C’était en avril 1914

C’était en avril 1914

 

Nous vous proposons cette fois-ci des extraits de La Vigie républicaine d’Arcachon issus de deux numéros différents, correspondant aux deux tours des élections législatives de 1914. Ils nous permettent d’appréhender la vie politique locale, celle de la cinquième circonscription de Bordeaux (cantons d’Arcachon, de La Teste, de Belin, de La Brède, et de Podensac). Le danger de guerre ici est en arrière-plan et n’apparaît qu’à travers le soutien porté par le candidat élu – René Cazauvieilh – à la loi des trois ans, ce qui est une première indication sur ses orientations politiques. En effet, cela en fait un adversaire déclaré des socialistes unifiés (SFIO – Section Française de l’Internationale Ouvrière, créée par Jean Jaurès en 1905, hostile à la loi d’allongement de la durée du service militaire).

C’est d’ailleurs ce que l’on constate d’emblée en regardant les résultats de ces élections, où René Cazauvieilh est élu haut la main (« beau résultat », 70,9% des votants) contre Monsieur Massip, socialiste qualifié de « représentant du collectivisme ». Le journal, organe du maire d’Arcachon, M. Veyrier-Montagnères, qui soutient René Cazauvieilh, multiplie bien sûr les tournures péjoratives contre la SFIO, qui à l’époque (le PC n’existe évidemment pas) est la seule à prôner le socialisme : le « collectivisme » est tantôt comparé à « une terre promise » inaccessible (vocabulaire religieux étrange pour qui a défendu les lois de laïcité de 1905 comme on le voit dans la profession de foi du candidat) tantôt à « une tarte à la crème » à laquelle il ne faut pas goûter !

Pour autant, si M. Cazauvieilh est adversaire du socialisme, que faut-il entendre par l’ « union républicaine » qu’il défend, nous dit-il, depuis 16 ans (1898), il est en effet réélu pour un cinquième mandat en 1914 ? Incontestablement, c’est d’abord un partisan de l’ordre (« les hommes d’ordre » dit le journal en évoquant les soutiens du maire de La Teste Pierre Dignac), par opposition au « parti du chambardement social » (SFIO). Néanmoins, il ne peut pas être rangé dans les partis de droite, cléricaux et conservateurs. Avec Monsieur Veyrier-Montagnères, il fait partie comme on le lit ici de l’Association Républicaine d’Arcachon (500 membres en 1913) affiliée à l’Alliance Républicaine Démocratique sur le plan national, c’est-à-dire ce qu’on appelle sur le tableau des partis à la nouvelle chambre des députés figurant en milieu de la page, les « républicains de gauche ». Sur le plan national, on voit que ces derniers ne représentent que la troisième force politique, c’est donc la gauche radicale-socialiste et socialiste qui domine en 1914. Les républicains dits « de gauche » par opposition aux « progressistes » sur leur droite, et aux républicains « radicaux » sur leur gauche, peuvent être considérés comme des centristes. En Aquitaine, le centre domine nettement, dans une culture politique du juste milieu, entre « réaction » et « révolution ». René Cazauvieilh, médecin populaire et influent, dont l’oncle Octave était déjà député, maire de Belin comme son père et ce pendant 44 ans, conseiller général pendant 43 ans, est issu d’une famille de notables locaux appartenant à la noblesse de robe depuis le XVIIe siècle. Il en est un des symboles forts, ancré dans son bastion local, le type même de l’héritier devenu membre des nouvelles élites républicaines de la 3e République, une « notabilité démocratique » comme le dit l’historien politiste Éric Bonhomme, reflet d’une modération politique qui rassure et séduit.

Cela ne l’empêche pas, comme on le constate dans sa profession de foi, d’être favorable à des lois qu’on peut qualifier « de gauche ». Il évoque la réforme fiscale « dont la réalisation s’impose » notamment pour financer la préparation à la guerre (l’impôt sur le revenu sur proposition du radical Joseph Caillaux en 1907, voté par la Chambre en 1909, ne sera voté par le Sénat qu’en juillet 1914). Il évoque aussi les premières lois sociales d’ « assistance » et de « solidarité » : on peut citer la création en 1904 d’un service départemental d’aide sociale à l’enfance, la création en 1905 d’une assistance aux vieillards infirmes et incurables, la création en 1910 d’une première assurance-vieillesse.

Mais c’est surtout sur la défense des intérêts locaux qu’il insiste pour se faire élire. Rappelant qu’il habite la « région landaise » au sens géographique du terme, et effectivement il a des intérêts forestiers, y compris dans une usine de produits résineux, il développe surtout la cause des viticulteurs, concurrencés par les autres régions (ils sont encore nombreux alors, même en Pays de Buch !) et des ostréiculteurs et marins, menacés par de nouveaux règlements. Cela traduit bien le poids majeur de ces métiers dans l’économie et la société de l’époque.

Un dernier point est intéressant dans la description du scrutin du 26 avril, c’est la façon dont on voit que s’organisait la démocratie locale dans cette république en train de s’implanter dans tous les territoires. A l’heure où le seul medium d’information était la presse, on observe l’importance des réunions publiques comme vecteurs de diffusion des idées politiques auprès de l’opinion. L’article raconte ainsi la dernière réunion de campagne la veille du scrutin – ce qui était apparemment autorisé à l’époque – où se succèdent à la tribune les partisans des deux candidats en présence, qui essayent de monopoliser la parole pour leur camp. L’éloquence est déjà indéniablement un facteur décisif, même si on ne parle pas encore de « communication », et comme aujourd’hui on « n’épargne pas » ses adversaires, c’est le journal qui l’affirme. L’avant-dernier paragraphe de la profession de foi de René Cazauvieilh résonne aussi très bien à nos oreilles, si l’on peut dire, puisqu’il s’agit de « réformer les habitudes prises et les méthodes employées », de « séparer nettement la Finance de la politique » ! Tout un programme…

Armelle BONIN-KERDON

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