suivit, réunissant « les membres les plus distingués du clergé et de la Société Arcachonnaise », le R.P. Libercier but à la santé du cardinal et exprima sa reconnaissance envers l’architecte Garros «artiste aussi distingué que modeste, dont la science et le talent, aidés d’une foi peu commune, savent tirer de la pierre des inspirations si pures ».

Le 22 février 1896, l’écrivain François Coppée, d’origine très modeste, poète des humbles et des petits, qui eut son heure de célébrité, visite l’École.

6 juillet 1897 : bénédiction d’une cloche de 525 kg, offerte par des amis de l’École et des anciens élèves.

Inscription : Mon nom est Madeleine. J’ai pour mission d’appeler à l’office divin les enfants de l’École Saint-Elme, dirigée par les Dominicains enseignants. Mon inauguration s’est faite sous les auspices du Cardinal Lecot, archevêque de Bordeaux en l’an de grâce 1897, Léon XIII étant pape, le Révérendissime Père Fruhwirth, maître général de la Congrégation, le T.R.P. Ligonnet, prieur de la dite École, Mme la Comtesse Dulong de Rosnay, représentée par la Comtesse de Fitz-James, est marraine, M. Tabuteau des Touches, président de la Société Anonyme de l’École Saint-Elme, parrain.

21 juillet 1898 : distribution des prix. Deux évêques y assistent : Mgr Varin, évêque d’Agen, et Mgr Jaulin, évêque de Jafna (Ceylan).

28 décembre 1898 : don d’un drapeau tricolore au R.P. Maurel1.

Le R.P. Maurel, professeur à l’École, remplace le R.P. Ligonnet. A cette occasion, un drapeau tricolore avec emblème du Sacré Cœur lui est offert. Le Père Maurel remercie en ces termes : « Désormais ce beau drapeau présidera toutes nos fêtes à la droite du tabernacle et en face de l’étendard de Saint-Elme. Vous garderez dans votre cœur ce double amour de Dieu et de la patrie. Oui, enfants, il faut croire en votre pays. Le patriotisme n’accepte pas plus le scepticisme que la religion. L’image du Sacré Cœur ne se sépare plus de celle de la France pour nous, catholiques et français. Je vous félicite d’avoir décoré ce beau drapeau de cet emblème».

1900 : l’idée d’une « Association des Anciens » est lancée. Le premier banquet a lieu à Paris en avril.

19 mars 1901 : inauguration du buste du R.P. Baudrand dans la cour d’honneur de l’École. Cette même année 1901, Waldeck-Rousseau étant président du Conseil, fut votée la loi sur les associations accordant à celles-ci un statut libéral, mais avec une dérogation en ce qui concernait les congrégations religieuses. Aucune congrégation ne pouvait être fondée sans une loi l’autorisant. Nul ne pouvait enseigner s’il était membre d’une congrégation non autorisée.

Waldeck-Rousseau avait poursuivi les congrégations, mais non l’Eglise. Le radical Émile Combes qui lui succéda après les élections de 1902 fit appliquer la loi 1901 avec une extrême rigueur. La plupart des demandes d’autorisation furent rejetées. En avril 1903, les Dominicains de Saint-Elme reçurent notification du rejet de leur demande d’autorisation. Il leur était interdit d’enseigner à partir du 31 juillet 1903.

 

SAINT-ELME SANS LES R.P. DOMINICAINS (1903-1920)

Interdit d’enseignement en France, le R.P. Maurel demanda asile à la catholique Espagne. Son choix se porta sur Saint-Sébastien. Au prix de nombreuses difficultés matérielles, il fonda un collège auquel il donna le nom de Captier, le fondateur du Collège d’Arcueil, fusillé par les Communards. De nombreux élèves, des familles même, suivirent les pères. On conserva l’uniforme, l’inscription de ruban fut seule changée et l’esprit de Saint- Elme devint celui de Captier. (« Le T.R.P. Maurel », par Auguste Casati, 1935).

Le 16 août 1903, le journal « L’Avenir d’Arcachon » annonça que les pères Dominicains avaient quitté Saint-Elme fin juillet. Le 7 juin précédent, il avait rendu compte de l’entrevue entre le président du Conseil et le maire d’Arcachon Veyrier-Montagnères. Combes avait été formel : la décision d’expulsion des Dominicains était irrévocable, par contre, il était favorable à la création à Arcachon d’un établissement secondaire avec des professeurs de l’État. Dans le même numéro, il était dit qu’une société civile était en formation pour assurer la survie de l’École Saint-Elme et que la rentrée scolaire y aurait lieu à la date habituelle.

Le 7 Juillet, il faisait savoir que la distribution des prix aurait lieu le 20 juillet et que la direction du Collège avait été confiée à un prêtre séculier, l’abbé Guillet.

 

La vie continue à Saint-Elme

Le 6 mars 1904, à l’occasion de la fête de Saint Thomas d’Aquin, est donnée une séance littéraire et musicale au profit des pauvres. L’abbé de Meurville avait été chargé de la partie musicale. « La foule des invités et des spectateurs s’écoula lentement, contente de cette bonne journée passée au milieu d’une jeunesse gaie et active ».

La vie continue donc à Saint-Elme, comme au bon temps des Dominicains, mais l’avenir était lourd de menaces. Le président du Conseil Combes, au pouvoir depuis 1902, était foncièrement antireligieux. Après les congrégations religieuses, c’est le Vatican qu’il prit pour cible et, en cette même année 1904, à propos de la nomination des évêques, eut lieu la rupture des relations diplomatiques entre Rome et la France.

En décembre 1905, le Parlement vota la loi sur la séparation de l’Église et de l’État : la République assurait la liberté de conscience mais tout ce qui était propriété de l’Église devenait propriété de l’État, ou du département ou de la commune, laissé toutefois à la disposition d’associations cultuelles à créer. Rome estima que le régime légal de ces associations cultuelles ne donnait pas suffisamment de garanties et aucune association ne vit le jour. L’Église de France se trouva alors dépossédée de ses fondations et de ses moyens d’action. Elle n’avait aucun moyen légal de se constituer un capital, de posséder un immeuble ou un titre de rente. Elle ne pouvait bénéficier d’un testament ou d’une donation.

Heureusement pour l’École Saint-Elme, son exploitation dépendait d’une Société Anonyme fondée en 1887, dénommée «Société Anonyme de l’École Saint-Elme ». La propriété de l’École fut reconnue à cette société par le Tribunal d’Instance de Grenoble en juillet 1905. Ce jugement fut confirmé le 7 août 1906 par la Cour d’Appel de Grenoble, ce qui fait que le grand prospectus de l’École Saint-Elme, édité en 1908, pouvait affirmer : « L’École Saint-Elme, telle qu’elle existe aujourd’hui, est un grand établissement d’enseignement secondaire. Fidèles à l’esprit de son fondateur, la Société Anonyme, qui en est propriétaire et qui l’administre, les prêtres qui la dirigent avec la collaboration de laïques dévoués, se proposent de former des chrétiens éclairés et convaincus, des hommes intelligents, aux idées larges, des français profondément attachés à leur pays. Pour atteindre ce but, ils inspirent à leurs élèves l’amour du travail et de l’action, persuadés qu’aujourd’hui, plus que jamais, à côté des chrétiens qui comptent sur l’assistance d’En-Haut, il faut l’Homme qui lutte. Le programme est admirablement résumé dans la devise de l’École : Aide-toi, le ciel t’aidera ».

Cette même année 1908, « la petite Académie » donna le 16 février une séance littéraire au profit des œuvres charitables de l’École. L’auteur du compte rendu paru dans « l’Avenir d’Arcachon », qui signe « spectator », assure que la voix grave et calme de l’élève P. Bedin dans « L’Invalide », rendant hommage à la patrie, a profondément ému.

La distribution des prix eut lieu le 26 juillet 1908 et fut présidée par le chanoine Verdalle, vicaire général de l’archevêque, qui témoigna de la sollicitude du cardinal Lecot pour l’École Saint-Elme d’Arcachon.

En 1911, au mois de mai, la romancière Marcelle Tinayre, dont le fils est élève à l’École donne une conférence sur la Tunisie et le 16 juillet « l’Avenir d’Arcachon » reproduit un article du journal « l’Éclair » où il est question de Saint-Elme, particulièrement élogieux pour le patriotisme enseigné à l’École.

En mars 1913, quand il est question devant les menaces de guerre d’une augmentation de la durée du Service Militaire, les grands élèves écrivent au député Albert de Mun et lui demandent de communiquer, aux députés et aux sénateurs le texte suivant :

Messieurs les sénateurs, Messieurs les députés,

Les élèves de l’École Saint-Elme d’Arcachon feront avec joie, pour assurer la dignité et l’indépendance de leur pays, le sacrifice de trois ans de leur jeunesse. Vive la France et tout pour la patrie.

Albert de Mun répondit le 19 mars 1913 : « Mes chers amis, je reçois ce matin votre lettre généreuse qui me touche grandement. Je la communique à la presse. C’est le meilleur moyen de la faire lire à ceux dont elle invoque la patriotisme ».

 

Pendant la Grande Guerre

Ce n’est pas trois ans de service militaire que firent les jeunes correspondants d’Albert de Mun, mais quatre ans de guerre et quatre-vingt-douze d’entre eux, tant de Saint-Elme que de Captier, tombèrent au champ d’honneur.

Du 2 août 1914 au 30 avril 1919, les bâtiments du Collège furent réquisitionnés pour servir d’hôpital. Durant ces années, le collège fonctionna comme externat dans des villas louées.

La chapelle de l’École resta ouverte au culte et des concerts furent donnés au profit d’œuvres charitables, tel celui du 26 septembre 1915 pour les blessés, organisé par la Croix Rouge et dirigé par le maître Francis Planté, ou celui du 31 janvier 1916 au profit des soldats aveugles de guerre dirigé par M. Manaut, professeur à l’Institut des jeunes aveugles, aveugle lui-même.

La tradition de la séance de distribution des prix en fin d’année scolaire fut respectée. Celle du 16 juillet 1917 fut présidée par le Général d’Ormesson. Dans son allocution, lors de celle de juillet 1918, le chanoine Bacheré‚ directeur de l’École, évoqua la figure de Bernard de Montardy qui, élève de seconde, s’engagea à 17 ans et mourut glorieusement au combat.

Le chanoine Bacheré‚ qui dirigea Saint-Elme pendant l’exil des Dominicains en Espagne, avait dû abandonner le collège diocésain de Sainte-Foy-la-Grande dont il était le directeur, quand le gouvernement de la République l’avait confisqué après la promulgation de la loi de séparation entre l’Église et l’État. Il s’efforça de maintenir au collège d’Arcachon le caractère que lui avait donné les fils de saint Dominique, ce qui lui permit, en mai 1911 à Bordeaux, au banquet des anciens d’affirmer que la façade du Collège sur le boulevard Deganne était toujours la même et que, derrière, le cœur n’avait pas changé. Après le retour des Pères, il resta encore un an comme directeur honoraire aux côtés du Père Maurel et se retira définitivement en 1921. Il mourut en septembre 1931, âgé de 80 ans.

Durant toute la période qui va de 1903 à 1920, les liens avec les Dominicains exilés en Espagne furent maintenus. Le 2 juin 1905 était née l’Association Amicale des anciens élèves des Écoles de Saint-Elme et de Captier. Une réunion avait lieu chaque année à Paris et à Bordeaux et le Père Maurel faisait le voyage pour se retrouver au milieu de ses fidèles anciens. Le 6 mai 1908, à Bordeaux, il leur dit : « Je ne connais pas de lien plus fort dans les sociétés humaines que le respect et l’amour des traditions. Les familles et les nations en vivent ; y porter atteinte, c’est désagréger ces sociétés et les mener à leur perte ».

L’extrait suivant d’un article paru dans le journal « Le Gaulois » et reproduit dans la semaine religieuse du Diocèse de Bordeaux, le 11 novembre 1910, servira de conclusion à cette description de la vie à Saint-Elme pendant ces dix-sept ans : « Oh ! La douce oasis que cette école et qu’il fait bon de regarder la figure ouverte, radieuse de santé et de bonne humeur de ces enfants. Tandis que je félicitais élèves et maîtres, le supérieur me dit : «c’est aujourd’hui la veillée des morts, voulez-vous venir avec nous les saluer».

« Très ému, je le suivis à travers le parc jusqu’à un tout petit cimetière caché dans les pins. Tandis que la prière montait du cœur de ces enfants jusqu’aux morts, je ne sais quelle émotion profonde, indéfinissable gagnait mon âme. Je songeais en voyant cette resplendissante jeunesse, pieusement agenouillée sur les tombes, que la France restera toujours, et quand même, le pays des miracles. »

Jacques RAGOT (†)

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NOTE

1. Né le 7 septembre 1859, le R.P. Maurel prit l’habit dominicain à 19 ans. Ordonné prêtre en 1883, il sera professeur au collège d’Arcueil, puis en 1885 au collège Saint-Elme, dont il deviendra prieur en 1898. En avril 1903, comme suite aux lois sur les congrégations, il sera obligé de quitter Saint-Elme et enseignera à l’école dominicaine de Captier en Espagne. En février 1920, il reviendra à Saint-Elme dont il sera le prieur jusqu’en 1933. Il décèdera le 15 février 1935 et sera inhumé dans le cimetière de l’école le 21 février 1935.

0307ArcachonSaintAnselme

Extrait des Bulletins n° 120 et 121 de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch.

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