Le banquier Émile Pereire et la commune de Marcheprime

Le banquier Émile Pereire et la commune de Marcheprime.

 

En 1822, l’historien bordelais Pierre Bernardau, celui qui traduisit en gascon de Bordeaux la « trois fois sublime Déclaration des Droits de l’Homme », fit le voya­ge de Bordeaux à La Teste où il n’était jamais encore allé. C’était quarante ans avant le boisement des landes girondines et à Marcheprime, nous dit-il, on commençait à apercevoir le sable blanc des dunes de la côte. Sur cette lande, «la nature triste et sombre» lui parut avoir perdu jusqu’à sa force végétative : « un maigre serpolet ino­dore et clairsemé est la seule plante qui couvre faiblement un sable infertile dont la blancheur affecte désagréablement la vue. Sans ce triste gazon qui voile un peu la nudité du sol, on verrait mentir le proverbe qui assure que la mauvaise herbe pousse toujours »1.

Pourtant, que d’espoirs cette lande n’avait-elle pas fait naître au XVIIIe siè­cle ! Elle appartenait au seigneur captal de Certes, pour lors le marquis de Civrac, qui la concéda en 1761 à une compagnie dite Compagnie d’agriculture de Certes. Le 21 novembre 1761, Alexis François Foyet, avocat au Parlement, chargé à Paris et à la Cour des affaires des Chambres des Comptes et Cour des Aydes, domaines et finan­ces de Franche-Comté, conseil de la Compagnie d’agriculture de Certes, en exécu­tion d’une délibération prise le 7 novembre par les administrateurs de cette Compa­gnie, se transporte de Bordeaux dans la seigneurie de Certes afin de reconnaître les landes vendues à la Compagnie par M. de Civrac, soit 240 000 arpents «faisant cinquante-deux lieues de superficie et vingt-deux en largeur». Il était accompagné par Dubois de Donillac, contrôleur général de la Compagnie, de Rilly, sous-directeur, Poivert, géomètre et Pinel, «fondeur et artiste», ce dernier pour l’examen des mine­rais contenus dans le sol, enfin des gardes de la dite Compagnie pour servir de gui­des.

La reconnaissance débuta au Putz de la Gubatte, près du Barp, et dura neuf jours. Le deuxième jour, François Foyet visita la paroisse de Mios, le troisième la rive gauche de la Leyre, le quatrième Les Argentières, le cinquième le reste de la paroisse de Biganos, le sixième Audenge et Certes, le septième Berganton, le huitième la Croix d’Hins « qui est sur le chemin de Bordeaux au bourg de La Teste, appelé la levée de Jules César ». Le neuvième jour, il rentra à Bordeaux où il signa le pro­cès-verbal de son inspection le 1er décembre.

François Foyet estimait que les terres de la seigneurie de Certes étaient bonnes et qu’on pouvait en tirer un très bon parti «puisque tout y croît». Elles convenaient «pour la production de toutes sortes de grains, pâturages, chanvre, légumes, mines de fer et autres denrées également utiles, tant pour la province de Guyenne que pour le royaume». François Foyet était sans doute un bon avocat mais ce n’était certaine­ment pas un agronome. La Compagnie d’agriculture de Certes échoua dans son en­treprise et la lande resta une lande, grevée d’un droit de pacage concédé aux habi­tants par le seigneur.

Les landes communales

Sous la Révolution, les landes du seigneur de Certes furent saisies. Une petite partie fut vendue comme bien national ; quant au reste, les communes s’en considé­rèrent propriétaires, pouvant par conséquent en disposer. C’est ainsi que l’on vit la mairie de Biganos, après avoir obtenu l’autorisation d’aliéner une partie du domaine communal par décret impérial du 12 juin 1811, vendre 10 journaux de lande au lieu- dit Testemaure à Étienne Ramon, originaire d’Audenge2.

Testemaure (qui a la figure bronzée comme celle d’un Maure) était probable­ment le surnom d’un berger ayant son parc à moutons dans le voisinage. Avec Mar­cheprim, ce sont deux exemples de surnoms devenus toponymes. Ce lieu-dit était à mi-distance de Bordeaux et de La Teste, et à l’embranchement d’un chemin menant à Mios. Étienne Ramon avait estimé le lieu propice à l’installation d’une auberge. Son fils cadet, Pierre, surnommé Marcheprim à cause d’une façon de marcher ma­niérée ou trotte-menu (l’adjectif gascon prim se traduit en français par mince, menu, délicat) lui succéda et déjà en 1822 son surnom était devenu le nom de l’auberge et du lieu puisque Bernardau ne parle que de « Marcheprime ». La Compagnie du che­min de fer de Bordeaux à La Teste crut bon de conserver le nom de « Testemaure » à la neuvième station en venant de Bordeaux quand la voie fut ouverte en 1841, mais ce nom fut rapidement remplacé par celui de Marcheprime.

Une auberge et une station de chemin de fer ne font pas un village ; une fois le train passé, Marcheprime redevenait une lande à moutons, mais cette lande intéres­sait beaucoup de monde. En 1814 en effet, une ordonnance du roi Louis XVIII avait permis aux héritiers des anciens seigneurs de revendiquer ceux des biens de ces der­niers qui n’avaient pas été vendus ou qui étaient détenus par les communes. Les héritiers du marquis de Civrac réclamèrent les landes non vendues aux différentes communes qui se les étaient appropriées, mais celles-ci n’entendaient pas se laisser déposséder, d’où procès. Le 28 juin 1836, le Tribunal de Bordeaux jugea que les héritiers du marquis de Civrac étaient propriétaires à Lanton, Biganos et Mios des landes non adjugées en l’an VI3.

Les communes firent appel ; la Cour, le 28 juin 1839, confirma le jugement du 28 juin 1836. La répartition de la lande entre les communes et les héritiers Civrac fut précisée en 1846 par un jugement du Tribunal de Bordeaux3. Revenaient :

–   à Lanton, à la commune 5 375 ha, aux héritiers Civrac 5 089 ha,

–   à Biganos, à la commune 681 ha, aux héritiers Civrac 712 ha,

–   à Mios, à la commune 8 446 ha, aux héritiers Civrac 2 512 ha.

Voilà donc, en 1846, les héritiers Civrac propriétaires de près de 9 000 hecta­res de landes dont ils ne savent que faire. Heureusement pour eux, «dans la foulée de la voie Bordeaux – La Teste, sur le bassin d’Arcachon, à laquelle ils ont travaillé, et des décisions présidentielles puis impériales, les frères Pereire se lancent résolu­ment dans une aventure nouvelle : l’assainissement des terrains marécageux et la plantation d’espèces végétales. En 1852-1853 Émile fait l’acquisition de 8 990 hec­tares sur les quatre communes situées à l’est-sud-est du Bassin d’Arcachon : Lan­ton, Audenge, Biganos et Mios. Leurs propriétaires, le comte de Tracy, la comtesse de Clermont-Tonnerre et madame d’Equivilly sont satisfaits de pouvoir céder, dans d’honorables conditions, des terres pratiquement incultes qui pourtant deviendront les domaines de Marcheprime, de Croix d’Hins et de Caudos4.

Le domaine de Marcheprime

« Émile Pereire a foi dans l’avenir des plantations de pins. C’est lui le mon­sieur de Paris qui était venu dans les landes pour essayer le drainage dont parle Maître Pierré5… son système d’assainissement par drains couverts ne résista pas à l’expérience. Pereire ne persista pas d’ailleurs dans cette coûteuse expérience et adopta le système préconisé par Crouzet et appliqué par lui dans le domaine impé­rial des Landes.6

Des pins furent semés sur 1 015 hectares dans la commune de Biganos, sur 913 hectares dans celle de Mios, sur 1 460 hectares dans celle d’Audenge et sur 5 044 dans celle de Lanton. Ainsi fut constitué le domaine de Marcheprime, proprié­té de la Société Pereire, société anonyme au capital initial de 18 000 000 francs, ramené par la suite à 3 468 939 francs, dont le siège social était à Paris, 32 avenue de Villiers6.

En 1863, le domaine était dans sa quatrième année. Vingt-trois maisons avaient été construites assurant quarante-sept logements au personnel d’exploitation. Pereire continuait à faire construire, certain que, dans un proche avenir, la population passe­rait de 280 à 800 ou 1 000 âmes. Une école avait été ouverte le 1er décembre 1861 et était fréquentée par quarante garçons. L’église et le presbytère, construits aux frais d’Émile Pereire, se trouvaient entre un jardin botanique et un jardin public dont le bassin devait être alimenté par un puits artésien en cours de forage ; celui-ci assure­rait également la distribution d’eau potable. L’église avait été ouverte au culte dans le courant du premier semestre 1863.

Dans ce Marcheprime de 1863, il y avait déjà : une recette buraliste, une bou­cherie, une épicerie, une usine à distiller la résine, un chai à vins, un «hôtel», c’est-à- dire l’auberge de Pierre Ramon, un four à chaux, un haras approuvé, un lavoir public7. Il ne faut donc pas s’étonner qu’un certain nombre d’employés du domaine aient songé à rendre leur petit centre indépendant.

Demande d’érection en commune

Ce furent les employés du domaine ressortissant de la commune de Mios qui, le 12 juin 1863, prirent l’initiative d’adresser une pétition au sénateur Pietri, chargé de l’administration du département, tendant à obtenir l’érection de Marcheprime en commune. Au bas de cette pétition, Émile Pereire mit l’apostille suivante : « J’ai l’honneur de recommander d’une manière toute particulière à la sollicitude de M. le sénateur la demande qui lui est faite d’ériger en commune le centre formé à Marche­prime. Je puis lui donner l’assurance que mon désir est de développer sur ce point un mouvement agricole et industriel qui sera un bon exemple pour la transformation des landes »8.

Il était proposé de rattacher à la future commune les lieux-dits suivants :

– Commune de Cestas : Verdery, Castillon, Courteils (pour Courtèlhs = les étables), Croix d’Hins, Passage de Cestas,

– Commune d’Audenge : Pichicard (probablement pour piche-câ, pisse-chien, la­dre, surnom d’un personnage désagréable), Bastias, Renardière, Castera, Petit Castera, Pointe-Émile, Pied Bossu, Dutort (du tort, surnom d’un boiteux), Ramond, Les Agassats (les petits de la pie),

– Commune de Biganos : Testaudenge, Pigaugut (peut-être pour pigue agude, la pie indiscrète, surnom), La Procession, Biarch, Marcheprime, Lafargue, La Massière, Constantin, Pujoulet (le petit pujo, monticule), Gartiou des Porcs (l’enclos des cochons),

– Commune de Mios : Lapujeyre (pour lapoujère, la montée, le raidillon), Lagunat (la petite lagune).

Mios abandonnait ainsi 4 feux et 13 habitants, Biganos 29 feux et 134 habi­tants, Audenge 3 feux et 12 habitants.

Une enquête eut lieu le 5 juillet, simultanément dans les communes de Cestas, Mios et Biganos.

– À Cestas, le curé, M. Catalogne, demande que le hameau de Potopin soit rattaché également à la future commune. Le commissaire enquêteur, qui était le commis­saire de police du canton de Pessac, se déclara, quant à lui, opposé à la distraction des hameaux de Courteils, Hins et Saint-Raymond.

– À Mios, les habitants des parcelles devant être incorporées dans le territoire de l’éventuelle commune de Marcheprime déclarèrent au commissaire enquêteur, Jean Mora, qu’ils n’étaient pas opposés au projet à condition que M. Pereire les laissât gratuitement, comme par le passé, couper la bruyère, faire pacager leurs vaches et leurs moutons, qu’il s’engageât à céder gratuitement les bâtiments publics qu’il avait fait construire et que ses descendants «ne cherchent pas à les chagriner plus qu’ils ne l’ont été jusqu’à ce jour.». Aucun autre habitant de la commune ne se présenta.

– À Biganos, les habitants de la partie de la commune qui devait être cédée firent enregistrer par le commissaire enquêteur Lambert qu’ils exigeaient le maintien de l’autorisation qu’ils avaient de couper gratuitement la bruyère et de faire pacager au tarif annuel actuellement en vigueur, soit 2 francs par vache et 5 centimes par brebis. Ils demandaient, eux aussi, que les bâtiments publics construits par M. Pereire, leur soient cédés gratuitement.

Les conseils municipaux de Cestas, Mios et Biganos délibérèrent le 12 juillet :

– Cestas par 9 voix contre 2 refusa le projet parce que l’amputation de 200 hectares de son territoire diminuait ses revenus.

– Mios fut favorable sous réserve que les 113 hectares de landes communales incor­porées dans les limites de la future commune continuent à lui appartenir et qu’il n’y ait rien à payer pour l’église et les bâtiments publics.

– Biganos donna son accord par 14 voix contre 3 «pour seconder l’homme éminent qui a pris l’initiative onéreuse de rallier les habitants disséminés sur une lande déserte pour les faire participer au progrès de la civilisation» mais l’église, le presbytère et l’école devraient être légués par «un acte authentique» à la future commune. En outre, un emplacement près du Bourg de Marcheprime était solli­cité pour servir de champ de foire «au cas où il en serait établi une».

À Audenge, le conseil municipal ne délibéra pas le 12, mais le 16 juillet, au cours d’une séance extraordinaire. À l’unanimité, il se déclare favorable à la création de la commune de Marcheprime, demandant toutefois une rectification des limites proposées et spécifiant que la nouvelle commune devrait faire partie du canton d’Audenge.

Rapport au Conseil d arrondissement

Le sénateur Pietri fit au Conseil d’arrondissement un rapport favorable. Il con­venait de regrouper les populations disséminées sur de vastes étendues, ce que M. Pereire faisait à Marcheprime, mais ce nouveau centre se trouvait à plus de 14 km de la mairie de Biganos dont il dépendait. La nouvelle commune ne serait qu’à 28 km de Bordeaux, occupant un plateau très sain sur lequel M. Pereire venait de faire creuser 1 000 km de fossés. Un médecin venait y donner des consultations deux fois par semaine.

Le 21 août 1863, le préfet saisit le Conseil général qui désigna une commission. Le rapport de celle-ci fut lu devant le Conseil à la session suivante par le conseiller général du canton d’Audenge. Il concluait à la nécessité de l’érection du quartier de Marcheprime en commune en raison de son éloignement de Biganos : «… que de pertes de temps, que de fatigues n’entraine pas la déclaration des naissances et des décès par des chemins couverts d’eau en hiver et de sables mouvants en été. Le Landais a quelquefois un petit cheval qu’il nourrit de bruyères pour le transporter au chef-lieu, dans l’objet de vêtir (sic) la loi sur les déclarations à l’officier d’État Civil, mais le plus souvent, il se sert d’échasses pour entreprendre ce long voyage.

La cérémonie des funérailles dans ces contrées désertes offre aussi de bien grandes difficultés, car c’est avec une charrette attelée de vaches du pays que l’on transporte le corps à sa dernière demeure et il ne faut pas moins de 7 à 8 heures pour venir à l’église et s’en revenir au hameau ».

La commission posait comme condition absolue de l’érection de Marchepri­me en commune, l’abandon immédiat et gratuit de l’église, du presbytère et de l’éco­le par M. Pereire. Elle souhaitait que celui-ci «joigne à ses libéralités» l’adduction d’eau potable et la cession de terrains destinés à servir de place publique et de cimetière8.

Or, Émile Pereire se refusait absolument à céder gratuitement l’église, le pres­bytère et l’école. Il l’avait fait savoir dès le 11 août 1863, quand il avait appris que les communes posaient cette exigence. Devant son refus renouvelé, le préfet et la commission désignée par le Conseil général décidèrent qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à la demande d’érection de Marcheprime en commune. Cette érection ne se fera que 83 ans plus tard, en 1946, et le Conseil municipal de Marcheprime se réunira pour la première fois le 10 novembre 19469.

Après la mort d’Émile Pereire, survenue en 1875, le domaine de Marcheprime revint à ses héritiers qui, en août 1917, le vendirent à la famille Thévenot. Celle-ci, en 1923, le revendit à la Société anonyme du domaine de Marcheprime, constituée par des négociants en produits résineux d’Anvers, MM. Good et Speth. C’est cette société qui, en 1946, à la création de la commune, fit don à celle-ci des bâtiments qu’Émile Pereire s’était refusé à céder en 1863 : l’église, le presbytère et l’école.

À propos de cette dernière, les héritiers Pereire eurent des difficultés avec la commune de Biganos. Après l’échec du projet d’érection en commune en 1863, un arrangement au sujet de l’école allait être conclu entre Émile Pereire et la municipa­lité de Biganos. Bien que sur les 40 enfants qui fréquentaient l’école du domaine, il n’y en eu que 10 appartenant à des familles de Biganos, cette commune recrutait et rémunérait un instituteur laïque. Le domaine fournissait les locaux, le mobilier, le matériel scolaire et s’engageait à les entretenir. En 1882, à la suite de différends entre le régisseur du domaine et l’instituteur, les héritiers Pereire firent signifier le 15 janvier 1883, par voie d’huissier, à la municipalité de Biganos, d’avoir à faire évacuer les locaux scolaires. Le 1er août 1883, le Conseil municipal répondit en déci­dant le transfert de l’école de Marcheprime aux Argenteyres.10

Saint Émilion ou saint Émile ?

À l’origine, l’église construite par Émile Pereire fut considérée par l’autorité religieuse comme une chapelle de secours dépendant de la succursale de Lacanau-de-Mios. Elle devint église paroissiale à la création de la commune en 1946.

Dans ses Notes touristiques sur le Pays de Buch, livre paru en 1928, André Rebsomen a décrit l’église de Marcheprime : « La chapelle du transept, côté Sud,dit-il,est dédiée à Saint Emile dont on voit la statue. Le saint est vêtu en moine, tenant la crosse de la main gauche ; sa main droite supporte trois pains superposés. N’oublions pas que M. Pereire avait pour prénom Émile ».

André Rebsomen a commis une erreur. Cette statue ne représente pas saint Émile mais saint Émilion. En faisant porter au personnage trois pains dans la main droite, le statuaire a voulu rappeler un fait miraculeux rapporté par les hagiographes de saint Émilion. Ce dernier était l’intendant du comte de sa province ; « des jaloux ayant prétendu qu’il dissipait les biens de son maître, celui-ci pensa le prendre en défaut un jour où, selon son habitude, Émilion, ayant dissimulé sous son manteau des pains pour les porter aux pauvres, traversait une forêt :

– Que portes-tu caché sous ton sein ? lui demanda le comte.

– Je porte des morceaux de bois pour réchauffer les pauvres.

– Montre-les-moi, dit le seigneur.

Émilion se découvrit et les pains qu’il portait se trouvèrent, par miracle, changés, comme il avait dit, en morceaux de bois mort »(11).

De plus, il ne faut pas, pour expliquer le prénom Émile porté par l’aîné des Pereire, se référer au calendrier de l’Église catholique mais à « Émile », l’ouvrage de Jean-Jacques Rousseau. Francisco Jacob Rodrigues Pereire, le grand-père d’Émile, avait habité à Paris la même rue que l’écrivain qui, dans son œuvre, cite Francisco Jacob comme «le seul homme de son temps qui fit parler les muets»(4). C’est en témoignage de reconnaissance et d’admiration envers Jean-Jacques Rousseau qu’Isaac Rodrigues Pereire, fils de Francisco Jacob, donna à son fils aîné, le prénom de Jacob Émile12.

André Rebsomen a également contre lui l’ordonnance administrative du diocèse de Bordeaux qui place l’église de Marche­prime sous le patronage de saint Émilion. Mais comment expliquer, au pays de la résine, le patronage de ce saint venu du pays du jus de la treille ?

Les archives de l’archevêché et du département ne donnent aucune indication. On fera donc la supposition suivante : Émile Pereire a voulu vraisemblablement met­tre l’église qu’il venait de faire construire sous le patronage de saint Émile, puisque Émile était son second prénom. L’archevêché consulté dut lui faire remarquer que l’Église catholique comptait un bon nombre de saints Émile, aussi inconnus les uns que les autres des habitants des landes girondines, et dut lui proposer saint Émilion.

Émile et Émilion sont en effet proches phonétiquement et le second à l’avan­tage sur le premier d’être bien connu au pays des pins par les amateurs de bon vin qui y sont nombreux.

NB : La statue de Saint Émilion ne se trouve plus dans l’église de Marchepri­me. De même ont disparu les tableaux, don de la famille Pereire, qu’y vit encore en 1928 l’historien André Rebsomen : un Christ au Jardin des oliviers, à gauche de l’autel ; Moïse tenant les tables de la Loi, à droite ; un petit tableau figurant saint François d’Assise et saint Dominique, probablement du XVIe siècle et ayant conser­vé un coloris très vivant, exposé sur le mur faisant face à la chaire.

Jacques RAGOT

NOTES ET RÉFÉRENCES

1. Bernardau (P.), Voyage de Bordeaux à La Teste en 1822.

2. Labat (Pierre), “Les origines de Lubec et Marcheprime”, dans BSHAA n° 17, 3e trimestre 1978.

3. Labat (Pierre), “Origine des forêts communales d’Audenge, Biganos, Lanton et Mios”, dans BSHAA n° 6, année 1975.

4. Autin (Jean), Les Frères Pereire – Le bonheur d’entreprendre, 1983, Librairie académique Perrin.

5. About (Edmond), Maître Pierre, 1858.

6. Sargos (Roger), Contribution à l’histoire du boisement des Landes de Gascogne, 1949, Éditions Delmas.

7. AD Gironde, 1M321 : Rapport du sénateur Pietri au Conseil d’arrondissement.

8. Ibid.

9. Bernard Marrey, dans La Ville d’Hiver d’Arcachon, édité en 1983 par l’Institut français d’archi­tecture, a commis une erreur en attribuant à Émile Pereire l’érection de Marcheprime en commune en 1863.

10. Registre des délibérations du Conseil municipal de Biganos.

11. «La vie de saint Émilion» dans Saint-Émilion, son histoire, ses monuments, ses vins, édité par le Syndicat d’initiative de Saint-Émilion.

12. Admirateur de Jean-Jacques Rousseau, Isaac Rogrigues Pereire l’était sans doute aussi de la my­thologie grecque, c’est pourquoi il appela son second fils Mardochée Télèphe (mort très jeune). Seul le troisième garçon reçut un prénom uniquement juif : Isaac.

Extrait du Bulletin n° 144 du 2e trimestre 2010 de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch.

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