LES SÉJOURS DES HEREDIA À ARCACHON (1911 – 1949)
Allée José Maria de Heredia, rue Gérard d’Houville (nom de plume de Marie de Heredia), Rue Henri de Régnier, la ville d’Arcachon n’a pas lésiné en attribuant trois voies de la cité au père, à la fille et au gendre. C’est je crois un honneur unique en France que de voir trois membres d’une même famille ainsi honorés1.
Pour quelles raisons la ville d’Arcachon a-t-elle réservé un pareil traitement de faveur à la famille Heredia ?
Avant d’en débattre, un bref rappel généalogique.
José Maria de Heredia (1842-1905) était le dernier enfant de Domingo de Heredia (1783-1849) qui de son premier mariage en 1817 avec Geneviève Yvonnet avait eu trois fils et une fille et de son second mariage en 1830 avec Louise Girard quatre filles et deux fils, d’où une nombreuse descendance. Il ne s’agira ici que des descendants de José Maria de Heredia, l’auteur des “ Trophées ”, de l’Académie Française.
Un non moins bref rappel d’état civil :
José Maria de Heredia épousa le 11 février 1867 Louise Despaigne (1848-1928).
De ce mariage naquirent :
– Hélène 1871-1953
– Marie 1875-1963
– Louise 1878-1930
L’aînée, Hélène, épousa, le 29 juillet 1899, l’écrivain et entomologiste Maurice Maindron (1857-1911). Après le décès de ce dernier, elle épousa en secondes noces le 4 septembre 1912, René Doumic, le futur secrétaire perpétuel de l’Académie Française (1860-1937).
La seconde, Marie, épousa le 17 octobre 1895 le poète Henri de Régnier (1864-1936).
La dernière, Louise, épousa le 24 juin 1899 l’écrivain Pierre Louÿs (1870-1925). Divorcée de Pierre Louÿs en juillet 1913, Louise de Heredia épousa civilement le comte Auguste Gilbert de Voisins (1877-1939), par procuration le 19 juin 1915 et religieusement le 19 juin 1925.
Tous les mariages religieux eurent lieu en l’église de St Philippe du Roule à Paris.
De ces trois épouses et de leurs cinq maris, un seul enfant Pierre de Régnier né le 8 septembre 1898 qui disparut prématurément le 1er décembre 1943 sans descendance.
La lignée de José Maria de Heredia est donc éteinte.
Avant d’aborder les séjours arcachonnais de ses enfants, précisons que nous n’avons trouvé la trace que d’un seul séjour de José Maria de Heredia à Arcachon ; celui-ci eut lieu en 1862 (voir BSHAA n° 127 du 1er trimestre 2006 p. 1 à 3)
PREMIER SÉJOUR : LES LOUŸS À ARCACHON
25 juillet 1911 – 3 octobre 1911
Au cours de l’année 1910, Louise Louÿs née de Heredia, durant notamment son long séjour à Tamaris, avait présenté des épisodes bronchiques qui s’étaient aggravés en cette année 1911. Des bronchites à répétition et même une hémoptysie en juin 1911. Après longue consultation, Landouzy, Doyen de la faculté de médecine de Paris, avait diagnostiqué une pleurite et prescrit plusieurs semaines de repos à Arcachon où il adressait régulièrement ses malades atteints de tuberculose.
Pierre Louÿs se décida difficilement à suivre cette ordonnance. Il écrit à son frère Georges, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg.
“ Or, premièrement de 1894 à 1901, j’ai été en Afrique six fois en huit ans. J’ai publié Bilitis, Aphrodite, la Femme et le Pantin, le R. Paus., l’Homme de Pourpre.
Deuxièmement de 1901 à 1911, pendant plus de dix ans je ne suis pas allé en Afrique – je n’ai plus rien publié que de vagues articles. Et chaque fois que je parle de retourner en Afrique, ce sont des coalitions générales contre moi, famille, amis, médecins.
C’est bien, j’irai à Arcachon, mais je sais d’avance que ce sera une onzième année perdue. ”
Et c’est avec résignation que le 16 juillet 1911 il confirme à son frère :
“ Je ne connais pas le pays. Tout le monde s’accorde pour dire que c’est la ville de la tristesse et de l’ennui, et qu’en outre, tout l’été, c’est envahi par des Bordelais bruyants qui prennent cette plage pour leur banlieue et qui par milliers y viennent en chemin de fer ou en auto passer la journée. – Nous irons quand même parce que nous sommes sages et soumis à M. le Doyen de la Faculté de Paris. Je t’embrasse ”.
Pierre Louÿs prépare donc le voyage et obtient de la part du “ Journal ” une avance de 5 000 F (seize milles euros 20032 sur la publication de Psyché et deux permis de chemin de fer.
Retardés par le décès et les obsèques de leur beau-frère Maurice Maindron, les Louÿs n’arriveront que le 25 juillet 1911 à Arcachon, où ils descendent à l’hôtel Régina en ville d’hiver, qui, à cette époque de l’année, est complet. Les Louÿs ne devront donc se contenter que de chambres de second ordre.
Les conditions de séjour devenant insupportables, Louÿs s’en ouvre à son frère :
“ Vendredi 28 juillet 1911
Louise me disait tout à l’heure en pleurant : Je ne peux pas rester ici, j’ai l’impression que j’habite un cimetière.
Ce mot de cimetière, je me l’étais répété toute la nuit précédente, à la fenêtre, sans pouvoir dormir. Nous avons eu la même idée.
Imagine ceci : pas un souffle d’air ; de grands arbres noirs et toujours immobiles qui ferment l’horizon à vingt pas dans tous les sens ; pas une âme, pas une voix, excepté le cri d’un hibou qui, mille fois la nuit, aux mêmes intervalles, tinte le glas. C’est à fuir n’importe où, même sous terre.
Louise et moi nous nous regardons comme deux figures de vase funéraire. Louise voudrait partir tout de suite, aller ailleurs au hasard. Je fais ce que je peux pour la retenir au nom de Landouzy ; mais à part moi conviens que Landouzy compte trop pour rien la thérapeutique nerveuse. Je ne sais pas la liste de toutes les maladies qu’on prétend guérir ici, mais la neurasthénie n’en est certainement pas et un sanatorium ne devrait pas être un pays où le malade a plus envie de disparaître que de se guérir.
La chaleur est étouffante (32° à 36°) et d’autant plus que l’air est absolument immobile. La nuit se passe à chasser ou à écraser des centaines d’insectes qui vous arrivent en pleine figure par la fenêtre ouverte (fourmis, coléoptères volants, libellules, papillons de nuit, moustiques, mouches de toutes les espèces) ; et le jour on s’éponge du matin au soir. Quel pays !
Autre chose : la cuisine n’est pas mangeable. Sur quatre grands repas, il y en a deux où Louise n’a pris que des hors-d’œuvre et des fruits. Cela ne peut pas continuer ainsi. – Nous allons chercher ailleurs, plus près de la plage, hors de la forêt. Landouzy nous l’a permis. ”
Le mercredi 2 août Louÿs n’a pas encore pris de décision, il en explique les raisons à son frère :
“ Louise n’a pas de fièvre, et néanmoins elle est pâle, faible et pas bien. C’est la faute de notre séjour en pleine ville d’hiver par 35° de chaleur : faiblesse et transpirations s’ensuivent.
Que faire ? Tout est loué de ce que nous aurions pu prendre. Il ne reste que des bicoques inhabitables, (interdites par notre médecin) ou alors des villas trop grandes, trop luxueuses et trop chères, dont les propriétaires demandent 2500 francs pour août-septembre, et pour lesquelles le gérant nous dit : vous pouvez offrir 1500….. la saison est déjà avancée.
Il faut ajouter 1500 francs de frais de maison et de frais divers, plus les gages de deux domestiques. – J’ai la somme sur moi et même un peu plus. Par conséquent, si j’hésite depuis huit jours, si nos malles ne sont pas défaites et si nous continuons d’habiter deux chambres en plein midi dans une fournaise sans air, ce n’est pas qu’il y ait impossibilité matérielle à nous installer mieux – c’est que je crains que la famille ne nous accuse de folies si nous prenons l’une des villas qu’on nous offre.
Mais je te le répète, nous sommes en pleine saison et la situation est celle-ci :
Hôtels d’été : – combles.
Villas de prix moyen : – toutes louées.
Reste : Villas malsaines
Villas de luxe.
Que prendre, avec une malade ? Il ne faut pas hésiter plus longtemps, n’est-ce pas ? Nous prendrons ce qui est cher, mais sain. ”
Ce ne sera que le 7 août soit 14 jours après son arrivée à Arcachon que les Louÿs pourront envisager emménager dans la magnifique villa “ Velleda ” sur la partie haute de la dune, face à la mer au Nord mais donnant au Sud sur la forêt, située allée Montre-tout aujourd’hui rue Alexandre Dumas. Le même jour, 7 août, Louÿs raconte à son frère les péripéties de la location tout en insistant sur le confort de la villa.
“ Puisque le séjour à l’hôtel Regina était doublement mauvais pour Louise (extrême chaleur, et cuisine malsaine), il fallait déménager ; mais tous les hôtels étaient combles, sauf un hors de prix (58 francs par jour, plus des suppléments pour tout, soit 80 francs par jour : 2400 francs par mois).
Restaient les villas. La saison d’août est ici la plus fréquentée parce que tout Bordeaux prend Arcachon comme plage. Les villas modestes et possibles étaient toutes louées.
Mon agent de location m’a dit :
“ Si vous vouliez… dans la ville d’hiver…
Jamais de la vie !
Mais c’est une villa fraîche, et très bien, je vous assure. En plein Nord, avec une vue magnifique sur le Bassin… ”
Pendant deux jours, j’ai refusé de la voir ; puis je me suis résigné…
Elle était charmante, cette villa, et même bien trop belle pour nous :
Petit parc en pente, très joli, très bien entretenu, avec tennis, kiosque, quatre ronds-points, bancs japonais rouges, etc.
Plusieurs galeries.
Terrasse.
Gde véranda [sic]-salon vitrée.
Gr salon.
Gde salle à manger.
6 chambres de maître.
6 cab. de toilette.
Salle de bains.
Sous-sol de cuisines ; monte-plats ; vaste antichambre ; becs renversés partout, téléphone, etc…. je n’ajoute pas : chauffage central.
“ Combien ?
2500.
Inutile d’insister. Je vous ai dit 1000. Au maximum j’irais à 1500, mais pas plus loin. ”
A 7 h du matin, il a télégraphié 1500 à la propriétaire qui habite ce mois-ci Châtel-Guyon, et le lendemain à 9h du matin, l’agent frappait à ma chambre d’hôtel en me montrant cette dépêche-réponse :
“ Pour la famille P.L. 1500. Août Septembre. ”
Le texte de la réponse est assez singulier. Je ne la connais pas du tout, cette dame. Elle est une certaine Bonne d’Oullenbourg dont le nom a l’air juif. Sa villa est pleine de crucifix et de Vierges Marie, mais il y a aussi dans une chambre, un certain portrait de famille gui est drès chuif gonferti.
Quoi qu’il en soit, la villa est d’une propreté immaculée ; on y est très bien ; sa vue est splendide ; Louise est ravie ; moi aussi ; plus de crapaud chanteur ; plus de moustiques. Nous ne pouvions rien désirer de mieux.
C’est M. de Beust, je crois, qui a dit une phrase si dure contre les gens qui se servent du superlatif, mais je suis bien forcé de reconnaître que nous n’avons jamais été plus mal installés qu’il y a huit jours, ni mieux qu’aujourd’hui. Quand viens-tu nous voir à Velleda ?.
A toi de cœur. ”
Louÿs n’invite pas son frère mais aussi ses parents comme son neveu Jacques Chardon, son épouse et leur fille Mariola, filleule de Pierre Louÿs. Il n’oublie pas non plus ses amis. A Paul Valery, qui est depuis 1900 le secrétaire particulier d’Édouard Lebey, patron de l’agence Havas : “ il y a ici une chambre pour toi si tu veux demander une passe à l’Agence et venir bavarder avec ton vieil ami ”.
Seul, Auguste Gilbert de Voisins le romancier ami de Pierre Louÿs et confident de son épouse, viendra à Arcachon, mais descendra chez son ami Jules Marsan. Dès le 6 août 1911 il avait annoncé sa venue :
“ … Après quoi je m’arcachonnerai au plus vite… Je mène une vie régulière et stupide. A Arcachon on fera une noce à tout casser, n’est-ce pas ? Je tiens à épuiser la coupe des délices. Vous me manquez beaucoup. Il était si facile aux moments de spleen ou de simple mélancolie de prier courtoisement un taxi-auto de vous transporter à Boulainvilliers(3) j’étais sûr d’y trouver une heure de repos, d’affection et de calme…”
Qu’il confirme le 14 août 1911 par une très curieuse carte dont le texte s’enroule en spire dextrogyre pour se terminer par un monogramme étoilé d’une graphie épaisse et sinueuse.
“ Maître, les grandes eaux lavent vos pieds mystiques. Il faut absolument que j’aille rendre visite à ma grand’mère, mais dans dix jours à partir d’aujourd’hui, je serai à Arcachon. Vale et me ama. Je baise les mains de Louise et suis ton dévoué. AGV.”
L’arrivée d’Auguste Gilbert de Voisins change tout de suite l’ambiance des vacances. Aux longues promenades en forêt à pied ou en char à sable, aux déjeuners à la cabane du vieux Seguin le résinier ou aux goûters sur les terrasses de l’hôtel du Moulleau vont succéder les réunions à la villa Claire à l’ombre des platanes et au bord du Bassin où se réunissaient les Marsan, les Bracquemond, les Calvé, et évidemment Voisins, ami intime de Jules Marsan, le propriétaire des lieux. Très vite Voisins organise des concerts, des excursions, des soirées.
Animateur et meneur de jeu, tantôt il interprète les ballets classiques ou modernes, s’épuisant en jetés-battus, sauts de l’ange et autres exercices du répertoire chorégraphique, tantôt il pousse la romance, ou renouvelant l’art de Deburau, il mime les malheurs de Pierrot et les canailleries d’Arlequin.
Grand amateur de promenades en mer, il emmène sur le bateau des Marsan, ses amis pique-niquer à l’île aux Oiseaux, déguster des huîtres sur les parcs de Courbey, croiser au large des bancs de Bernet ou des solitudes du Cap Ferret. Installées à l’arrière du bateau, les voyageuses rabattent soigneusement sur leur visage leurs voilettes multicolores, afin que le soleil ne puisse brunir leur pâle carnation.
Ces vacances joyeuses par un temps magnifique, un soleil radieux, laisseront dans l’âme de Louise Louÿs l’impression d’un instant de répit, d’un moment de bonheur qui ne sera pas sans influencer ses choix futurs.
Le 30 septembre 1911, selon les termes du bail, les Louÿs quittent “Velleda” pour revenir à l’hôtel Régina, où en fin de saison, ils trouvent des chambres convenables avant de rentrer à Paris le 3 octobre 1911.
DEUXIÈME SÉJOUR DE LOUISE LOUŸS À ARCACHON
10 février – 30 avril 1913
En décembre 1912, Louise Louÿs fait une violente hémoptysie. Cette fois, aucun doute, une tuberculose pulmonaire à marche rapide se déclare. Grâce aux soins de Landouzy, la lésion se stabilise en janvier 1913. Aussi lui prescrit-il du repos dans les pins au bord de la mer, dans un climat tempéré et humide. Louise choisit Arcachon, – peut être en souvenir de l’été 1911 -, contre l’avis de son mari qui préférait Grasse. Une violente dispute éclata entre les deux époux et devant la décision de sa femme, Louÿs refusa de la conduire à la gare.
Louise accompagnée de Élisabeth Charpentier, la marraine de Pierre Louÿs, et de deux domestiques, descendit à l’hôtel Régina le 10 février 1913. Très vite les deux femmes se mirent en quête d’un médecin et d’une villa. Si le choix du Docteur Chauveau, recommandé par Landouzy, ne souleva aucune difficulté, il n’en alla pas de même pour le celui d’une villa. La saison hivernale battait son plein à Arcachon et toutes étaient occupées. Finalement le Docteur Chauveau dénicha la villa Navarra actuellement rue Jean Hameau où Louise Louÿs, Élisabeth Charpentier et ses deux domestiques emménagèrent le 15 février 1913.
La villa “ Navarra ”, importante bâtisse en briques rouges, comprenait un sous-sol domestique, un rez-de-chaussée surélevé avec une galerie en bois ajouré faisant le tour de l’immeuble, un premier étage avec les classiques balcons de bois travaillés et un deuxième étage mansardé. En ce mois de février traditionnellement à Arcachon le plus froid et le plus venteux de l’année, ce n’étaient pas quelques feux de cheminée et quelques méchants poêles qui pouvaient réchauffer autant de pièces, de couloirs et de courants d’air.
Malgré ces circonstances climatiques défavorables, et malgré un contexte sentimental très crispé, – durant tout le séjour les époux Louÿs n’échangèrent aucune correspondance -, Louise Louÿs reprit des forces, et à la fin du mois d’avril se sentit assez forte pour quitter “ Navarra ” et retrouver le 30 avril 1913, non pas le domicile conjugal mais la demeure d’Élisabeth Charpentier. Cet abandon du domicile conjugal constituant un cas de divorce avéré, les époux Louÿs divorceront le 29 juillet 1913.
TROISIÈME SÉJOUR : LOUISE DE HEREDIA ET LES RÉGNIER À ARCACHON
19 juin 1913 – 19 juin 1915
Laissant à ses avocats le soin de la défendre lors de la procédure de son divorce avec Pierre Louÿs, Louise Louÿs revient à Arcachon le 19 juin 1913 en compagnie de sa mère Madame Veuve de Heredia née Despaigne. Elles descendent à l’hôtel des Pins, c’est-à-dire l’hôtel Continental, aujourd’hui l’Oasis, maison de retraite de la Banque de France.
Le 5 septembre 1913, Henri et Marie de Régnier et leur fils Pierre dit Tigre, viennent les rejoindre à l’hôtel des Pins jusqu’au 27 septembre 1913. A propos de ce séjour, Henri de Régnier écrit dans ses “ cahiers ”, véritable journal intime :
“Lundi 8 septembre, je suis arrivé vendredi soir à Arcachon. Hier, nous avons fait une promenade en barque sur le Bassin. En allant vers le Moulleau, la côte, avec sa dune plantée de pins, a une certaine grandeur mélancolique. Nous avons salué au passage la maison où habite Gabriel d’Annunzio. La Pineta qui l’entoure ne vaut pas celle de Ravenne, de même que le Bassin ne vaut pas la lagune de Venise. Il la rappelait pourtant pour son eau plate, par je ne sais quoi d’étendu, de fermé. Un phare lointain se dressait, imitant vaguement un campanile.
Aujourd’hui, journée mélancolique. Il pleut doucement, finement. Il semble que l’on soit là depuis toujours et pour jamais.
Mercredi 10 septembre.
Hier, longue promenade en forêt. La “ voiture de sable ”, avec ses roues massives, ses deux chevaux attelés en flèche, nous a conduits à la Grande Dune du Pilat. Étrange lieu que cette montagne sablonneuse, d’où l’on domine à la fois la mer et la forêt. Toutes deux s’étendent sous un ciel pur et bleu, dans un silence que rien ne trouble. On a là une impression de désert et de paix.
Nous sommes allés jusqu’au Truc de la Truque. Au milieu des immenses étendues de pins, un petit plateau sablonneux domine un vaste horizon de cimes. Au loin, l’étang de Cazaux fait une mince ligne grise. On entend pour seul bruit le grelot des chevaux qui se reposent et qui soufflent, car ces sentiers de sable sont durs à parcourir.
Les pins ne sont pas très beaux. Et tous sont criblés de larges entailles, soit à la base, soit à mi-hauteur. Leur résine coule dans un petit pot fixé au bas de l’entaille. Ces pots ont l’air d’escargots bizarres… Ils ont l’air de dire : “ Pour l’entretien de la forêt, s’il vous plaît ! ”. De chaque arbre, ils recueillent l’aumône résineuse et l’épuisent. Parmi les pins, les genêts dressent leurs balais verts, fleuris de clochettes jaunes ; le feuillage verni des arbousiers cuit, des bruyères roses couvrent le sol, çà et là. Et partout le même silence dans la monotonie d’aspects semblables. Nous sommes revenus par La Teste. Des maisons basses, sans étages, crépies de blanc, auprès d’une sorte de lagune, qui forme à marée basse le fond du Bassin.
Nous sommes allés jusqu’à la pointe du Sud déjeuner à la maison forestière de la Salie. Il faut trois heures en voiture pour y parvenir. La maison est à l’abri d’une haute dune. Elle domine une vaste plage où déferle l’océan, dont on entend le bruit grandiose à mesure que l’on s’approche. D’un côté, on a la mer, de l’autre, des cimes de forêts. Nous sommes revenus par le lac de Cazaux. L’endroit a de la grandeur…
Je n’aime pas Arcachon, malgré la mer et malgré sa forêt de pins. Les pins, même vieux, n’y sont pas beaux, n’y ont pas de belles formes. Ce sont des arbres blessés, des arbres épuisés par la résine qui en découle. Ils vivent ainsi et vieillissent, mais ils poussent mal. Cette forêt est une forêt estropiée. Seuls y sont vivaces les genêts, les fougères, les ajoncs, les ronces, les arbousiers.
En dehors de ces excursions, Les Régnier mènent à Arcachon la vie des touristes aisés. Comment dans les mondanités estivales ne pas retrouver D’Annunzio ? Il est peut être amusant de relater le formalisme mondain de l’époque. D’Annunzio qui séjourne au Moulleau, à la villa St Dominique, actuellement allée Gabriele D’Annunzio, apprenant que les Régnier sont descendus à l’hôtel des Pins, envoie à Madame de Régnier, par son homme de confiance, une “ jolie boîte toute fleurie de roses sèches et de lavande ”. Marie de Régnier le remercie et l’invite : “ Faites-nous le grand plaisir de venir dîner à l’humble hôtel des Pins, le soir le plus proche. Ce n’est pas le lieu de recevoir un poète tel que vous, mais vous voudrez bien, n’est-ce pas, de par votre magie, embellir toutes ces choses ”. Réponse de D’Annunzio : “ …. Je ne peux venir aux Pins, mais vous devriez me faire l’honneur de venir avec le grand poète, un de ces matins, déjeuner rustiquement dans une pauvre maison dominicaine. Je ne sais pas vous dire quel plaisir et quel augure serait pour moi la présence de deux si hauts artistes dans mon ermitage laborieux. Au revoir, Madame. Mes amitiés et mes admirations au poète. Je vous baise les mains. Votre tout dévoué. ”
Réponse de Marie de Régnier : “ Cher Foco4, puisque Mahomet ne veut pas venir trouver la montagne, la montagne – pas très importante -, ira trouver Mahomet. Nous viendrons donc déjeuner chez vous, jeudi, à une heure. ”
D’Annunzio profite de ce séjour pour faire la cour à Marie de Régnier, il s’intéresse à Tigre, lui prête un cheval, lui offre une cravache, et l’invite à se promener avec ses lévriers. A Henri de Régnier il offre un livre ancien. Toutes ces attentions ne seront pas vaines, Marie de Régnier deviendra sa maîtresse lors de son retour à Paris en novembre 1913.
En décembre 1913, Louise de Heredia revient à Paris consulter le professeur Landouzy qui lui conseille de ne pas revenir à Paris sauf circonstances exceptionnelles et de vivre dorénavant à Arcachon. Elle retourne donc à Arcachon en compagnie de sa mère et de sa sœur Marie qui en profite pour retrouver d’Annunzio. Elles descendent à l’hôtel Moderne, allée Lakmé, qui deviendra d’abord la villa “ Sanitas ”, puis le sanatorium “ Les Elfes ” puis une maison de repos “ le Home des Pins ” enfin une maison de convalescence “ La Rose des Sables ”.
Louise, sachant que désormais elle devra vivre à Arcachon, ne pouvait plus continuer de loger à l’hôtel ; aussi loua-t-elle la villa “Maïtéa” allée des Réservoirs aujourd’hui allée José Maria de Heredia, belle villa classique de la ville d’hiver, au sommet de la Dune donnant à la fois sur le Bassin et sur la forêt.
Le 11 mars 1914, Marie de Régnier vient retrouver sa sœur et aussi D’Annunzio, elle restera à la villa “ Maïtéa ” jusqu’au 4 avril 1914. Durant ce temps, elle corrigera les épreuves de son meilleur roman : “ Le Séducteur ”.
Marie de Régnier reviendra passer le mois de juin 1914 auprès de sa sœur et évidemment de D’Annunzio. Elle rentre à Paris le 20 juillet pour assister au procès de Madame Caillaux qui le 16 mars 1914 avait assassiné Calmette, le Directeur du “Figaro”.
Le 27 août 1914 Henri de Régnier conseille fermement à sa femme de rejoindre sa sœur Louise à Arcachon. Marie, qui poursuit à Paris sa liaison avec d’Annunzio, presse son amant de la retrouver à Arcachon :
“Cher Foco,
Je pars jeudi soir pour la lande. Mon départ a été décidé très vite. Mon mari ne veut pas que je reste ici, et il m’énerve tellement que j’aime mieux obéir, d’autant plus que je reviendrai.
Mais me voilà là-bas pour quelques temps. Vous devriez venir quelques semaines au Moulleau écrire des odes, dans le vent d’Ouest, en attendant de partir pour l’Italie. Qu’en pensez-vous ? Ecrivez-moi villa Maïtéa, allée des Réservoirs, à Arcachon. Je suis triste de partir sans vous revoir. Il faut venir, Cher Foco. Un baiser sombre. Suora notte “
Devant l’avance allemande les Parisiens s’affolent. Le gouvernement se replie à Bordeaux. À Arcachon la villa “ Maïtéa ” se remplit vite. À mesdames José Maria et Louise de Heredia viennent s’ajouter Marie de Régnier, sa belle-mère et sa belle-sœur Isabelle de Régnier, Tigre de Régnier, des amis de Marie comme Martine de Behague, et d’autres qui viennent à tour de rôle ou simultanément envahir la villa.
Après la bataille de la Marne, la confiance revient et les Parisiens regagnent la Capitale. Marie de Régnier repart pour Paris le 15 décembre 1914 en compagnie de son fils, de sa belle-mère et de sa belle-sœur.
Toutefois elle décide de partager son temps entre Paris et Arcachon. Elle y aime la mélancolie du paysage hivernal :
“ La forêt ce matin dans le froid et dans le vent était toute noire et bien belle. Le sable de la Dune était tout mélangé de neige ; il glaçait mes pieds, et j’éprouvais à les enfoncer dans ce gel poudreux une grande joie animale et bizarre ”. Elle sera Arcachonnaise du 7 mars au 15 avril 1915.
QUATRIEME SÉJOUR : LE COMTE ET LA COMTESSE GILBERT DE VOISINS, LES RÉGNIER À ARCACHON
19 juin 1915 – 27 décembre 1927
En effet, c’est le 19 juin de cette même année 1915 que M. Veyrier-Montagnères, Maire d’Arcachon, unissait par procuration le Comte Auguste Gilbert de Voisins aux armées et Madame Louise de Heredia ; Fernand Drogoul était le fondé de procuration spécial de Voisins, Edmond Jaloux deuxième témoin tandis que Madame de Heredia mère et Marie de Régnier étaient les témoins de Louise de Heredia. La loi autorisant les mariages par procuration avait été votée le 4 avril 1915.
En juillet de cette même année, Voisins était blessé au combat et en décembre 1915 réformé et rendu à la vie civile.
À partir de 1917 le comte et la comtesse Gilbert de Voisins vont vivre la plus grande partie de l’année à Arcachon avec quelques escapades parisiennes au printemps et à l’automne.
En 1917, Marie de Régnier et son fils Tigre, âgé de 19 ans, passeront tous les mois d’hiver à Arcachon. Pierre de Régnier, s’étant engagé le jour de ses 18 ans, n’avait pu supporter longtemps la dure condition de la vie militaire. Pour rétablir sa santé, les autorités médicales militaires l’avait envoyé d’abord à Pau puis à Arcachon.
Ils reviendront en 1918. Cette fois, frappé par la redoutable épidémie de “ grippe espagnole ”, malgré ses bronches fragiles, Pierre de Régnier échappera à la mort. Sa convalescence se passe à Arcachon durant le quatrième trimestre de 1918 et le premier de 1919. En mai 1919, les Voisins abandonnent Maïtéa pour emménager à la villa “ Yamina ” avenue de Mentque, d’où ils bénéficient d’une vue magnifique au Nord, sur le Bassin. Ils y demeureront jusqu’en décembre 1921. Le 1er janvier 1922, ils s’installent pour deux ans à la villa Saint Arnaud, en face de la villa des Pereire. Une magnifique demeure dans un grand parc agrémenté de grottes et de fontaines. C’était l’ancienne demeure de la Maréchale Saint Arnaud qui y séjournait l’hiver tandis qu’elle rejoignait l’été la villa l’Alma sur le Bassin, à côté de la Croix des Marins, quelques centaines de mètres en contre bas, villa ainsi baptisée en souvenir de la victoire du Maréchal Saint Arnaud durant la guerre de Crimée. Ils la quitteront en janvier 1924 pour céder la place au nouveau propriétaire le Baron Ernest Seillère, membre de l’Institut (Académie des Sciences morales et politiques).
Les Voisins passeront les années 1924 et 1925 à la villa “Sully”, une importante bâtisse du plus pur style “ville d’hiver” sur l’allée du même nom, avec ses balcons en bois ajourés et ses quatre loggias.
Mais Voisins se rend bien compte que Louise n’a plus la force de déménager tous les deux ou trois ans. Il décide donc d’acheter une villa, évidemment en ville d’hiver.
Le 27 décembre 1927, ce sera la villa “ Bellevue ” qu’ils avaient louée l’année précédente et dont ils avaient pu apprécier la vue exceptionnelle sur le Bassin et la forêt.
Située au n° 5 de l’avenue de Mentque, une taille récente des arbres permet maintenant de l’apercevoir de l’avenue, surtout en arrivant par l’allée Hennon. Sa façade Nord est très visible en contre bas à partir du boulevard de la plage.
Curieusement, elle ne fut pas achetée par le comte Gilbert de Voisins mais par son épouse née Louise de Heredia pour 500 000 Francs de l’époque avec quittance au contrat. En effet Louise de Heredia s’était mariée avec Auguste Gilbert de Voisins sous le régime dotal avec exclusion de toute communauté et constitution particulière de dot limitée au trousseau, tous autres biens réservés libres et paraphernaux. C’est à ce titre paraphernal que Louise de Heredia qui par deux fois s’était mariée sans dot, se trouve à 49 ans, par la volonté d’un mari aimant, propriétaire d’une des plus belles villas de la ville d’hiver d’Arcachon. Dès l’année suivante le 2 juin 1928, elle institue son mari légataire universel.
La villa “ Bellevue ” était déjà un très bel immeuble quand Voisins entreprit de la restaurer. Il s’ensuivit une véritable reconstruction. Cette grande bâtisse deviendra une très belle villa, avec un toit à deux pentes inégales, peinte en rose, ce qui était à l’époque une innovation. De même, à l’intérieur, l’ameublement sera résolument orienté vers le mobilier “ art décoratif ” puisque certaines pièces seront signées de Follot, de Ruhlmann, avec, au salon, l’inévitable laque de Dunand. La dominante générale sera le rose.
Ces aménagements extérieurs et intérieurs feront plus que doubler le prix d’achat de cette villa, que les Voisins rebaptiseront “ La Sympathie ” en souvenir d’une caféière de la famille Despaigne, détruite à Cuba lors de la révolution de 1868.
CINQUIÈME SÉJOUR : LES VOISINS ET LES RÉGNIER À “LA SYMPATHIE”
27 décembre 1927 – 8 décembre 1939
Les Voisins et les Régnier durant l’été, les Voisins durant le reste de l’année, menaient à “ La Sympathie ” une vie très mondaine. Ils y retrouvaient leurs amis parisiens : les Polignac, les Poniatowski, les Rothschild, le Duc Decazes qui avait invité les Régnier en 1904 à un long périple de plusieurs mois en Méditerranée sur son yacht le Velleda, le Duc de Westminster, le protecteur de Coco Chanel, qui les invitera dans sa magnifique propriété landaise sur les bords de l’étang d’Aureilhan, l’écrivain Pierre Benoit avec lequel Marie de Régnier collaborera à deux romans, les Dupuy, les Marsan évidemment, Catherine Pozzi et Valéry, les Exshaw, les Blanchy, Eve Curie, les Dayde, et jusqu’en 1930 les nombreux amis parisiens de Gilbert de Voisins dont Maurice Ravel.
Tout ce beau monde se reçoit, prend le thé, papote, s’invite à dîner, se retrouve à la pâtisserie Foulon, au tir aux pigeons que Marie de Régnier appréciait en compagnie de Madame de Wisme, au concours hippique, au country-club golf, celui d’Exshaw qui alignait ses neuf trous sur les actuels terrains d’Arcachon Marines, aux concerts hebdomadaires du Casino Mauresque avec la participation des concerts Lamoureux, plus rarement au théâtre lors des tournées Baret.
Dans cette société, il n’était pas question de se baigner ni même de s’étendre sur la plage au soleil, on se recevait sous des parasols, dans les jardins des villas au bord de la mer. D’ailleurs Marie de Régnier, si tolérante pour les nouvelles audaces de cet après guerre mouvementé, n’admit jamais la mode du bronzage. Ce qui semble tout naturel aujourd’hui paraissait invraisemblable à des gens du XIXe siècle. (Les Régnier et les Voisins étaient nés avant 1880 et peut-on imaginer Henri de Régnier en monocle en train de se faire bronzer). Marie de Régnier, en vraie créole, ne pouvait comprendre que le but suprême des jeunes femmes en vacances, fut de “ se transformer en négresse ”. Sous son pseudonyme de Gérard d’Houville n’évoque-t-elle pas :
“Tout un peuple de baigneurs, plus qu’à demi nus sur le sable, s’occupe à se rôtir les membres et le corps et à acquérir toutes les teintes de la cuisson par l’eau salée et le soleil. Les deux sexes et tous les âges visent à ce résultat avec une émulation qui ne craint pas l’impudeur. On y pratique toutes les audaces du traitement qui, peu à peu, transforme les nouveaux venus et leur procure la couleur requise, si bien que cette plage d’individus offrant toutes les nuances de brun, de sa teinte la plus claire à la plus sombre, les patines de tous les bronzes, les dégradations de tous les ocres, un échantillonnage de tous les tons que peut revêtir la peau d’un ancien blanc et d’une ex-blanche, sous l’action des chimies solaires, de telle sorte que la plage présente le spectacle d’un carnaval auprès duquel celui de Venise n’était qu’un jeu, un carnaval dont le déguisement consiste à se vêtir au naturel d’un épiderme de mulâtre ou de quarteronne.”
Marie de Régnier se moquait encore plus de ceux qui souffraient des coups de soleil et parfois de véritables brûlures pour obtenir le fameux bronzage, car à l’époque il n’y avait ni huiles ni crèmes ni filtres solaires. La fameuse “ ambre solaire ” ne sera commercialisée que dans les années 305.
Dans le “ Figaro ”, elle décrit, avec des adjectifs et des épithètes que l’on trouve très rarement sous sa plume, la jeune baigneuse qui “ressemble à un grand quartier de boucherie mauve et rose marbrée de bleu”. Telle autre a “la couleur des vieux buffets”. Celles-ci, “ blondes, fragiles, écarlates, sont des sirènes en train de se transformer en rougets à l’orientale ”. Une jeune fille en son “ bref maillot bleu ” lui apparaît “ noire comme une momie déshabillée ”. Quant aux hommes, ils sont transformés “ en beefsteaks saignants ”. Et Marie de conclure : “ Pour ma part, aimant la viande très cuite, je me détourne avec dégoût des gens mal cuits, et pourtant je ne suis pas anthropophage ”.
Mais n’oublions pas pour autant deux instants privilégiés : celui de la sieste recommandée médicalement à Louise mais naturelle par atavisme créole chez Marie de Régnier, et celui consacré à l’écriture car une grande partie de l’œuvre de Marie de Régnier fut composée à Arcachon, à qui elle réservera un des “ Rêves de Rikiki ” album pour enfants illustré par son fils Tigre.
Si les plaisirs de la mer étaient interdits à Louise de Voisins, Marie de Régnier avait conservé de si mauvais souvenirs des tempêtes qu’elle avait essuyées en Méditerranée et sur l’Atlantique, qu’elle n’envisageait même pas de prendre le “Courrier du Cap” pour se rendre au Cap Ferret. Seuls Voisins et Régnier, et Tigre de Régnier lorsqu’il était arcachonnais, – il préférait Deauville ou Biarritz -, utilisaient la pinasse des Marsan pour des parties de pêche ou de longues promenades le long des côtes.
Par contre, les Voisins et les Régnier se rendaient souvent à la villa “Claire” chez ces mêmes Marsan qui avaient aménagé et couvert le dessus de leur garage à bateaux. Là, tout en prenant le thé, ils suivaient les régates à voile où beaucoup de leurs amis participaient avec leurs marins, – la série des six mètres, les “Cupidon”, des Rothschild, est restée célèbre -, les processions nautiques ou les régates à l’aviron.
Enfin les deux sœurs, Louise et Marie, et même Marie de Régnier seule, adoraient les promenades en forêt et en char à banc. Ne se contentant pas de goûter chez les Seguin, elles poussaient jusqu’à la Salie.
En mai 1959, quelques années avant sa mort, Marie de Régnier m’écrivait :
“ J’aimais beaucoup ce pays, surtout avant le Pyla, la réussite de cet endroit nouveau a pour moi abîmé la forêt qui était si belle dès le Moulleau, avec sa dune et ses chemins chevaleresques. Les autos ont voulu des routes, les camps d’aviation se sont emparés des lacs. Adieu les longues promenades en charrette à sable jusqu’à la pointe du Sud et le déferlement de la mer. Mais tout cela reste en ma mémoire ”, etc.
Hélas, Louise de Voisins ne devait pas profiter longtemps de sa si belle villa. A la fin de Novembre 1930, le Docteur Chauveau informait le Comte Gilbert de Voisins que par suite d’hémoptysies répétitives et épuisantes, il ne pouvait plus répondre de la santé de sa malade. Voisins décida de la ramener à Paris où elle décédera le vendredi 10 décembre 1930.
La peine de Voisins qui adorait sa femme fut immense. Il décida de ne plus revenir à Arcachon. Par contre il laissa “La Sympathie” selon le vœu de son épouse à Marie de Régnier, vœu qui sera légalisé chez le notaire en 1932. Voisins devient donc usufruitier de “La Sympathie” et Marie de Régnier nue-propriétaire.
Marie de Régnier, avec ou sans son mari décédé le 23 mars 1936, quelques fois avec son fils Tigre qui vient s’y reposer de sa vie agitée, passe régulièrement ses étés à Arcachon où elle retrouve ses amis et connaissances. La déclaration de guerre de la France à l’Allemagne le 3 septembre 1939 surprendra Marie de Régnier à “La Sympathie”. Son beau-frère Voisins malgré ses 62 ans s’engage comme interprète anglais-français mais décédera le 8 décembre 1939 d’une hémorragie cérébrale.
DERNIERS SÉJOURS : MARIE DE RÉGNIER, PROPRIÉTAIRE DE “LA SYMPATHIE”
8 décembre 1939 – 17 décembre 1949
À la mort de son beau-frère, le comte Gilbert de Voisins, l’usufruit de ce dernier sur “ La Sympathie ” s’éteint, et Marie de Régnier devient la propriétaire de la villa.
Contrairement à ses habitudes, Marie de Régnier ne rentrera pas à Paris en septembre 1939, mais restera à Arcachon durant ce que Dorgelès a appelé la “ drôle de guerre ”.
L’hiver 39-40 fut un des plus froids qu’Arcachon ait connu. En février 1940 le thermomètre descend à moins 19°. Il fait froid à “La Sympathie” malgré le chauffage central et les feux de bois, car cette villa comme la plupart des villas arcachonnaises n’est pas construite pour résister au froid. Dans le jardin, les palmiers et les mimosas gèlent. Marie de Régnier s’ennuie, seule dans cette grande maison. Elle part en avril voir son fils malade au Val de Grâce – une névrite alcoolique, mais elle revient rapidement à Arcachon devant l’avance allemande. Ses parents, ses amis, plus d’une vingtaine de personnes, s’installent tant bien que mal à “La Sympathie”. Durant ce mois de juin 1940, dans une incroyable pagaille, plusieurs milliers de réfugiés de Belgique, du Nord et de l’Est de la France, s’entassent à Arcachon. À “La Sympathie”, Marie de Régnier s’occupe de tout, pourvoit à tout, “ je suis éreintée et abrutie, écrit-elle à Vaudoyer, mais cela n’est rien quand on pense à tous les maux qui ont accablé tant de gens ”.
Dès le 26 juin 1940, les fourriers allemands arrivent à Arcachon pour préparer les cantonnements que les troupes allemandes occuperont le lendemain. La ville d’hiver est pratiquement épargnée à l’exception de rares villas dont la villa “Giroflée”, d’une villa “Les Camélias” transformée en maison close pour les troupes d’occupation et, évidemment, les grands hôtels réquisitionnés.
Petit à petit, les communications se rétablissent malgré la ligne de démarcation. En septembre, en octobre 40, un à un, les amis et les parents que Marie de Régnier hébergeait à “La Sympathie” s’en retournent dans leurs foyers. Marie de Régnier les suivra et rentrera à Paris avec son fils dès la mise en place des cartes d’alimentation et de rationnement pour se faire inscrire dans les commerces de son quartier, la rue Boissière dans le XVIe arrondissement.
Auparavant, pour éviter que “ La Sympathie ” ne soit réquisitionnée, Marie de Régnier louera sa villa à M. Marcel Petit, un industriel parisien réfugié pour la durée de la guerre à Arcachon. Cette précaution se révélera utile jusqu’en août 1942 où les Allemands donneront quarante huit heures à M. Marcel Petit pour vider les lieux. Ils y resteront jusqu’au 20 août 1944.
Marie de Régnier qui a eu l’immense douleur de perdre son fils unique Pierre de Régnier dit Tigre le 18 décembre 1943, ne reviendra à Arcachon qu’en avril 1945.
Ce n’est pas ce séjour qui pourra lui apporter quelque consolation car les Allemands à leur départ, ont mis le feu à la villa. Mais à part quelques meubles, tapis et rideaux calcinés, le feu très curieusement et heureusement ne se propagea pas. Ajoutez à cela, que la villa laissée à tous vents depuis août 1944 ne pouvait que tenter quelques antiquaires peu scrupuleux et aussi un certain nombre de gens qui se meublèrent à peu de frais. Marie de Régnier ne put que constater le désastre. Néanmoins elle entreprend d’assurer le clos et le couvert, à son ancien locataire M. Marcel Petit, qui n’a pas oublié “La Sympathie” et qui renouvelle son bail. Malgré tout, en cette période d’inflation galopante, “ La Sympathie ” représente chaque année un effort financier que ne compense pas le loyer de M. Petit. Entretien et impôts locaux deviennent pour Marie de plus en plus lourds à supporter. Elle se résigne à mettre “ La Sympathie ” en vente. M. Petit s’en porte acquéreur pour deux millions de francs comptant.
Marie de Régnier viendra pour la dernière fois à Arcachon le 17 décembre 1949 pour signer l’acte de vente et jusqu’à sa mort le 6 février 1963, elle n’y reviendra jamais (6).
Les séjours des Heredia à Arcachon
– Récapitulatif –
Août-sept.1911 – Hôtel Régina, villa Velleda : Pierre Louÿs et son épouse Louise, née de Heredia
Février-mars 1913 – Hôtel Régina, villa Navarra : Louise Louÿs, née de Heredia
1913-1919 – Hôtel “Les Pins”, Villa Maïtea : Madame Louise de Heredia, Henri de Régnier et son épouse, Marie, née de Heredia, Madame Veuve J.M. de Heredia, Auguste Gilbert de Voisins
1919-1921- Villa Yamina : Le comte A. Gilbert de Voisins et la comtesse, née de Heredia
1922-1923 – Villa Saint-Arnaud – 1923-1925 – Villa Sully – 1926-1927 Villa Bellevue – 1927-1930 – Villa La Sympathie : Les Gilbert de Voisins, leurs parents et le plus souvent les Régnier
1930-1949 – Villa La Sympathie : Henri et Marie de Régnier, née de Heredia et, à partir de 1936, Marie de Régnier seule
Robert FLEURY
NOTES
1. La ville de Paris a donné le nom de José Maria de Heredia et de son gendre Pierre Louÿs à deux rues parisiennes. Pierre Louÿs a failli également avoir sa rue à Arcachon qui aurait ainsi compté quatre membres de la famille Heredia titulaires d’une voie publique. En effet à la création du lotissement du tennis des Abatilles, en 1980, les riverains de l’unique rue eurent à choisir, pour son appellation, entre Pierre Louÿs et Claude Debussy ; à la majorité, ils préférèrent le musicien au poète.
2. Évaluations en euros à partir du barème de l’INSEE 2003.
3. Pierre et Louise Louÿs habitaient à Paris, Rue de Boulainvilliers, dans le XVIe arrondissement.
4. “ Fratre Foco ”, frère le feu, surnom de D’Annunzio qui donnera à Marie de Régnier, celui de “ Suora Notte ” sœur la nuit.
5. Si les pharmaciens n’avaient pas encore découvert les filtres solaires, – “l’Ambre solaire” ne sera commercialisé qu’en 1936, – chacun par contre, avait mis au point une crème pour atténuer les brûlures solaires du premier et même du second degré. C’est ainsi qu’un pharmacien arcachonnais recommandait l’application sur les brûlures solaires d’un glycérolé d’amidon additionné de cocaïne et de menthol.
6. On ne peut pas ne pas signaler la présence à Arcachon dans les années d’après guerre, de deux membres relativement proches de la famille de José Maria de Heredia, à savoir Marguerite et Jeanne Pearron, filles de Georges Pearron et d’Isabelle de Heredia. Cette dernière était la fille de Léonce de Heredia, demi frère de José Maria et donc la demi nièce du poète et la demi cousine germaine des trois sœurs Hélène, Marie et Louise de Heredia.
Après la deuxième guerre mondiale Marguerite Pearron née le 15 août 1902 et Jeanne Pearron née le 16 mai 1905 s’installèrent au Moulleau au 1 avenue Brémontier devenue aujourd’hui avenue Saint Antoine de Padoue. Elles étaient les demi petites nièces du poète et les demi-cousines issues de germain des trois sœurs Heredia. Elles vivaient, outre leurs revenus propres, de la vente de pastels, d’aquarelles, de poteries décorées et de fleurs collées. On les rencontrait souvent dans les ventes de charité. Elles signaient Mag. de Heredia ou J.P de Heredia. On les appelait d’ailleurs les “ Demoiselles Heredia ” bien que Marguerite eut été mariée et eut divorcé. Elles décédèrent toutes deux à l’hôpital Jean Hameau d’Arcachon, Marguerite le 26/09/1986 et Jeanne quatre mois plus tard le 2/02/1987.
Extrait du Bulletin de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch n° 119 du 1er trimestre 2004.