C’était en décembre 1916
La chronique de ce mois aborde un thème connu, celui du camp du Courneau, créé en avril 1916 à La Teste-de-Buch, sur la route de Cazaux, pour accueillir, à l’arrière, des troupes africaines, de plus en plus nombreuses dans une armée française décimée par la violence des combats. La « force noire » prônée dès 1910 par Mangin est devenue une réalité en 1916 : plus de 60 000 hommes ont été expédiés d’Afrique dans les neuf premiers mois de l’année ; ils participent activement aux batailles de Verdun et de la Somme. Cela permet au député noir du Sénégal, Blaise Diagne, dans son interpellation du 9 décembre devant la Chambre des députés, rapportée ici, d’affirmer avec fierté et quelque peu d’emphase, que cette force est « une des principales armatures de l’armée à cette heure-ci ». Mais, réquisitionnés à la hâte, ces hommes ont besoin d’être formés au combat : le camp du Courneau est un « camp de préparation » et d’entraînement, à l’instar de ceux de Fréjus-Saint-Raphaël, cités par Diagne. Il faut aussi « préserver » les hommes entre deux envois au front : Le Courneau est un camp d’hivernage du sud de la France, où les troupes, désorientées par le climat froid du Nord-Est, sont censées se reconstituer.
Diagne affirme que ce n’est pas le cas et demande de « faire évacuer le camp ». Il souligne une morbidité et une mortalité anormalement importantes, avec « une moyenne de 25 malades et de 3 morts par jour ». Les hommes sont « sujets à des bronchites, à des maladies diverses des voies respiratoires » (à pneumocoques), et sans doute même à la tuberculose. Il n’est pas impossible que, en arrivant sur le sol métropolitain, les troupes aient déjà été porteuses de germes, contractés dans les camps de départ : les « fièvres pernicieuses » ne manquaient pas en Afrique. Cependant, la contagion est forte au Courneau, et le nombre de morts est élevé : environ 300 pour l’année 1916, sans compter ceux qui étaient soignés à l’hôpital militaire Saint-Elme d’Arcachon en complément de celui du camp, mis en place depuis août. Ces victimes ont été enterrées dans le cimetière de cette commune (voir l’article). L’historien Jean-Pierre Caule, membre de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch, affirme que, en pourcentage, on mourait deux fois plus au Courneau que dans les autres camps du Midi.
Diagne l’attribue aux conditions spécifiques « de défectuosité » de ce « camp insalubre ». D’ailleurs, comme on le voit dans les articles, il n’avait pas été le premier à les dénoncer. Nous savons par les archives que plusieurs rapports de médecins-majors inspecteurs généraux l’avaient également fait entre mai et août 1916. Diagne considère que c’est une « lourde faute » de la part de l’administration militaire de la 18e Région d’avoir installé le camp à cet emplacement, sans le concours du « service de santé colonial », qui aurait pu donner un avis contraire. Pourtant, la dernière mission exploratoire (février 1916) en vue du choix du site comprenait malgré tout un médecin-major de première classe et le directeur du service de santé de la 18e Région. Le site du Courneau avait alors été préféré à celui de Croix d’Hins, car considéré moins humide…
Or l’humidité est le premier reproche pointé par Diagne. Certes, dans ce sol imperméabilisé à faible profondeur par la couche d’alios, « il suffit d’un appel du pied pour faire monter de l’eau » qui, par ailleurs, s’évacue mal à cause de la faible pente du terrain, dès que les pluies sont trop abondantes : un courrier du 15 décembre évoque une « nappe d’eau » et de fréquents « bains de pied »… Toutefois, le canal Cazaux/La Hume creusé en 1838, ainsi que le fossé le long de la route, qui bordent le camp à l’est et à l’ouest, drainent globalement la zone, et des travaux d’amélioration ont été effectués depuis l’arrivée du colonel Eugène Fonssagrives à la tête du camp à la mi-septembre : création d’un réseau secondaire de canaux de drainage, y compris des rigoles entre les baraquements, creusement de puisards à travers la couche d’alios, débroussaillement et dessouchage.
Comme le reconnaît Fonssagrives dans un rapport du 1er novembre, le principal problème est celui du logement : les réglementaires « baraques Adrian » en bois recouvert de carton bitumé représentent certes un progrès par rapport aux tentes, mais, rapporte Diagne, « les cloisons mal jointes livrent passage à de perpétuels courants d’air ». De surcroît, la pluie et la grêle percent souvent les toitures. Les appareils de chauffage ne servent donc à rien, même si un courrier du 29 octobre écrit : « Depuis deux jours, nous avons deux fourneaux par baraque, aussi le soir il fait bon. » Fonssagrives a là aussi effectué quelques améliorations dans ce qu’il appelle, en bon colonial, « les cases » : surélévation du sol des baraques, calfeutrage intérieur en paillassons de fougère et de bruyère – la lande apportant ses ressources ancestrales !
Diagne s’en est donc tenu aux premiers rapports alarmistes sur le camp du Courneau, qui se sont d’ailleurs révélés pertinents, puisque 950 tirailleurs environ y trouvèrent la mort jusqu’à l’évacuation du camp en juillet 1917. S’il force un peu le trait devant les députés pour obtenir leur adhésion, c’est qu’il sait que le remaniement gouvernemental lui offre une possibilité d’être entendu. En effet, le nouveau ministre de la Guerre est le général Lyautey, Résident général au Maroc, connu pour son hostilité à l’égard de Mangin et son respect envers les « indigènes ». Diagne n’obtient pas tout de suite gain de cause, mais sa brillante intervention, relayée ici par Albert Chiché malgré la censure, a au moins le mérite de faire réfléchir la population locale sur ceux qu’elle ne fait que croiser lors de défilés, et qu’on appelle, avec paternalisme et un racisme inconscient, « ces bons nègres » à la « figure bien cirée », « ces visiteurs exotiques », exploités « cyniquement » par les « mercantis » (marchands à la porte du camp) et les tenanciers de cabarets et de bars.
Armelle BONIN-KERDON