C’était en septembre 1918

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C’était en septembre 1918

Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Guerre 1914-1918, la Société historique propose chaque mois une chronique correspondant à la même période de l’époque, il y a exactement cent ans.

Elle s’appuie sur les journaux locaux qui offrent la régularité nécessaire d’une source facilement identifiable.

Armelle Bonin y ajoute un commentaire qui permet d’expliciter le contenu des articles reproduits, d’en donner le sens souvent caché ou la vraie version d’une présentation édulcorée. Il permet aussi de les resituer en allant du contexte local au national et parfois même jusqu’à l’international.

 

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Il y a 100 ans…


En ce mois de septembre 1918, le rôle de la presse est toujours aussi fondamental pour maintenir le moral de l’arrière, mais il évolue dans son contenu et pose par ailleurs le problème des « fausses nouvelles », à l’instar de nos media d’information d’aujourd’hui. Pour la première fois, grâce aux succès obtenus sur les fronts, La Vigie d’Arcachon est autorisée à commenter « nos résultats » sur le plan militaire, qualifiés de « considérables ». Elle se livre à une véritable synthèse de l’ensemble de la guerre, dont seule la dernière partie est reproduite ici, afin de montrer que la France va « recueillir le fruit de l’admirable conduite de ses troupes et de son peuple », c’est-à-dire la victoire. Paris est présenté comme « définitivement à l’abri de toute menace » et Foch comme ayant « la certitude qu’il atteindra son but », puisque son offensive lancée le 18 juillet « n’a pas été interrompue un seul jour ». Il est vrai que « les Allemands sont en retraite », « se replient » sur la ligne Hindenburg depuis le 2 septembre, comme ils l’avaient fait en 1917, avant la reprise de leur offensive au printemps 1918. Tout ceci est bien expliqué par la conjonction « de l’abondance du matériel de guerre » et de « l’afflux des troupes américaines sur le front occidental ». À Arcachon même, on a vu partir une partie des Américains du camp du Courneau « pour faire la chasse aux Boches », tandis que leurs officiers ainsi que ceux du camp de Cazaux assistent le 23 septembre à une conférence de propagande du suisse Benjamin Vallotton qui anticipe sur l’entrée des Alliés en Alsace-Lorraine reconquise.
Pourtant, rien n’est encore vraiment joué : comme le fait remarquer L’Avenir d’Arcachon, on ne peut que « supposer » que les Allemands « continueront à se replier », même s’ils « chercheront à se consolider ». On peut craindre comme lui sur les territoires qu’ils abandonneront une « destruction méthodique », une « démoniaque opération », c’est-à-dire une politique de la terre brûlée. Ce fut déjà le cas en 1917, comme le décrit abondamment le journal, avec pour conséquence la fuite des populations, et l’arrivée de réfugiés à l’arrière. La ville d’Arcachon comptait ainsi 252 réfugiés en novembre 1917, et elle en comptera effectivement en octobre 1918 son nombre maximum, soit 350 personnes (environ 23 000 pour l’ensemble de la Gironde). La quête effectuée lors de la conférence de Vallotton leur est d’ailleurs destinée.
Un tel brassage de population ainsi que le déplacement des troupes sont souvent mis en avant pour expliquer l’arrivée à l’automne 1918 d’un autre ennemi, biologique cette fois, la grippe, dite « espagnole », à cause de son analogie avec une épidémie qui avait frappé l’Espagne en 1889. À Bordeaux, des premiers cas avaient déjà été signalés en avril 1918 avec le débarquement des troupes américaines à Bassens. L’ignorance de l’origine réelle de la maladie explique qu’on la compare au choléra ou au typhus, à cause de sa rapidité d’incubation et de la brutalité de ses symptômes. Les Allemands sont accusés d’avoir empoisonné les puits, voire même, d’après d’autres sources, les boîtes de conserves en provenance d’Espagne. Il y a donc une grande dimension fantasmatique dans l’angoisse qui saisit les populations. C’est pourquoi les deux journaux locaux cherchent à rassurer en qualifiant de « fausses nouvelles », de bruits « invraisemblables », de « racontars ridicules », les rumeurs qui circulent. Pourtant, leur lecture attentive montre bien que la grippe frappe bel et bien Arcachon, « comme partout », même s’ils font tout pour en minimiser l’impact. L’Avenir d’Arcachon reconnaît que les bruits sont « très exagérés », mais donc exacts, et La Vigie que « quelques cas » « se sont produits ». Le conférencier Paul Bilhaud a annulé sa prestation prévue et quitte précipitamment Arcachon, tandis que « de nombreuses personnes ont renoncé à une visite projetée dans notre station », alors que c’est toujours la « saison estivale ». Une réclamation en forme de brève est encore plus révélatrice, puisqu’elle demande la présence d’un pharmacien et d’un médecin pendant la nuit.
Il y va des « intérêts vitaux » de la cité balnéaire : pour éviter ce que La Vigie ne craint pas de nommer « la catastrophe » « imminente », les deux journaux se livrent à une propagande afin d’attirer les villégiateurs. La Vigie, organe du maire, accentue sa guerre habituelle contre L’Avenir en accusant son rédacteur en chef de manière à peine voilée de « porter atteinte à la réputation de notre charmante station, unique au monde ». Quant à L’Avenir, il se livre à une description idyllique d’« Arcachon en septembre 1818 », véritable Arcadie « qui fait rêver à l’âge d’or », et qui permet pour la quatrième année « le complet oubli de toutes les atrocités qui se commettent ailleurs dans le monde ». On voit combien l’exagération et l’hyperbole ne font pas peur non plus à nos journalistes ! Certes, un détour par le cimetière est proposé en guise de promenade aux touristes, qui se livreront ainsi à « un patriotique pèlerinage » sur les tombes des soldats blessés morts dans les hôpitaux militaires de la ville. Mais l’essentiel est de gagner l’ « adorable plage » des Abatilles, dépeinte au coucher du soleil comme une image du « paradis avant qu’Ève eut péché », où mères et enfants s’ébattent dans « un parfum d’innocence », alors que les pères sont sur le front.
Bains de soleil et bains de mer sont présentés comme un remède, une « nouvelle provision de santé » face aux miasmes de la grippe. On retrouve là la vocation thérapeutique traditionnelle d’Arcachon. Mais l’évolution de la balnéarité est sensible aussi : l’héliothérapie apparaît nettement, ainsi que la plus grande nudité des corps, découvrant jambes et épaules, relevant « jupes et chemises ». Les « chants » et les « rires » des années folles résonnent déjà à Arcachon.

 

Armelle BONIN-KERDON

 

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