C’était en juin 1918

C’était en juin 1918

Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Guerre 1914-1918, la Société historique propose chaque mois une chronique correspondant à la même période de l’époque, il y a exactement cent ans.

Elle s’appuie sur les journaux locaux qui offrent la régularité nécessaire d’une source facilement identifiable.

Armelle Bonin y ajoute un commentaire qui permet d’expliciter le contenu des articles reproduits, d’en donner le sens souvent caché ou la vraie version d’une présentation édulcorée. Il permet aussi de les resituer en allant du contexte local au national et parfois même jusqu’à l’international.

Il y a 100 ans…


En ce mois de juin 1918, c’est le tournant de la guerre, mais les contemporains ne savent pas encore de quel côté penchera la victoire. Le moment est décisif car l’Allemagne veut tout faire pour l’emporter avant la montée au front effective des Américains, en bénéficiant des forces qu’elle a pu ramener du front oriental après la défection russe. Nous avons déjà évoqué son offensive Michael en Picardie en mars, elle est suivie depuis le 27 mai par l’opération Blücher sur le Chemin des dames dans l’Aisne : elle vise à empêcher Foch, désormais à la tête des armées alliées, d’envoyer des renforts aux Britanniques sur la Somme (voir la carte de la chronique du mois d’avril). Mais l’opinion publique ignore ces détails à cause de la censure. Les deux journaux arcachonnais doivent se contenter d’allusions à la « situation militaire », chacun avec sa ligne éditoriale : L’Avenir use comme à son habitude de détours humoristiques, tandis que La Vigie reproduit avec sérieux l’esprit des débats du 4 juin à la Chambre des députés, où « l’extrême gauche » socialiste interpelle le président du Conseil Clemenceau sur la conduite de la guerre.
L’Avenir d’Arcachon fait dire à une jeune femme sur la plage : « Ça va mal, oui très mal. » Ce propos est censé se rapporter à la santé de son chat. La suite de la métaphore est plus claire : la « pauvre bête » « s’est battue avec le chat de [la] voisine qui lui a fait une cruelle morsure ». En effet, l’ennemi s’est emparé de Soissons et a atteint les rives de la Marne début juin, menaçant la capitale. La « morsure » du front est profonde de 65 km, sur une longueur de 80 km. Comme l’écrit laconiquement La Vigie d’Arcachon, les heures sont « tragiques ». Un « poilu de Moulleau », sans doute en permission, relève dans un poème que « nous vivons tous éperdus » « dans l’épouvantable tristesse », loin des printemps joyeux d’avant-guerre. Une brève précise que les blessés convergent de nouveau à Arcachon ; la bataille de Compiègne fait rage et provoque des hécatombes. Les « malheureux réfugiés des contrées où l’on se bat » affluent aussi, ainsi que les Parisiens, chassés par la terreur inspirée par les bombardements des « Gothas et des Berthas » (bombardiers et canons géants). Le journaliste de L’Avenir fustige « certaines petites villes de province qui se croient tout permis » et se livrent à « une exploitation cynique des réfugiés » par une inflation démesurée ; il vise naturellement Arcachon, tout comme son maire, qu’il accuse de manque d’hospitalité ; mais on lit dans le journal de ce dernier qu’une commission de réquisition des immeubles vacants vient d’être nommée pour les loger.
Dans un tel climat, le doute et l’angoisse de la défaîte s’installent : la Chambre des députés se fait l’écho le 4 juin d’une « méfiance envers les chefs » de l’armée. Clemenceau précise : « Je dois les frapper s’ils n’ont pas fait leur devoir. » Il demande des enquêtes à leur sujet, afin d’obtenir « toutes les pièces » du « procès », et il prononce des sanctions visant la hiérarchie militaire. Néanmoins, il se refuse à un débat public, dont l’ennemi pourrait prendre connaissance et tirer avantage, et choisit la « sagesse » et la « prudence » « des paroles mesurées », en attendant un retournement des armes, qui se produit d’ailleurs le 11 juin avec la contre-offensive du général Mangin. Pour l’heure, il use de son art oratoire pour maintenir l’« état d’âme » du pays à « l’avant » comme à « l’arrière » ; et il prend à témoin les députés du courage de « nos grands soldats », qui impose la discipline commune de l’Union sacrée derrière les « bons chefs » de l’armée « injustement attaqués ».
Il obtient le vote de confiance de la Chambre, ainsi que le soutien des organes de presse, comme on le constate ici. L’Avenir d’Arcachon condamne les « propos pesssimistes » et « les propos pacifistes », et met en scène à travers le poème du poilu l’« espérance de nous voir bientôt triompher » puisqu’il « nous faut rêver » « à la victoire de la France ». La Vigie d’Arcachon se fait l’écho d’un « concert-causerie » patriotique tenu le 5 juin au théâtre municipal, et agrémenté lui aussi de poésies et de chansons entraînantes, avec le concours des enfants des écoles. Il est organisé par la Ligue française « pour la défense des intérêts vitaux de la France et de ses colonies », créée en juillet 1914, notamment à l’initiative de l’historien Ernest Lavisse. Elle comprend près de 30 000 adhérents en mai 1918 et organise des « conférences de propagande » à travers tout le pays pour rendre « hommage à Clemenceau » et appuyer son action. À Arcachon, l’efficacité de l’orateur, l’écrivain et dramaturge Paul Bilhaud, est apparemment remarquable puisque le journal souligne l’« enthousiasme unanime » de l’assistance, qui lui fait une « magnifique ovation ». Il est vrai qu’il utilise la corde sentimentale de l’émotion d’un « cœur débordant d’amour » de la patrie, ainsi que la force positive de son charme et de son sourire.
À la sortie, un spectateur rapporte même son éloquence en termes religieux, parlant d’un « apôtre » de la cause nationale, défendant un « Credo patriotique ». Il est vrai que croire « dans la victoire finale de la France » relève alors plus d’une « foi absolue » que d’une logique raisonnable. Pourtant, ce pourrait être le cas puisque, en cette mi-juin 1918 même, les premières divisions américaines participent aux combats aux côtés des forces franco-britanniques, contribuant à renverser progressivement l’équilibre des forces en leur faveur. C’est aussi ce que suggère Bilhaud par le détour de ses propos légers sur « L’humour américain et l’esprit français », titre de sa causerie-conférence, et par les compliments dont il gratifie nos alliés d’outre-atlantique. Nul doute que les Arcachonnais, voisins de l’école de tir aérien de Cazaux et du camp du Courneau, où les Américains sont installés depuis le début de l’année, y furent particulièrement sensibles.

Armelle BONIN-KERDON

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