La curieuse histoire des Prés Salés de La Teste-de-Buch

LA CURIEUSE HISTOIRE DES PRÉS SALÉS DE LA TESTE-DE-BUCH1

 

Alors que la concession des Prés Salés a un peu plus de deux cents ans, Il a paru intéressant de faire le point du dossier de cette affaire. Il est bien évident que la vocation de la présente étude n’est pas de donner la solution du litige en cours. Celle-ci dépend d’abord des Tribunaux, qui sont d’ailleurs divisés. Si le Conseil d’État a estimé à plusieurs reprises que les Prés Salés faisaient partie du Domaine public maritime, la Cour d’Appel de Bordeaux, dans un arrêt confirmé par la Cour de Cassation et le Tribunal des Conflits, a considéré que les terrains litigieux constituaient des propriétés privées. Plus modestement le présent propos a pour but de retracer les étapes d’une affaire embrouillée dont les origines remontent au Moyen-Âge et qui n’a pas encore trouvé son épilogue.

Au plan de la géographie physique, les Prés Salés sont des terrains marécageux recouverts par les marées et qui bordent le Bassin. Il faut les distinguer d’une part de leurs homonymes, les prés salés de Normandie, par exemple, qui sont des terrains situés en bordure de mer et soumis aux embruns, mais non au flux, et d’autre part des marais salants, qui ont été aménagés par l’homme.

On a parfois discuté la submersion ancienne des Prés Salés, sans doute dans le but, d’ailleurs illusoire, d’éluder l’application de la législation maritime2. Cette thèse a été soutenue par les propriétaires des terrains3 lors d’un procès qui fut jugé le 12 mai 1875 par le Tribunal de Première Instance de Bordeaux.

De même dans un intéressant mémoire de maîtrise, Monsieur Bernard Soulignac soutient-il que les Prés Salés étaient seulement imprégnés par la mer et non recouverts, sous l’Ancien Régime4 et attribue-t-il la submersion de ces terrains aux travaux entrepris pour la construction de la route de La Teste à Arcachon.

Cette argumentation se heurte à plusieurs difficultés. Des témoignages anciens d’habitants de La Teste affirment que la marée recouvrait les terrains. La concession de 1780 elle-même parle de la création de digues, ce qui implique qu’il était nécessaire d’arrêter la mer. Plusieurs textes relatifs aux Prés Salés affirment la submersion, y compris lorsqu’ils sont favorables aux propriétaires5. Le même enseignement semble se dégager des cartes antérieures à l’édification de la digue nord des Prés Salés.6 Pour se limiter à un seul exemple, un plan de 1838 montre les terrains litigieux avec la mention « Prés Salés qui couvrent à toutes les marées »7. Autre indice : un arrêté municipal du 15 juillet 1847 interdit de se baigner dans les Prés Salés !8. La submersion périodique des terrains n’empêchait d’ailleurs pas le reste du temps le pacage des troupeaux ou l’usage de chemins qui passaient en ces lieux.

L’action du flot sur les Prés Salés semble donc établie. C’est pour cette raison que, de préférence à la négation du fait de la conquête des terrains sur la mer, les propriétaires eux-mêmes ont principalement prétendu faire échec aux revendications domaniales en arguant de droits dérogatoires qui leur auraient été concédés.

Pour suivre la constitution et les transformations du dossier, l’on considérera successivement l’Ancien Régime, période où les seigneurs locaux, les captaux de Buch, virent leurs ambitions se heurter au pouvoir royal, puis la période 1789-1950 qui fut celle de la victoire de la propriété privée des Prés Salés, et enfin l’époque récente, où l’histoire cède le pas à l’actualité, et au cours de laquelle la dite propriété a été mise en cause par l’action des pouvoirs publics.

L’ANCIEN RÉGIME

À l’intérieur de cette très longue période, il convient de distinguer deux éta­pes : le Moyen Âge et la Renaissance, puis les XVIIe et XVIIIe siècles.

Au Moyen-Âge le rivage était considéré sous un double aspect : souveraineté et défense des côtes d’une part, aspect économique, c’est-à-dire éventuellement «produit» des naufrages, d’autre part. À cette époque, malgré les empiétements des seigneurs, très fréquents en fait, les souverains affirmaient que les rivages dépendaient d’eux. Théoriquement le souverain dans le Sud-ouest était le roi de France, mais en fait le duc d’Aquitaine, qui devint en outre roi d’Angleterre au XIIe siècle, s’était approprié les rivages et les concédait9. Par exemple, en 1354, Édouard III, confirme les droits de Séverin de Lesparre à la côte (costam) et aux épaves (cum navibus fractis) dans sa seigneurie10.

Existait-il une semblable concession à La Teste11 ? Plusieurs titres ont été allégués lors de divers procès, aussi bien devant le Conseil du roi en 1742, qu’au XXe siècle. Certains documents prouvent seulement que les captaux de Buch étaient déjà en possession de leur seigneurie au XVIIIe siècle12. Un acte concède à vie la côte du Porge – au nord du Bassin – au Captal13. Une concession d’Édouard III confirme le seigneur de Buch dans le droit de naufrage14. Enfin un acte royal de 1383 approuve le testament du Captal Jean de Grailly15. Quant à l’utilité de ces documents dans l’affaire des Prés Salés, le Conseil du Roi n’en a tenu aucun compte en 1742, et le Conseil d’État en 1970, alors que la Cour d’Appel de Bordeaux a estimé que le texte de 1383 constituait un indice en faveur des propriétaires privés…

Après la conquête de la Guyenne par les Français, comme les captaux avaient été favorables aux Anglais, le roi de France Charles VII confisqua le Captalat en 1453. Mais cette seigneurie fut restituée en 1462 au captal Jean de Foix-Grailly, comte de Candale, par les lettres patentes de Louis XI16, confirmée en 1477. Ces lettres peuvent-elles permettre d’affirmer que le seigneur devenait « propriétaire » des Prés Salés ? La Cour d’Appel de Bordeaux l’a admis en 1978, en estimant que les énonciations très complètes des lettres patentes ne permettaient d’exclure de l’opération aucun droit ni aucune partie de la seigneurie, alors que le Conseil d’État avait estimé en 1970 qu’il s’était seulement agi pour Louis XI de remettre les choses en l’état et qu’aucune prérogative « doma­niale » n’avait été attribuée au seigneur par les lettres patentes17.

Quelle était alors la situation de fait des Prés Salés ? Il semble qu’à cette époque les captaux aient considéré que toutes les étendues vacantes de leur seigneurie leur appartinssent. Ce droit éminent du seigneur est notamment affirmé par une baillette18 du 23 mai 1550 dans laquelle le captal Frédéric de Foix abandonne aux habitants du captalat, qui devaient désormais être tenus pour « vrais seigneurs » « tout ce qui est accoutumé être tenu en padouens19 et vacants » moyennant une somme et une rente annuelle.

La question s’est posée de déterminer si la baillette de 1550 était bien applicable aux Prés Salés20. L’usage immémorial, attesté par les procès du XIXe siècle, semble l’impliquer. En outre, au XVIIIe siècle, l’avocat Mesteyreau a écrit : « Les manants et habitants du captalat de Buch ont été vrais paisibles possesseurs pendant plus de cent soixante-quatorze ans de tous les padouens et vacants mentionnés dans la baillette et joui des fruits d’icelles en envoyant journellement pacager leurs troupeaux gros et menus es dits padouens et vacants… de même fait couper du jonc … dans l’étendue des Prés Salés vacants de la dite seigneu­rie. »21

Quoi qu’il en soit, l’évolution de la législation royale était très défavorable aux seigneurs et les progrès de la centralisation menaçaient à terme leurs prérogatives. Dès le Moyen-Âge, les rois de France avaient affirmé que la mer et le rivage dépendaient de leur Amiral. Le droit de naufrage des seigneurs fut limité aux épaves marines non réclamées, et les profits seigneuriaux devaient être partagés avec l’Amiral. Diverses ordonnances, notamment sous François 1er, Henri III et Louis XIII, réaffirmèrent les droits du roi sur le rivage. Mais ce fut surtout l’ordonnance de la Marine (1681) élaborée par Colbert qui porta un coup très dur aux prétentions des seigneurs.

Le texte définissait le rivage : « Sera réputé bord et rivage de la mer, tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusques où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves. »22 Sur ce rivage les juges de l’Amirauté avaient seuls compétence. Quant aux naufrages, c’étaient aussi les officiers de l’Amirauté qui pouvaient seuls en prendre connaissance, même si des seigneurs avaient une concession. Dans ce dernier cas, le droit du seigneur était limité à la perception de la moitié du produit de la vente des biens non réclamés par leurs propriétaires pendant un an. Loin d’avoir un pouvoir direct sur le rivage, le seigneur n’était plus qu’un créancier éventuel.

Mais l’Ordonnance ne modifia pas du jour au lendemain les habitudes seigneuriales. C’est pourquoi deux arrêts du Conseil du Roi rendus en 1739 créèrent une Commission de vérification des droits maritimes. Les Commissaires qui avaient eu communication des divers titres sur lesquels le captal de Buch fondait ses prétentions, notamment des lettres patentes de 1662 rendirent le 28 janvier 1742 un jugement relatif à la situation du captalat de Buch23. Cette décision, sans avoir aucun égard pour les demandes du seigneur, appliqua sans dérogation l’Ordonnance de 1681 et précisa que le seigneur ne pouvait s’attribuer aucune étendue de mer (24). Le captal se voyait donc dépouiller de prérogatives qui avaient été cédées à son père Jean Baptiste de Ruat, en même temps que la seigneurie de Buch, par Henri-François de Foix-Candale, duc de Randan25.

Cependant le seigneur allait par la suite réaffirmer par un biais son emprise sur les Prés Salés, quoiqu’ils fassent partie du rivage. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle se développa un certain engouement pour les innovations agronomiques, qui se traduisit par des dessèchements de marais, des défrichements, des mises en valeur de terres réputées incultes et des essais de cultures nouvelles. Le Gouvernement et de riches particuliers encourageaient ce mouvement. Les captaux de Buch ne furent pas en reste. Déjà en 1766 le captal François Alain de Ruat avait concédé au suisse Nézer de vastes landes situées à Gujan et au Teich pour les mettre « en bled »26. Son fils François de Ruat, entreprit les ensemencements de pins sur les dunes littorales27. Par ailleurs, il concéda à un négociant bordelais, le sieur Giers, par une « baillette à fief nouveau » du 24 mai 1780, les Prés Salés de La Teste28. Le concessionnaire et ses associés devaient endiguer les terrains pour les mettre en culture ou en prairies. Une rente était prévue qui ne devait être payée qu’après un délai de dix ans, ce qui menait à 1790 … Mais dès l’Ancien Régime la concession suscita des oppositions : l’Intendant de Bordeaux, Dupré de Saint-Maur, fit cesser les travaux en se prévalant des droits du Roi. Cependant cette intervention ne marqua qu’une halte et non un terme définitif pour les ambitions des particuliers afin de s’approprier les Prés Sa­lés. Au siècle suivant la propriété privée allait triompher et, du fait des endiguements, la zone allait être séparée du rivage proprement dit.

 

LE TRIOMPHE DES PROPRIÉTAIRES DES PRÉS SALÉS 1789-1950

En faisant table rase de la féodalité, la Révolution libéra M. Giers de la rente qui avait été prévue en faveur du captal. Désormais, il n’y avait plus de concessionnaire, mais un propriétaire à part entière29. Dès lors, soumis au droit commun des immeubles, les Prés Salés firent l’objet, au cours des XIXe et XXe siècles, de plusieurs mutations30.

Jusqu’en 1830, les changements de statut et de propriétaires n’eurent aucun impact sur la situation matérielle des terrains. En fait des habitants continuaient de les utiliser pour le pacage des bestiaux et la récolte d’engrais et de joncs. Mais à la fin de la Restauration, une certaine émotion fut soulevée par le projet de l’un des propriétaires des Prés Salés, Monsieur de Sauvage, Maire d’Andernos, qui voulait établir des pêcheries ou « réservoirs à poissons » sur les terrains au grand dam des Testerins. Parmi les opposants certains n’hésitèrent pas à parler de domanialité. En 1832 c’est dans ce sens que Monsieur Taffard, ancien conservateur des hypothèques, conclut un rapport au conseil municipal, dont il était membre. Cependant la décision appartenait à l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines. Celle-ci confia l’étude de l’affaire à un juriste, Monsieur Gairal, qui estima qu’il y avait lieu de reconnaître la propriété privée des Prés Salés. En conséquence, le ministre des Finances décida, le 8 août 1833, que l’action en revendication ne serait pas intentée et que l’Administration provoquerait le bornage des Prés Salés, ce qu’elle fit effectivement en 183431. Le résultat de l’opération fut homologué par le préfet. On observa au passage que cette reconnaissance, comme d’ailleurs celles qui la suivront tout au long du siècle, ne créait aucun droit nouveau au profit des propriétaires privés, étant donné que, depuis une loi du 26 septembre 1807, seule la procédure de concession d’endigage, dont le déroulement avait été réglementé par une ordonnance royale des 23 septembre et 1er octobre 1825, permettait l’aliénation de parcelles du rivage.

Si la situation juridique des détenteurs des Prés Salés ne pouvait être fondamentalement transformée par les décisions ministérielles et préfectorales, leur situation de fait en était par contre confortée. C’est ainsi que, sûr de sa propriété, le marquis de Castéja, qui avait acheté les Prés Salés en 1837, assigna divers habitants qui avaient pris du sable ou de l’engrais sur ses terrains. La commune intervint à l’instance. Dans son jugement du 20 août 1839, le Tribunal de Bor­deaux, après avoir noté que les parties avaient renoncé à toute contestation de propriété, estima que les droits d’usage dont bénéficiaient les habitants devaient subsister tant que l’endiguement des Prés Salés ne serait pas réalisé. La victoire des propriétaires était donc ajournée.

Sur ces entrefaites fut construite la route de La Teste à Eyrac, à travers les Prés Salés (32). Le Comte d’Armaillé, propriétaire des lieux depuis 1845, en profita pour obtenir du Tribunal civil de Bordeaux un jugement en date du 27 janvier 1849 qui constatait que les droits d’usage devaient cesser d’être exercés sur la partie de ses terrains que la route avait endiguée. Il était spécifié que cette extinction serait remise en cause si les terrains revenaient à l’état de vacants « par défaut du travail et de la main de l’homme ».

La question de l’endiguement de la majeure partie des Prés Salés restait cependant posée. En 1846, le ministre des Travaux Publics estima que l’on ne pou­vait empêcher les propriétaires des Prés Salés d’y procéder. Il y eut dès lors des tractations entre Monsieur d’Armaillé et les Ponts et Chaussées Maritimes. En effet, l’État désirait construire une digue et un chenal pour le port de La Teste. Pour cela l’utilisation de terrains et de matériaux des Prés Salés était nécessaire.

Le 1er mai 1851, on aboutit à une entente entre l’ingénieur des Ponts et Chaussées, Monsieur Alphand, agissant au nom de l’État et avec l’accord du mi­nistre dont il dépendait, et le comte d’Armaillé33. L’État construirait trois cents mètres de digues. Quant au propriétaire, il ferait endiguer les terrains situés à l’est de la digue de l’État, en s’appuyant sur celle-ci. Monsieur d’Armaillé renonçait encore aux indemnités qu’il réclamait du fait de la construction de la route d’Arcachon, et il acceptait de ne pas endiguer les Prés Salés situés à l’ouest et au nord de la Craste Douce. Une fois encore la propriété privée des Prés Salés était reconnue par l’État, mais de nouvelles péripéties attendaient son titulaire.

En effet, le 21 février 1852, un décret du prince-président, le futur Napoléon III, régla le mode de délimitation du Domaine public maritime. Alors que ce travail était en cours dans le Bassin d’Arcachon, le comte d’Armaillé demanda à l’Administration, en mars 1854, l’autorisation d’établir des réservoirs à poissons sur les Prés Salés34. Le projet d’Armaillé se heurta à l’opposition du minis­tre de la Marine, qui se prononça même contre tout endiguement. Cependant cette interdiction fut finalement levée à la suite de l’intervention du Ministère des Travaux Publics, et le 20 août 1859 le préfet, agissant sur ordre, prit un arrêté autorisant le propriétaire des Prés Salés à endiguer.

Cette décision est d’autant plus surprenante que le 1er juin 1859 avaient été pris deux décrets de l’Impératrice Régente fixant les limites de la mer à La Teste35. Ces actes englobaient les Prés Salés à l’intérieur du Domaine maritime, à l’exception de la partie endiguée par la route de La Teste à Eyrac. Sur place ces textes ne reçurent aucune application immédiate : après une nouvelle tentative du ministère de la Marine en vue de s’opposer à la mainmise des propriétaires privés sur les terrains, le ministre s’accorda avec son collègue des Finances pour décider que l’État ne revendiquerait pas les Prés Salés36.

Dès le 1er août 1865, Madame d’Armaillé, alors veuve, fit signifier à la commune de La Teste, prise en la personne du maire, Monsieur Bissérié, ses titres à la propriété des Prés Salés, son intention d’endiguer et l’extinction corrélative des droits d’usage37. Une commission procéda en 1866, à la reconnaissance des bornes de 1834. Et, en 1868-69, l’endiguement se déroula suivant les conditions prévues par la convention de 1851, notamment en ce qui concerne l’exécution de trois cents mètres de digues aux frais de l’État.

Pour la commune de La Teste, deux positions étaient envisageables : soit il était possible de reconnaître les droits des propriétaires tout en réaffirmant les usages des habitants, soit on pouvait considérer que les Prés Salés faisaient partie du Domaine public maritime. Des habitants tentèrent d’obtenir du Conseil de Préfecture le droit d’agir en justice pour revendiquer les Prés Salés au nom de la Commune ou, subsidiairement, pour faire déclarer qu’ils devaient être mis en culture et non transformés en réservoir à poissons. Ces tentatives s’avérèrent d’abord vaines. Mais en 1873 trois Testerins, Messieurs Moureau, Mozas, et Cravey, furent autorisés à contester en justice la propriété privée des Prés Salés. De son côté, la commune sollicita et obtint l’autorisation d’agir pour la défense de ses droits d’usage, menacés par les réservoirs à poissons et les parcs à huîtres que Monsieur Johnston, nouveau propriétaire, envisageait d’installer sur les Prés Salés.

Le 12 mai 1875 le Tribunal de Première Instance de Bordeaux rendit deux jugements. Dans l’affaire Moureau et consorts, l’État, appelé en cause, avait déclaré que, s’il réservait ses droits, il ne les exercerait pas. En conséquence, le Tribunal lui donna acte de ses réserves et, dans ces conditions, débouta les demandeurs. La ville de La Teste n’eut pas plus de chance que ses habitants à l’occasion du jugement relatif aux droits d’usage, qui rappela que l’endiguement entraînerait leur disparition. D’autre part, le Tribunal admit que les réservoirs à poissons et les parcs à huîtres satisfaisaient aux conditions de mise en culture prévues par les baillettes de 1550 et 1780. Par la suite l’absence de coordination entre la commune et les trois plaideurs testerins aboutit au rejet d’un appel, puis d’un pourvoi formés par la municipalité, sans que le fond ait été évoqué. Les deux jugements du 12 mai 1875 devinrent donc définitifs38.

La victoire judiciaire des propriétaires fut complétée en 1876 par un nouveau bornage, reconnaissant celui de 1834, et donc le procès-verbal fut entériné par les ministres des Finances et des Travaux Publics les 5 et 29 septembre 1879. Par ailleurs, un arrêté du Ministre de la Marine du 7 décembre 1877 avait autorisé Monsieur Johnston à établir des réservoirs à poissons et des claires à huîtres sur sa propriété.

Alors que Monsieur Harry Scott Johnston avait en 1872 acheté la partie endiguée des Prés Salés, située à l’est de la zone, son frère Monsieur Nathaniel Johnston, acquit la partie ouest, toujours submergée, par voie d’adjudication en 1877. Désormais les deux propriétés allaient connaître une existence séparée. Les Prés Salés est furent convertis en réservoirs à poissons, à l’exception d’une faible partie, jouxtant la digue du port, dont Monsieur Johnston céda les parcelles à divers acquéreurs qui y créèrent un quartier connu sous le nom de « Complexe ostréicole de La Teste ». Quant aux Prés Salés ouest, le grand souci des propriétaires fut de s’affranchir de la servitude de non-endiguement pesant sur eux depuis 1851, servitude qui avait pour origine la nécessité d’éviter l’envasement du port. Aussi l’éventualité de son abandon apparut-elle liée à la création d’un bassin de chasse et au dévasement du chenal du port. Mais, malgré des offres répétées (1877,1879, 1882, 1910 …) les propriétaires ne réussirent pas à obtenir l’abolition de cette servitude.

L’endiguement fut cependant réalisé au cours des années 1930 – 193539, sans l’accord de la municipalité soucieuse de la défense de son port40. Malgré les protestations de la Mairie, l’endiguement dura jusqu’au 2 septembre 1944, date à laquelle la digue s’effondra41.

En résumé, la situation des Prés Salés était simple au milieu de notre siècle : alors que l’ensemble était considéré comme propriété privée, seuls la partie et le complexe ostréicole étaient hors d’eau. C’est cependant à propos des Prés Salés est que naquirent de nouvelles contestations relatives au statut juridique de la zone, lorsque le Bassin, à l’occasion d’une catastrophe naturelle envahit les terrains endigués.

 

LA PÉRIODE CONTEMPORAINE

Le 29 décembre 1951 eut lieu en Gironde une tempête exceptionnelle. À La Tes­te elle occasionna trois brèches dont l’une mesurait trente – cinq mètres, dans la digue des Prés Salés est. Les pouvoirs publics avaient prévu d’aider à la remise en état des ouvrages sinistrés appartenant à des collectivités. L’Administration, estimant que la digue protégeait des maisons et des terrains cultivés situés en arrière provoqua alors la création d’une association syndicale regroupant la Société des Domaines des Prés Salés, détentrice des Prés Salés est, et divers propriétaires de terrains contigus. Ce groupement pourrait bénéficier de subventions. Quant à la commune de La Teste, elle entra dans l’Association le 14 octobre 1952. Les dépenses de réparation de la digue furent réparties entre les membres proportionnellement à la surface de leurs terrains.

Cependant plusieurs petits propriétaires intentèrent un recours devant le Tribunal Administratif de Bordeaux. La contestation se renforça encore lorsque, le 16 février 1957, une nouvelle tempête rouvrit la brèche de la digue qui venait d’être réparée.

Les requérants critiquaient la régularité de la constitution de l’association syndicale en prétendant que les Prés Salés est, qui y avaient été inclus, dépendaient en réalité du Domaine public maritime. Soulever cette question revenait à risquer de remettre en cause le statut de toute la zone des Prés Salés. L’Administration, soucieuse de désamorcer la bombe, rappela que le Tribunal Administratif était incompétent pour juger d’une question de propriété42 et précisa que l’État n’entendait pas contester la situation des détenteurs des terrains. Le 10 avril 1962 le Tribunal rejeta les recours et admit la légalité de l’association syndicale litigieuse.

Cependant l’un des requérants fit appel au Conseil d’État. Et le 3 octobre 1967 celui-ci rendit un arrêt annulant le jugement du Tribunal Administratif de Bordeaux43. Cet arrêt se fondait sur la délimitation de 1859 et considérait comme dénués de valeur tous les actes subséquents (bornages, décisions ministérielles ou préfectorales…) en contradiction avec les dits écrits. Les conséquences de l’arrêt étaient redoutables. Même si les Prés Salés est, d’ailleurs les plus vastes, paraissaient seuls concernés au premier abord, la similitude des titres de propriété impliquait que toute la zone serait intéressée par la décision du Conseil d’État. D’ailleurs, l’Administration s’aligna immédiatement sur la position de cette haute juridiction et fit savoir dès 1968 au propriétaire des Prés Salés ouest qu’elle considérait que son terrain était domanial44. Des contraventions de grande voirie furent dressées, concernant tant les Prés Salés ouest que les Prés Salés est, notamment lorsque l’Administration effectua une nouvelle délimitation en 196845.

Le Conseil d’État eut de nouveau à se prononcer sur la domanialité des Prés Salés à la demande de la Société Civile du Domaine de Suroit, propriétaire de la partie est, qui avait fait opposition à l’arrêt de 1967 et appel de décisions du Tribunal Administratif de Bordeaux concernant des contraventions de grande voirie relatives aux terrains litigieux. Le Conseil rendit ses arrêts le 10 juillet 1970. Ayant estimé non probants les documents produits par la Société46, il rejeta les requêtes et fit de nouveau triompher la domanialité47.

La procédure se déroula d’une manière un peu différente en ce qui concerne les Prés Salés Ouest, alors propriété de la famille Couach. À la suite de procès-verbaux de grande voirie concernant ces terrains, le Tribunal Administratif de Bordeaux fut saisi. Le propriétaire ayant allégué que son droit était fondé sur des titres antérieurs à 1566, le Tribunal, par jugement du 7 février 1969, ordonna un sursis à statuer afin de permettre à l’intéressé de faire déterminer les dits droits par la juridiction judiciaire48.

À la suite de cette décision, Monsieur Couach, auquel s’étaient joints ses fils et la société Couach, furent déboutés par le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux le 28 Mars 1975. Ils firent alors appel. La Cour de Bordeaux se montra moins restrictive que le Tribunal en ce qui concerne la preuve, en rappelant qu’en matière de propriété, il était possible, en dehors des titres, de se fonder sur des présomptions ou indices. Elle décida que constituaient de tels indices le testament du captal Jean de Grailly, confirmé en 1383 par le roi d’Angleterre, duc d’Aquitaine, les lettres patentes de 146249 confirmées en 1477 et la baillette de 1550. Selon la Cour, l’usage des droits confirmaient l’extension qu’on leur avait donnée. De plus, la propriété privée des Prés Salés avait été reconnue plusieurs fois au XIXe siècle, notamment lorsque l’État avait exproprié des parcelles. Au terme de son analyse, la Cour considéra que les consorts Couach étaient propriétaires des terrains litigieux. Un pourvoi contre l’arrêt fut rejeté par la Cour de Cassation le 19 Février 1980. L’Administration n’eut pas plus de succès auprès du Tribunal des Conflits, qui rejeta lui aussi son recours le 6 juillet 1981.

Depuis lors, les juridictions administratives semblent cependant être restées sur leurs positions. Le 7 janvier 1982, le Tribunal Administratif de Bordeaux a rendu trois jugements relatifs aux Prés Salés ouest. Deux d’entre eux statuaient sur des contraventions de voirie et la troisième concernait l’affaire qui avait occasionné la décision de sursis à statuer du 7 février 1969. Seul ce dernier, en raison de la position adoptée par la Cour de Bordeaux, fut favorable aux propriétaires privés. Dans les deux autres instances, le Tribunal a de nouveau proclamé la domanialité des Prés Salés ouest. Les trois jugements ont été frappés d’appel par les perdants respectifs50.

 

CONCLUSION

Il n’est pas encore possible de dire avec certitude quel sera l’avenir des Prés Salés. La solution, soumise aux vicissitudes de la justice et de l’action administrative, risque d’attendre encore plusieurs années avant de se dégager… En autorisant la création d’un nouveau complexe ostréicole sur les Prés Salés est, les pouvoirs publics semblent avoir montré leur détermination à considérer l’incorporation des terrains au Domaine public comme définitive. Mais, en faisant appel des décisions récentes du Tribunal Administratif de Bordeaux, les consorts Couach paraissent eux aussi avoir opté pour aller jusqu’au bout51.

La situation du complexe ostréicole de La Teste, où vivent de nombreux petits propriétaires, reste en suspens pour l’instant. Après l’échec de la nouvelle délimitation envisagée en 1968, la Mairie de La Teste a voulu régulariser la situation en obtenant une concession d’endigage. Cette formule est en principe la seule qui permette, depuis 1807, de faire sortir un terrain du Domaine public maritime. Mais, en dehors de l’hostilité de certains intéressés qui ne comprennent pourquoi il faudrait demander à l’État l’endiguement de terrains que lui-même a contribué à mettre hors d’eau en participant à l’érection des digues au siècle dernier, il semble que l’Administration ne soit pas pressée de procéder à cette régularisation. De même que le Domaine, une fois son inaliénabilité proclamée, ne pouvait plus subir d’atteintes, même du fait de la volonté du Roi, sous l’Ancien Régime, de même actuellement les pouvoirs publics paraissent soucieux, au moyen d’une réglementation de plus en plus restrictive, de s’interdire à eux-mêmes, toute aliénation d’une parcelle de rivage. En revanche, sur le port les aliénations de biens immobiliers entre particuliers semblent de nouveau tolérées par l’Administration.

S’il est possible de terminer cette étude par un vœu, qu’il nous soit permis d’espérer, quels qu’en soient les légitimes détenteurs, que les Prés Salés restent au service des activités maritimes et qu’ils soient autant que faire se peut épargnés par le béton cher aux aménageurs …

Franck BOUSCAU

 

NOTES

1. Cet article, qui reprend pour l’essentiel une conférence organisée à La Teste par la Société historique et archéologique d’Arcachon le 10 avril 1980, a été élaboré à partir d’une thèse de doctorat en droit qui sera prochainement soutenue à l’Université PARIS II.

2. En règle générale, il suffit qu’un lieu ait été recouvert par le flot dans des circonstances normales pour qu’il remplisse les conditions posées par l’ordonnance de la Marine et puisse être incorporé au Domaine, dont les limites sont donc essentiellement variables.

3. Le terme de « propriétaire », employé par commodité au cours de la présente étude, ne préjuge en rien de la position de l’auteur concernant le caractère public ou privé des Prés Salés.

4. B. Soulignac, Aménagement agricole et évolution rurale de La Teste dans la première moitié du XIXe siècle, maîtrise d’histoire contemporaine, Bordeaux, 1973.

5. Consultation (inédite) de MM. Duvergier et Colmet d’Aage, avocats, en faveur de M. D’Armaillé, mars 1846 : « Ces près sont au moins pour une partie considérable et au moyen de travaux d’endiguement exécutés par le gouvernement à l’abri de l’action des eaux de la mer qui, antérieurement, les couvraient deux fois dans vingt-quatre heures ».

6. cf. F. Bouscau, “Recherches sur la cartographie des Prés Salés de La Teste”, BSHAA. N° 36 (2e trimestre 1983), p. 94-100.

7. Carte établie par les Ponts et Chaussées de la Gironde en 1838, Arch. Nat. F 14 -10270-2 La Teste 1

8. BSHAA, N° 6 (1975), p. 18-19.

9. Marcel Gouron, l’Amirauté de Guyenne depuis le premier Amiral anglais en Guyenne jusqu’à la Révolution, Paris, Sirey, 1938, p. 72-73. Par la suite, la renaissance du pouvoir et de la juridiction du roi de France obligèrent le duc à admettre qu’il tenait le rivage, comme le duché lui-même, de son suzerain (cf. BSHAA N° 21 – 1979 – p. 32-34, textes relatifs à un procès entre le roi-duc anglais et le seigneur d’Audenge au début du XlVe siècle).

10. Rôles gascons, Édpuard III, an 27, membrana 5

11. Une telle concession serait toujours valable, sous réserve des restrictions de sa portée occasionnée par la législation subséquente, notamment l’ordonnance de la Marine de 1681 (qui a restreint le droit de naufrage, supprimé depuis), et les lois abolitives de la féodalité.

12. Le captalat comprenait les trois paroisses de La Teste, Gujan et Cazaux.

13. Rôles gascons, Henri IV, an 4 à 6, membrana 19

14. Rymer, Foedera… suppléments, t 1, N° 272

15. Rôles gascons, Richard II, an 7, membrana 10

16. Arch. Nat. JJ. 198. cf. le passage suivant (l’orthographe a été modernisée par nos soins) : « Item le Roy donnera, cédera et transportera audit de Candale, pour lui et les siens perpétuellement tous les droits, noms, raisons et actions qu’il a et lui compétent et appartiennent en toutes les terres et seigneuries que Monseigneur le captal et le dit de Candale avaient et tenaient et possédaient en la duché de Guienne et pays de Gascogne avec leurs appartenances et dépendances et toutes juridictions hautes, moyennes et basses, péages, forestages, pâturages et autres droits quelconques et aussi les confiscations échues en icelles terres qui par ci-devant n ‘ont été donnés par le feu Roi (à) qui Dieu pardonne, ainsi par la forme et manière que lesdits père et fils les tenaient au temps du voyage que le feu Roi fit à Tartas et de la première réduction du pays de Bordelais…».

17. À ce propos, on notera que les lettres patentes réservent expressément au roi « les foi et hommage, ressort et souveraineté desdites terres et seigneuries ».

18. Baillette : bail à fief, contrat féodal.

19. Padouen (mot gascon) : lieu où l’on pâture.

20. L’original de la baillette est perdu. D’autre part, un accord entre un seigneur et des habitants, c’est-à-dire entre particuliers, ne saurait constituer un titre contre l’État.

21. Texte cité lors de la conférence extraordinaire du conseil municipal de la Teste du 16 avril 1868.

22. Ordonnance de 1681, livre IV titre VII article I.

23. Arch. Départ. Gironde, C 3686

24. cf. le passage suivant : « Nous, commissaires généraux susdits, en vertu du pouvoir à nous donné par Sa Majesté, sans nous arrêter aux demandes dudit sieur de R UA T, dont nous l’avons débouté, ordonnons que l’Ordonnance de la Marine du mois d’Août 1681 sera exécutée selon sa forme et teneur ; en conséquence faisons défense audit sieur de Ruat de s’attribuer aucune étendue de mer pour y pêcher à l’exclusion d’autres, de prendre aucune connaissance des faits de la pêche, de faire marquer les pinasses, chaloupes et bateaux, d’exiger le droit de capte… ni aucun droit etc. ».

25. L’acte de vente est du 23 août 1713 (cf. J. RAGOT, Au temps des captaux de Buch, Arcachon, 1973, p. 24).

26. cf. J. RAGOT, La paroisse de Gujan avant la Révolution, Arcachon, 1976, p. 71-73.

27. Sur cette œuvre qui place le dernier captal parmi les bienfaiteurs du pays, cf. F. Bouscau « Les origines du boisement des dunes littorales en Aquitaine», Revue de Droit rural, N° 105 (mai 1982), réédité dans le BSHAA, N° 34 (4e trimestre 1982), p. 8-21).

28 Texte in BSHAA n° 12 (1977) p. 35.

29. À Gujan, où les Prés Salés n’avaient pas été concédés par le captal, la Commune profita de la Révolution pour se les approprier, en affectant de les considérer comme des vacants. Mais l’État les récupéra au XIXe siècle.

30. Dès 1785, Monsieur Giers avait vendu à un sieur Cravey une parcelle des Prés Salés située à l’Aiguillon.

31. cf. procès-verbal au dossier de la Mairie de La Teste.

32. Il s’agit de l’actuelle route nationale N° 650 qui relie La Teste à Arcachon.

33. cf. le dossier de la Mairie de La Teste.

34. L’installation de réservoirs à poissons venait d’être réglementée par un décret du 4 juillet 1853.

35. Bulletin des lois, 1859, p. 451-2, N° 6810-1811.

36. Décision concertée des ministres des Finances et de la Marine, 31 Mai et 16 Juin 1865.

37. Dossier de la Mairie de La Teste.

38. En outre, en mai 1878 les ministres des Finances et de la Marine décidèrent de ne pas modifier les décrets de délimitation de 1859, mais de renoncer en revanche aux réserves dont le Tribunal de Bordeaux avait donné acte à l’État.

39.Sur l’endiguement des Prés Salés ouest, cf. dossier de La Teste.

40. L’administration des Ponts et Chaussées maritimes semble avoir autorisé tacitement cet endiguement, qu’elle n’empêcha pas.

41. La digue a été rétablie après l’arrêt de la Cour de Bordeaux du 4 juillet 1978 (cf. info), mais cette fois sans l’accord, même tacite, de l’Administration.

42. En raison de la technicité des affaires, il y a en France deux ordres de juridiction, entre lesquelles sont réparties les matières à juger. Alors que les questions de domanialité dépendent de la compétence des juridictions administratives, les questions de propriété relèvent de celle des tribunaux judiciaires.

43. CE., 13 octobre 1967, sieur Cazeaux, Recueil Lebon, 1967, p. 368-370.

44. On mentionne aussi le fait que les notaires aient pendant un certain temps refusé de prêter leur concours à la réalisation d’actes de vente d’immeubles du complexe ostréicole.

45. Le 26 novembre 1970, la section des Travaux Publics du Conseil d’État refusa d’homologuer cette délimitation qui avalisait des mises hors d’eau de terrains effectuées depuis 1859 sans titres réguliers.

46. Lettres patentes de 1462, baillette de 1550, reconnaissance de droits par l’Administration du XIXe siècle.

47. CE., 10 juillet 1970, Société civile du Domaine de Suroit, Recueil Lebon, 1970, p. 481-489.

48. Cette décision se situe avant les arrêts Société civile du Domaine de Suroit (1970). Par la suite, dans une hypothèse voisine concernant les Prés Salés ouest, le Tribunal Administratif de Bordeaux interpréta lui-même immédiatement les lettres patentes et condamna les propriétaires privés (jugement du 8 décembre 1972, Société Marine Côte d’Argent, confirmé par le Conseil d’État le 8 octobre 1975).

49. Selon la Cour de Bordeaux : « Les énonciations très complètes des lettres patentes de mai 1462 ne permettent pas d’exclure aucun droit constitutif du droit de propriété ni aucune portion de terrain, et donc les Prés Salés qui faisaient partie du captalat de Buch ». Cette interprétation prend le contrepied de celle du Conseil d’État qui a estimé, dans les arrêts Société civile du Domaine du Suroit que «aucune des dispositions des lettres patentes ne constate l’existence, au profit du captal de Buch, de droits de propriété antérieurs sur le rivage de la mer ; que les lettres patentes ne concèdent en outre à Jehan de Foix aucun droit nouveau qui aurait relevé du Domaine de la Couronne et que le Roi aurait eu seul qualité pour concéder…».

50. Le 26 mars 1982, soit postérieurement à la décision du Tribunal des Conflits, le Conseil d’État a de nouveau affirmé la domanialité des Prés Salés ouest dans une instance relative à un refus de permis de construire (arrêt S.A. Marine Côte d’Argent et note Rezenthel, Recueil Dalloz – Sirey, 1983, jurisprudence p. 139 et suiv.).

51. Il n’est pas impossible, dans l’hypothèse où le Conseil d’État retiendrait de nouveau la domanialité des terrains, malgré l’arrêt de la Cour de Bordeaux de 1978, que l’affaire retourne devant le Tribunal des Conflits en vertu de la loi du 20 avril 1932 et y trouve son épilogue contentieux …

 

Extrait du Bulletin de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch n° 40 du 2e trimestre 1984

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