Le château féodal d’Audenge
La défense des côtes marécageuses du Bassin d’Arcachon était au Moyen-Âge assurée par quatre ouvrages fortifiés : les châteaux forts de La Teste et de Certes, le château féodal d’Audenge, la tour de la Mothe.1
Les deux premiers, situés dans les paroisses de La Teste et Audenge sont les plus connus. Ces ouvrages, à peu près de la même époque, semble-t-il, étaient des constructions en pierre et eurent à souffrir des combats qui en juillet 1653 mirent fin aux troubles de la Fronde bordelaise. Le château de La Teste disparut après la Révolution ; celui de Certes et la tour de Lamothe furent démolis à l’occasion de la création des salines en 1768.
On sait moins que la paroisse d’Audenge eut un premier château fort en bois, très antérieur aux ouvrages précédents. Ce château féodal en bois était le siège, et la place forte de la très vieille seigneurie d’Audenge. Quelques rares Audengeois, parmi les plus âgés, peuvent encore préciser l’emplacement du Castéra où s’élevait le château de Certes. Mais personne aujourd’hui n’a entendu parler d’un château féodal près de l’ancien bourg d’Audenge. Il n’y a pas lieu de s’en étonner : ce château a disparu il y a six siècles. Cependant il est le seul ouvrage qui ait laissé quelques vestiges sur le sol où il était construit.
C’est au cours de l’année 1975 que le site de ce château a été retrouvé et reconnu. Les membres de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch présents à la réunion tenue le 27 mars 1976 s’y sont rendus et ont pu examiner sur le sol les poutres millénaires de ce château de bois.
UN CHÂTEAU PERDU ET RETROUVÉ
L’existence d’un château féodal à Audenge est attestée par la Charte de 1275 publiée dans la collection des « Archives Historiques de la Gironde ». Mais nous devons à Guillon de nous avoir mis sur la voie de la redécouverte de ce château oublié.
Guillon écrivit en 1886 son ouvrage « Les Châteaux Historiques de la Gironde». Il faut être très prudent sur les affirmations de cet auteur, sur ses interprétations et explications. Son ouvrage appelle des vérifications nombreuses et précises. Si Guillon ne tombe pas dans l’erreur de confondre Certes et Audenge, il commet celle qui consiste à chercher un château du Moyen-Âge en plein bourg d’Audenge !
Sous le titre « Le château d’Audenge » il fait référence à plusieurs textes du XIVe siècle concernant la Seigneurie et il dit très étourdiment : « Audenge… avait dans le bourg un château… ce château dont il ne reste aucune trace… » Puis, un autre chapitre est consacré au « Truc du Moulin » : « Un troisième castéra existe à l’ouest du bourg, c’est le Truc du Moulin. Il est situé à l’entrée des marais, près d’un étang et d’un moulin, ce qui lui a valu son nom ; il se compose de deux mottes d’inégale grandeur, à peu près rondes, séparées par une tranchée entourée de fossés, larges de dix à douze mètres qui vont se dégorger dans l’étang. La motte du sud est plus grande et plus élevée que celle du nord, mais toutes deux ont une surface semi-sphérique couverte d’herbes et de fleurs des champs. Ce n’est qu’à l’aide d’un batelet qu’on peut traverser les larges fossés qui entourent cette fortification du Moyen-Âge.
« Le Truc du Moulin rappelle la forme des anciens châteaux normands et la tradition dit que c’est un lieu destiné à garder Audenge ; il n’y a pas eu de construction en pierre, mais on y a trouvé de grosses pièces de bois qui laissent entrevoir une de ces fertés ou châteaux de bois, en usage au 9ème siècle. Cette motte ou plutôt ce truc abandonné dans un site solitaire et qui n’a laissé aucun souvenir historique, appartenait à M. de Vailly ; il est aujourd’hui la propriété de M. L’Escalopier, son gendre (Renseignements donnés par M. le juge de Paix d’Audenge, visité le 4.5.1866). »
Le terme de « Truc du Moulin » est tombé en désuétude. Les mottes décrites par Guillon n’ont plus de nom. Le moulin à vent et non à eau dont il est question a disparu depuis l’époque où l’ouvrage de Guillon fut écrit. Lui aussi a une histoire, nous y reviendrons.
Ainsi Guillon n’avait pas pensé que la double motte isolée dans un site sauvage était ce château fort seigneurial dont il cherchait en vain une trace en plein bourg. Il est équivoque enfin de parler de larges fossés et d’étang. Le réseau hydraulique qui entoure les mottes est simplement une partie des anciennes salines établies en 1770 – 1772 sur les côtes de l’ex-seigneurie et transformées en réservoirs à poissons en 1800.
Sous ces réserves et à très peu de choses près, la description des mottes de 1886 permet de reconnaître les lieux tels qu’ils sont demeurés jusqu’ici.
CONFUSION ENTRE CERTES ET AUDENGE
Guillon était venu à Audenge. Aussi avait-il pu distinguer clairement les châteaux de Certes et d’Audenge. Tous les historiens – et non des moindres – ne sont probablement pas allés reconnaître les sites de ces anciens ouvrages. Ainsi on peut lire dans un ouvrage moderne – et par ailleurs remarquable : « Ce château d’Audenge devait occuper la motte de Certes jadis entourée par les eaux du flux »2. Or, le château d’Audenge fut le siège, chef-lieu et place forte de la seigneurie de ce nom dont l’histoire sera décrite par ailleurs. Le château de Certes fut le siège, chef-lieu et place forte de la seigneurie de Certes qui appartint successivement aux « Bordeaux », aux captaux de Buch et Certes, puis aux captaux de Certes à partir de 1500
Sans doute, les deux ouvrages étaient édifiés sur motte au milieu des marécages, mais le premier était en bois et le second en pierre. Ils n’étaient pas de la même époque et plus de deux kilomètres séparent les bourgs de Certes et d’Audenge.
Vue d’ensemble de la motte féodale d’Audenge.
DOCUMENTATION CONCERNANT L’HISTOIRE DU CHÂTEAU D’AUDENGE
1e) Textes du Moyen-Âge :
Le château d’Audenge n’est cité que dans quelques textes anciens : Deux textes concernent la famille de Blanquefort, ce sont les plus importants ; deux autres les Ornon, ce ne sont que de simples mentions :
– La Charte du 5 septembre 12753 précise que les habitants de Salles et de Mios doivent assurer la garde au Château d’Audenge, en temps de guerre comme en temps de paix, et « comme déjà leurs ancêtres».
– La requête de 1320 -13304 concerne Bernard de Blanquefort.
Il précise que le Seigneur d’Audenge est en possession de la juridiction haute et basse et pouvoir majeur sur son « Château et motte d’Audenge » où les criminels sont emprisonnés et Bernard de Blanquefort s’estime lésé et outragé par les gens du roi d’Angleterre qui se sont emparés de son prisonnier et l’ont empêché de procéder à sa pendaison.
– Le 30 août 13325, Gaillard d’Ornon, le gendre de Bernard de Blanquefort, est remis en possession de la justice sur son château d’Audenge, conformément à la lettre du roi-duc à son sénéchal.
– Encore en 13326, Gaillard d’Ornon figure sur les comptes de l’Archevêché au titre de son château d’Audenge.
2e) Autres documents :
Le fait que ce château aurait été démoli avant la fin du XIVe siècle, explique pourquoi les documents le concernant sont si rares, et la pauvreté des textes qui évoquent son existence ou font allusion à ses ruines.
Le dénombrement que Pierre Damanieu établit en 1660 parle d’anciennes salines, de prés salés, d’un pré collectif, d’une ancienne maison seigneuriale en ruines, mais ne cite pas de vestiges de château fort.
La vente des côtes d’Audenge, en 1768, ne cite pas davantage de ruines féodales. Cependant au siècle dernier, Guillon put en rédiger une description intéressante.
3e) Le géographe Claude Masse
Seul, nous semble-t-il, le géographe Claude Masse a vu les ruines de ce château. Dans son mémoire écrit vers 1700 – 17307, il décrit très clairement les curiosités de la paroisse d’Audenge.
« Certes a un château entouré de fossés pleins d’eau. Aux dernières guerres civiles, il s’y jeta 700 à 800 hommes qui firent beaucoup de désordres dans le pays.
Audenge appartient au Baron de ce nom8. On y voit les ruines d’un château fort que les anglais ruinèrent pendant qu’ils faisaient la guerre dans ce pays ».
Les ruines du château d’Audenge avaient alors plus de trois siècles.
LES MOTTES
Situation en terre seigneuriale
Les mottes du château sont situées dans une propriété qui appartenait à M. L’escalopier au siècle dernier et qui a gardé ce nom.
Un château seigneurial était évidemment bâti en terre seigneuriale. « L’Escalopie » est en effet une ancienne possession seigneuriale, plus précisément même, ce domaine correspond aux prés salés de la Seigneurie d’Audenge.
La baronnie d’Audenge était limitée au Nord par le ruisseau d’Audenge, qui la séparait de la seigneurie de Certes au sud, par la paroisse de Biganos. Sur cette distance d’environ deux kilomètres, s’étendaient des terres inondables divisées par des « esteys », des marécages et quelques îlots de prés salés.
En décembre 1735, le marquis de Civrac, Seigneur de Certes, devint aussi seigneur d’Audenge. En 1768 – 1770, son fils, François-Eymeric créa les salines. Le 30 avril 1768, il concéda la totalité des côtés de la Seigneurie d’Audenge au comte Pierre de Pardaillan et à l’abbé de Lustrat qui allait, d’ailleurs, se désister. Pardaillan endigua, créa les salines qui,à la fin du siècle, furent converties en réservoirs à poisson. La famille Pardaillan conserva la propriété qui s’appelait alors « le renfermé d’Audenge », avant de prendre le nom de « L’Escalopier ».
Actuellement, le propriétaire de ce domaine fait comme au siècle dernier de l’élevage et de la pisciculture.
Ainsi, le château féodal était bien situé tout à la fois dans les terres seigneuriales et au milieu de marécages inaccessibles.
L’accès au site
Pour se rendre sur le site, on emprunte aujourd’hui le pont de l’Escalopier, tout récemment construit sur le ruisseau d’Audenge à l’endroit où se trouvait le port, il y a un siècle. On continue tout droit sur le chemin établi sur l’ancienne digue intérieure. Les buttes se trouvent à 200 mètres du pont, à une trentaine de mètres sur la droite, et dominent le paysage.
Description des mottes
La butte sud a actuellement un diamètre d’environ 35 mètres et une hauteur de 3 mètres à 3,50 m ; la butte nord est plus petite et a un diamètre de 30 mètres et une hauteur de 2 mètres, (hauteurs évaluées par rapport au niveau des terrains voisins).
Les buttes sont formées de terre argileuse empruntée au sol du marécage. Les eaux de ruissellement ont certainement aplati leur forme semi-sphérique. Le fossé qui séparait ces buttes est comblé. L’ensemble reste entouré d’eau et on ne saurait dire très exactement quelle pouvait être l’importance des fossés avant leur transformation en réservoirs. Les buttes étaient, il y a quelques années, couvertes d’herbes et de fleurs des champs, elles sont actuellement envahies par la broussaille.
Le plan cadastral rénové précise la situation des buttes sous les cotes AT-423 pour la plus petite et AT-421 pour la plus grande.
Une position facile à défendre
Le plan cadastral de 1826 permet des observations intéressantes :
– La digue intérieure utilisée comme chemin et près de laquelle se trouvent les buttes n’était pas la limite de la terre ferme hors inondations. Cette limite apparait dans le vieux plan sous forme d’un fossé situé nettement plus à l’est. Le château était donc isolé au milieu du marécage, à 150 ou 200 mètres de la terre ferme.
– Le plan de 1826 permet de comprendre aussi comment il était possible d’accéder au château : Le vieux bourg d’Audenge est traversé par une seule voie ouest-est qui passait par le centre où se trouvait l’église. Cette voie se dirigeait vers Bordeaux et traversait le site archéologique de la Vignotte. Vers le Bassin, où elle prend le nom de rue St-Yves, elle s’arrête en cul de sac en plein champ.
Le plan cadastral montre que le prolongement de ce vieux chemin de Bordeaux passe très exactement entre les deux buttes et que le cul de sac correspond à l’ancienne côte, à la limite du marécage. Ainsi l’accès au château féodal était possible, ou bien par une mince diguette qui prolongeait le chemin de Bordeaux au milieu du marécage, ou bien par un canal qui aboutissait aux fossés entourant les buttes.
– On constate aussi que le chemin de Certes au Port d’Audenge (actuellement rue des Acacias) se dirige très précisément en direction du château. Celui-ci avait donc été construit en un point facile à défendre, en tout état de cause, il était inaccessible par un envahisseur venu de la mer, sinon de la terre ferme.
Une des pièces de bois exhumées.
V – VESTIGES EXHUMÉS
Le texte de Guillon fait allusion à des pièces de bois. Étaient-elles les ruines dont parlait Masse en 1700 ? Probablement, mais elles n’étaient plus visibles depuis longtemps. Or, en 1975, le Docteur Castet, propriétaire de « l’Escalopier », fit recreuser les réservoirs envahis par la vase. Au pied de la plus grande motte, celle où était édifié le château, la drague retira des anciens fossés une quinzaine de très grosses pièces de bois qui furent entassées en plusieurs endroits sur le champ voisin. Ces poutres ayant séjourné dans l’eau salée pendant six siècles avaient été préservées de la dégradation provoquée par les insectes, les mousses, les champignons, la température… Elles avaient un aspect fibreux et ressemblaient à du bois calciné. Leur diamètre était de 30 à 33 centimètres. Aucune d’elle n’était entière, toutes paraissaient brisées. L’une de ces poutres, une faîtière, d’environ deux mètres de long, portant les entailles caractéristiques des pièces destinées à être assemblées, ainsi que deux autres, ont été transportées à la mairie d’Audenge et mise à l’abri. Depuis trois ans, toutes les autres pièces ont disparu.
Nous avons prélevé une coupe de bois dans une des plus grosses pièces en vue de la faire examiner et dater. Le service de l’Université de Paris qui devait la dater selon la méthode des cernes ou anneaux (dendrochronologie) n’a pu donner de réponse. Cependant la coupe était excellente. Avec la vase, la drague ramena des quantités de coquilles d’huîtres, ce qui témoignerait d’une grande consommation de ces coquillages aux XIIIe et XIVe siècles.
La vase fut déversée de part et d’autre des fossés et sécha. Un examen attentif de la surface de ces rejets permit de récolter un grand nombre de fragments qui paraissent être ceux de pots et jarres domestiques de grandes dimensions. Ces poteries de couleur grise ont été datées du XIVe siècle. Enfin on a trouvé des débris de tuiles de type romain.
Le site du château, les poutres, les débris de poterie ont été examinés successivement par M. Gautier, directeur des Antiquités, M. Thierry, correspondant du service des Antiquités pour notre région, et par M. Fayolle-Lussac, professeur à l’École d’Architecture de Bordeaux.
Tous les avis ont été concordants : il s’agit bien du site d’un château féodal du Xe-XIIIe siècle, et typique à bien des égards.
DATE ET CAUSE DE LA DISPARITION DU CHÂTEAU
L’existence du château féodal d’Audenge est attestée par bien peu de textes du Moyen-Âge : 1275, 1320, 1332. Il est déjà admirable de posséder le texte de 1275. Il est sans espoir de trouver un jour une référence plus ancienne. Par contre, on aurait pu penser trouver des textes plus récents, mais la présence de poteries datées du XIVe siècle, et exclusivement du XIVe, témoignerait de la disparition de ce château avant la fin de ce siècle.
Si le château a bien disparu à ce moment, on peut se demander comment et pourquoi se produisit ce fait qui dût être marquant dans l’histoire médiévale de la région.
Cet ouvrage qui, dans la seconde moitié du XIVe siècle, appartenait à Marie d’Ornon et à son époux Thibaud de Puylehaut a, sans doute, été détruit par les Anglais en même temps que toutes les autres places fortes de Thibaud. A cette époque, en effet, suspecté d’infidélité au roi d’Angleterre, le seigneur d’Audenge se trouvait incarcéré à Londres.9
L’allusion faite par Claude Masse à une destruction par les anglais serait ainsi vérifiée et toutes les dates seraient concordantes.
Jusqu’à preuve du contraire ou information nouvelle, nous nous en tiendrons à cette hypothèse sur la disparition du vieux château féodal d’Audenge.
Pierre LABAT
1. À vrai dire, la tour de La Mothe ne gardait pas les côtes, mais le passage de La Mothe plus vraisemblablement (cf. J. Gardelles : « Les Châteaux du Moyen-Âge ». p. 14)
2. J. Gardelles « Les châteaux du Moyen-Âge dans la France du Sud-ouest » (1972) page 88, Audenge.
3. Archives Historiques de la Gironde
4. Trésor des Chartes – Archives Nationales S. 1024 – 36. Ce texte jusqu’à présent inédit est reproduit dans la « Chronique du Temps passé » de ce bulletin.
5. Rôles gascons
6. A.D.G. série ecclésiastique
7. Bibliothèque de l’Arsenal à Paris.
8. Il s’agit de Jean-Baptiste Amanieu de Ruat
9. cf. L’histoire des Seigneurs d’Audenge à paraître dans un prochain bulletin.
Extrait du Bulletin n° 21 de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch du 3ème trimestre 1979