La vue du bassin qu’avait P. Frondaie

 Trois pins ...

TROIS PINS, DEVANT LA MER…

Par une heureuse et singulière coïncidence, la photographie de notre page suivante [ci-dessus] reproduit tout justement la vue même que M. Pierre Frondaie avait sous les fenêtres de son cabinet tandis qu’il achevait de travailler au roman que, si nous en croyons tous les échos, nos lecteurs suivent avec un intérêt sans cesse accru. On trouvera, en deux pages magistrales, dans la quatrième partie de l’Homme à l’Hispano, qui paraîtra la semaine prochaine, une description saisissante de la forêt et du bassin d’Arcachon. Nous avons donc demandé à M. Pierre Frondaie, en lui communiquant cette gravure, de la commenter pour nous en quelques lignes.

Ces trois pins devant la mer, je les connais. Ils sont des amis intimes. Des mois et des mois je les ai vus se dresser comme l’orgueil, presque nus et dépouillés de toute richesse inutile, n’ayant que leur élan pour beauté et leur sève intérieure pour porter la vie aux branches hautes. Je les connais. Ce sont de grands conseilleurs de droiture et d’équilibre. Et tout le long de la côte ils ont des frères qui leur ressemblent et possèdent les mêmes vertus. Arbres purs, sévères avec élégance, sapins du Sud !
Je ne pourrais tenter ici une description verbale de l’image que j’ai eue si souvent sous les yeux : d’abord parce qu’elle est inutile et que Napoléon avait raison de préférer le croquis au rapport, et aussi parce que, cette description, je l’ai faite de mon mieux et en m’y appliquant, dans une œuvre d’imagination dont les paysages ne sont pas inventés, mais vus. Je ne pourrais que rabâcher. Mais je vais essayer de « faire le guide ».

… Suivez le guide…

« Au bas de ces trois pins, immédiatement une descente de dune, d’environ dix mètres, descente abrupte, lourde aux pieds chaussés, mais facile aux pieds nus, et alors une plage. Une plage adorable, douce, sableuse, longue en même temps que bornée, – et où fleurissent les méduses. Presque toujours déserte. Là, j’ai vu bien souvent, vers 1912, un petit homme vêtu de blanc et de gris et qui se promenait en faisant bondir des lévriers :

Monsieur d’Annunzio, comme il est loin, le temps
Où nos maisons d’hier voisinaient sur la grève!
Rappelez-vous : un jour, j’allai vous voir. La sève
Coulait du cœur blessé des grands pins exaltants…
Autour de vous dansaient vos beaux chiens haletants…

« Temps disparus ! Mais, n’est-ce pas ? Qu’ayant quitté Fiesole, ses collines pareilles à des coupes merveilleuses, et toute la divine Italie, pour venir, quelques années, vivre en France, un grand poète ait justement, de tous les points de notre terre, choisi celui-là, c’est « une référence », comme on dit. Il fallait, dans le lieu élu par un si grand visionnaire, la présence constante de la beauté…
« La petite plage – en bas des pins, je le répète – se couvre d’un peuple charmant aux époques des vacances. Ah! que nous sommes loin de ces Amériques où des inquisiteurs étonnants mesurent la longueur des jupes quand les femmes s’en vont au bain !
« Le large fleuve que vous voyez, – cinq ou six kilomètres, – c’est le goulot de la bouteille, l’entrée du bassin qui, plus loin, s’arrondit comme une silhouette de turbot, – et qui serait le plus merveilleux des ports de mer, si les sables n’y mettaient, éternellement, le holà. Ne vous y trompez pas : quelquefois, cette entrée-là perd l’aspect débonnaire ; quelquefois les passes deviennent terribles. Chaque année, elles assassinent. Les sardiniers, cet automne même, ont eu des deuils.
« Au fond, la ligne de terre, côté Nord du bassin d’Arcachon, – donc exposée au Midi. Là commence une région qui sent l’huître, le sel et l’oiseau, une région de paysages à la Stevenson, encore mal commode et d’un charme surprenant. Puis, la côte de l’océan monte perpendiculairement vers l’embouchure de la Gironde. Donc, à la droite des pins, le bassin ; à la gauche, l’océan.
« Et si vous imaginez que vous êtes sous l’un des arbres, et que vous regardez la mer, vous avez derrière vous une forêt qui s’étend jusqu’à Bayonne. »

….Ici, le guide fait un petit salut et s’en va….

J’ai vu bien des pays. Je n’en connais pas qui soit moins barbare que celui-ci, et, cependant, il est sauvage. Mais, comme je l’ai expliqué plus haut, je n’en veux rien dire ici, trop heureux si la belle photographie, si bien éclairée, n’a pas été obscurcie par ce commentaire improvisé.

P.F.

Recueilli par Jean-Pierre Ardoin Saint Amand dans L’ I l l u s t r a t i o n de 1925

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