C’était en août 1914

C’était en août 1914

 

Cette fois, c’est la guerre pour de bon : « Chacun de nous doit bien se pénétrer de la gravité de l’heure », écrit le journaliste de La Vigie républicaine d’Arcachon le 16 août 1914. D’épée de Damoclès (voir l’article intitulé « Pour nos blessés »), elle est devenue réalité le 3 août, ce qui explique d’ailleurs que le journal du 2 août n’y ait fait qu’une très légère allusion (« circonstances très graves que traverse la France »). Pour le journal du 16, la « conflagration européenne […] vient enfin de se produire » : on voit bien qu’après avoir préparé les esprits à la guerre pendant de longs mois (cf. les chroniques précédentes), il n’hésite pas à se réjouir du déclenchement du conflit, participant ainsi à la propagande nationaliste visant à entretenir le moral de la population. D’autres détails sont encore plus nets : l’expression « quarante-quatre ans d’esclavage » désigne la période allemande de l’Alsace-Lorraine depuis 1870, pour inciter à la « libération » de cette dernière, l’expression « l’insolence de la soldatesque germanique » qu’on doit « réfréner violemment », nourrit la haine de l’ennemi. D’une manière générale, ce qui ressort de ces articles issus de deux éditions différentes de La Vigie républicaine d’Arcachon, c’est la notion de devoir à accomplir, tant pour le soldat arcachonnais sur le front, que pour « le citoyen qui demeure » à l’arrière.

Le soldat marche dans les traces de son ancêtre de la Révolution française, le soldat de l’an II, comme le suggère l’allusion à La Marseillaise dans l’article intitulé « En avant ! », du 9 août. Les procédés de répétition rhétorique en mode impératif : « marche », « pars », « va vaincre », même « au prix de ta vie », martèlent le message, non seulement auprès des futurs Poilus auxquels il est censé s’adresser, mais surtout auprès de leur famille, lectrice du journal. Il s’agit de mettre en place une geste héroïque tendue vers la Victoire : la « marche triomphale » y mène, ou bien mène à la mort, suprême « honneur » que fait la patrie à celui qu’elle « préfère à tous les autres », en le voulant « tout entier pour elle ». L’héroïsation épique et glorieuse a incontestablement une vertu d’entraînement, comme on le voit dans le récit du départ sur le quai de la gare des soldats d’Arcachon (« les gars de chez nous ») en train de se dérouler (du 6 au 11 août pour les corps d’active). On y retrouve ce qui est souvent décrit au niveau national comme un élan général d’enthousiasme « la fleur au fusil »: « sourires », « chants », « applaudissements ».

Néanmoins, les historiens ont bien montré qu’il faut tempérer cet élan par un sentiment général de résignation. Ici, le journal a l’honnêteté de préciser que, derrière l’apparence (le « paraître »), « l’angoisse se glisse au fond de toutes les âmes », les yeux sont « humides », les larmes « on les cache », par pudeur. Comme le précise l’article « Pour nos blessés », « le sang coule » « à l’heure actuelle », et « nos braves enfants sont tous les jours sacrifiés dans les plaines d’Alsace-Lorraine » (voir en accompagnement de cette lettre électronique sur notre site Internet, le tableau des morts du Bassin en août 1914). En effet, il s’agit de la bataille dite « des frontières », pour reconquérir l’Alsace-Lorraine, lors de la première phase de la guerre de mouvement. Les soldats girondins du 18e Corps d’armée sont en Lorraine depuis le 11 août, en réserve de la 2e Armée, sur l’aile gauche de cette dernière, à l’ouest de Nancy.

À l’arrière, « sur ce sol qui n’est point menacé par les hordes barbares », comme le dit La Vigie républicaine en parlant du Bassin, particulièrement loin du front en effet, le devoir est de s’occuper des blessés. Pour ce faire, Arcachon et son Bassin apparaissent dès ce début de guerre comme spécialement « indiqués », d’après l’article du journal. Comme de coutume, on met en avant ses qualités climatiques (« bleu de notre ciel », « grands pins protecteurs », « brise marine »). On insiste aussi sur le calme et le silence de l’environnement, qui s’opposent à la fureur des combats, d’où l’emploi de l’oxymore « douce énergie ». C’est pourquoi, on n’hésite pas à employer l’expression «  immense hôpital militaire » pour qualifier la ville dans le futur. La vocation thérapeutique d’Arcachon et de ses environs est ainsi amplifiée en temps de guerre.

Sur le plan pratique, nous avions déjà appris dans la chronique de mai dernier la création du premier hôpital auxiliaire boulevard de l’Océan dépendant de la Croix-Rouge. Nous voyons ici que, dès le début de la guerre, il est doublé d’un second, à la clinique Saint-Vincent-de-Paul, – à l’emplacement actuel de la Maison des associations – encore plus important que le premier. La Croix- Rouge organise aussi dès le 17 août un ouvroir au Casino de la plage, qui devient hôpital complémentaire n° 52 à la fin de l’année 1914. Les hôpitaux complémentaires ne dépendent pas de la Croix-Rouge, mais directement des autorités militaires. Nous constatons à la fin de l’article qu’il en existe déjà deux, boulevard Deganne, à Arcachon, à la date du 16 août : le n°28, installé dans les locaux du collège Saint-Elme dès le 2 août, et le n° 29, installé dans l’Asile hospitalier Saint-Dominique dès le 4 août. La mobilisation générale s’était donc accompagnée de celle des « soldats de l’amour et de la pitié ».

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