C’était en octobre 1918
Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Guerre 1914-1918, la Société historique propose chaque mois une chronique correspondant à la même période de l’époque, il y a exactement cent ans.
Elle s’appuie sur les journaux locaux qui offrent la régularité nécessaire d’une source facilement identifiable.
Armelle Bonin y ajoute un commentaire qui permet d’expliciter le contenu des articles reproduits, d’en donner le sens souvent caché ou la vraie version d’une présentation édulcorée. Il permet aussi de les resituer en allant du contexte local au national et parfois même jusqu’à l’international.
Il y a 100 ans…
La chronique de ce mois est entièrement consacrée au lancement de la souscription du dernier grand emprunt de guerre, qui prendra place de part et d’autre de l’armistice, mais on ne le sait pas encore (20 octobre- 24 novembre 1918). Les deux journaux s’en font l’écho, mais La Vigie d’Arcachon va beaucoup plus loin que L’Avenir d’Arcachon, qui se contente de reprendre un texte officiel ainsi que la publicité de la Banque de France, reproduite ici avec un encadré dentelé. C’est pourquoi le montage proposé ne concerne que le journal du maire, en première ligne de la propagande visant une fois de plus à convaincre les « épargnants » de prêter leurs « économies » à l’État, dans une « contribution volontaire ». La fiscalité et les avances de la Banque de France ne représentent en effet que le quart du financement des dépenses publiques pendant la guerre, il est donc nécessaire de recourir à l’endettement. Comme l’écrit le journal de façon allusive, les « trois premiers emprunts » (1915, 1916, 1917) ont été plutôt des succès, alors même que l’issue des combats était à ce moment-là incertaine.
Le premier argument est donc que cette fois « l’avenir est sûr » ; « la paix victorieuse est certaine », proclame l’appel des Maires de France à leurs administrés. En effet, depuis fin septembre la ligne Hindenburg est franchie, notamment par les troupes franco-britanniques entre l’Oise et Reims. « Où que frappent les Alliés, l’ennemi recule ou s’effondre », en Flandre avec l’appui des Belges, en Champagne et Lorraine avec celui des Américains. L’affiche du deuxième emprunt mettait en scène l’expression de Pétain à Verdun « on les aura ! », celle du quatrième « proclame aujourd’hui » : « on les a ! ». Pour La Vigie, l’ennemi est « meurtri et humilié déjà », c’est pourquoi « il implore un désarmement » : en effet, le chancelier allemand a demandé un armistice le 3 octobre, refusé par le président Wilson. Pour le gouvernement français, la paix ne peut être « établie » que « sur la victoire », c’est-à-dire la défaite militaire de l’Allemagne, face à la supériorité numérique et technologique des Alliés.
Mais, malgré ce qu’affirme l’affiche de propagande, celle-ci tarde encore à venir, elle reste de l’ordre de l’espérance, même si « elle est proche », car la progression des Alliés est lente. C’est d’ailleurs pour cela que le Ministre des finances Louis-Lucien Klotz, d’origine alsacienne, nomme l’emprunt Emprunt de la Libération, et non « Emprunt de la Victoire », en réutilisant à sens inversé le qualificatif de l’emprunt de dette de guerre de 1871. Il est nécessaire de disposer de fonds pour accélérer « les opérations décisives ». Or « la guerre de mouvement », recommencée au printemps 1918, exige « de plus grandes dépenses » « que la guerre de tranchées » : en effet la guerre industrielle se gagnera par l’artillerie lourde, les chars et l’aviation. C’est pourquoi la propagande s’efforce à nouveau de faire vibrer la fibre patriotique, pour « donner les moyens à la France » d’atteindre son but. On voit ici que la guerre totale est aussi une guerre financière. L’impôt du sang des Poilus est rejoint par celui « d’or, de travail et de générosité » des Français de l’arrière, qui doivent montrer « la même résolution », la même « volonté » à vouloir la Victoire. Afin de les persuader, le journal les associe dans un « nous » collectif : l’injonction « soyons unanimes, chacun avec notre force » rejoue l’Union sacrée de 1914. Les petits épargnants comme les gros (« notre fortune », « notre aisance ») sont conviés à ce « devoir civique » : les maires de France personnalisent même cet appel en l’imaginant émaner directement des « soldats de France » à la fin de leur texte.
L’argument économique n’est naturellement pas absent de ces articles : au niveau national, ils promettent « richesse » et « prospérité », une fois que les « mines et usines » du Nord et de l’Est de la France seront « libérées de l’exploitation des envahisseurs ». Le « bourrage de crâne » est ici patent, car la politique de destruction systématique de l’ennemi en recul empêche ce rêve de se réaliser. Les réfugiés « évacués » continuent à refluer en masse vers l’intérieur du pays, y compris en Gironde et à Arcachon, et ne pourront regagner leur petite patrie que dans plusieurs années. L’argument économique individuel est plus incisif, il s’agit de prouver aux épargnants que souscrire à l’emprunt « est un placement de toute sécurité », « leur apporte le profit en même temps que l’honneur », « autant de fierté que de satisfaction ».
Tout d’abord, la facilité de souscription est mise en avant : on peut payer en quatre fois, même si cela relève légèrement le prix de l’émission. Surtout, l’or ayant déjà été versé en quasi-totalité, on peut apporter en monnaie fiduciaire, non seulement les billets de banque, mais aussi les titres de rente des emprunts précédents et les Bons du Trésor ; cela permet aussi à l’État de consolider sa dette. Comme on le voit sur l’affiche, on peut même fournir, pour la moitié de l’apport au maximum, les « coupons russes » des emprunts d’État que la Russie avait levés en France jusqu’en 1917, et qui ne furent pas reconnus par le nouveau régime bolchevique. L’État français prend ainsi à son compte une partie de la dette publique russe, et cela a dû beaucoup peser auprès des nombreux épargnants. On peut en dire autant de la possibilité de payer l’impôt sur les bénéfices de guerre par le biais de l’emprunt. In fine, le quatrième emprunt a donc du succès et rapporte 22 milliards de francs, contre 13 pour le premier et 10 pour chacun des suivants. Néanmoins, les 2/3 sont constitués de titres, l’argent frais ne comptant que pour 1/3. D’autres arguments classiques ont pu jouer aussi : fort taux d’intérêt, prime de capital, remboursement à long terme (25 ans). Mais l’opinion commençait à prendre conscience du risque de dépréciation à cause de l’inflation et du recours à la planche à billets.
Armelle BONIN-KERDON