C’était en décembre 1918

C’était en décembre 1918

Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Guerre 1914-1918, la Société historique propose chaque mois une chronique correspondant à la même période de l’époque, il y a exactement cent ans.

Elle s’appuie sur les journaux locaux qui offrent la régularité nécessaire d’une source facilement identifiable.

Armelle Bonin y ajoute un commentaire qui permet d’expliciter le contenu des articles reproduits, d’en donner le sens souvent caché ou la vraie version d’une présentation édulcorée. Il permet aussi de les resituer en allant du contexte local au national et parfois même jusqu’à l’international.

Il y a 100 ans…


Après l’armistice, il est intéressant de se demander comment la presse locale rend compte des premiers éléments de sortie de guerre. Elle n’est toujours pas libre dans son expression, comme le fait remarquer Albert Chiché dans son éditorial du 22 décembre, bien que Clemenceau, président du Conseil, « supprim{ât} la censure politique » à son « avènement », en novembre 1917. En effet, la censure ne sera vraiment abolie qu’avec la levée de l’état de siège le 12 octobre 1919. D’ici là, s’ouvre une période intermédiaire complexe, notamment pour plus de quatre millions de soldats français démobilisables.

Les marins américains, quant à eux, quittent le 7 janvier 1919 la base d’hydravions du Cap Ferret ; nous apprenons qu’ils donnent le 6 décembre un grand bal ouvert à tous au Casino de la plage, pour fêter leur départ. La guerre avait interrompu « ces belles soirées », dit le journal, ou plutôt en avait certainement diminué le nombre ; la « Victoire » va permettre à la jeunesse de « se distraire », selon de nouvelles pratiques. L’influence culturelle américaine se fait sentir ici directement par les rythmes du jazz et de nouvelles danses de salon. Le « pas de l’ours », cité dans l’article, avait déjà été inventé avant le conflit, mais il n’était pas encore parvenu à Arcachon, puisque c’est « un jeu nouveau » pour les demoiselles qui tentent de garder la « cadence voulue ». On assiste en quelque sorte au début de ce qu’on appellera ensuite les « Années folles ».

Mais ce n’est pas encore le cas pour les militaires, qui rentrent peu à peu chez eux. Comme le précise L’Avenir, les « prisonniers de guerre reviennent au foyer classe par classe », et l’essentiel des retours a lieu entre la mi-novembre 1918 et la mi-janvier 1919. Pour les soldats démobilisés, plus nombreux, c’est beaucoup plus lent. Certes, nous voyons ici que l’imprimeur du journal est déjà revenu chez lui au début de décembre, ce qui réjouit fort le rédacteur en chef. C’est normal, il fait partie des soldats les plus âgés : il a 48 ans (classe 1890) ; les classes antérieures à 1892 ont été démobilisées avant la fin décembre. La Vigie annonce la démobilisation des six classes suivantes du 25 décembre 1918 au 5 février 1919 (de 41 à 46 ans). Mais cet échelonnement à l’ancienneté subira un coup d’arrêt au printemps 1919, conservant sous les drapeaux les soldats de moins de 32 ans, afin de faire pression sur l’Allemagne à la veille de la signature du traité de Versailles le 28 juin. D’autre part, nous constatons que tous ceux qui le désiraient pouvaient y être maintenus « jusqu’au décret de cessation de l’état de guerre », soit le 14 octobre 1919 !

Au fur et à mesure de leur retour, les soldats doivent reprendre leur place dans la société et l’économie de leur « petite patrie ». À Arcachon, deuxième port de pêche de France avant 1914, et sur le Bassin en général, les marins, dont le « nombre grossit tous les jours par suite de la démobilisation », souhaitent retrouver leur travail de pêcheurs ou d’ostréiculteurs. Certains d’entre eux furent mobilisés sur leurs chalutiers armés pour le combat et utilisés comme patrouilleurs, convoyeurs ou dragueurs de mines, tant en Méditerranée que sur l’Atlantique, y compris devant les côtes arcachonnaises. Presque toute la flotte avait été réquisitionnée ou achetée par l’État à partir de 1915. Seule « une douzaine de petits bateaux », des pinasses à moteur, continuait la pêche à la sardine vaille que vaille. On voit ici que, dès la fin de 1918, armateurs et marins se rassemblent pour exiger que la Marine leur restitue leur outil de travail ; ils mettent en avant l’argument économique du ravitaillement en poisson nécessaire au pays, encore en proie à de nombreuses pénuries. Ils obtiendront satisfaction au printemps 1919 pour la moitié environ des chalutiers, l’autre vingtaine ayant été détruite ou vendue à d’autres propriétaires pendant la guerre.

Pendant le conflit, bien des femmes ont remplacé leurs époux au travail. On en a une illustration concrète avec l’épouse de l’imprimeur de L’Avenir, qui a assumé la parution technique du journal, avec l’aide de son vieux père, puis celle de sa fille. À deux, elles accomplirent le travail de trois personnes, le patron et ses deux ouvriers, mobilisés eux aussi. C’est pourquoi le rédacteur en chef n’hésite pas à la qualifier d’ « héroïque », sur le front intérieur, elle dont la « vaillance » a permis aux lecteurs de continuer à être informés pendant la « période difficile ». Néanmoins, quand les hommes rentrent, les femmes sont priées de reprendre leurs activités traditionnelles au sein du foyer familial, même si elles ont prouvé qu’elles pouvaient exercer des responsabilités. Certains se demandent si l’on ne pourrait pas les récompenser en leur octroyant l’égalité des droits politiques, réclamée par les associations de « suffragettes » depuis l’avant-guerre, notamment L’Union française pour le suffrage des femmes fondée en 1909. La France ne ferait que suivre l’exemple de l’Angleterre, de l’Allemagne ou de la Russie soviétique.

Avant les élections législatives de novembre 1919, il est naturel que ce thème réapparaisse, comme on le voit ici sous la plume du député des Basses-Alpes. Celui-ci défend « le féminisme intégral », sans aucune restriction dans le futur droit de vote féminin, contrairement à d’autres qui voudraient le limiter aux élections municipales. Il balaie un à un les arguments classiques de ses adversaires, « l’infériorité intellectuelle de la femme » ou sa trop grande proximité avec les gens d’église, soupçonnés de l’influencer dans le sens de l’antirépublicanisme. Il comprend que l’argument de ses prétendues qualités intrinsèques, « appréciables pour la direction des affaire publiques », est contre-productif. Surtout, il se livre à une définition magistrale de ce que doit être une vraie démocratie, avec un vrai « suffrage universel », non amputé de « la meilleure moitié du peuple ».

Armelle BONIN-KERDON

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