C’était en avril 1915
La chronique de ce mois-ci est entièrement tirée de la une de l’édition de La Vigie républicaine d’Arcachon du 18 avril 1915. Abordant un thème déjà esquissé en octobre 1914/2014, le Paquetage du soldat, elle permet de le développer à travers la participation des enfants, « les fillettes d’ici », à l’effort de guerre. En même temps, l’article aborde un aspect difficile à appréhender dans les sources, celui de l’intime et du vécu familial, ce qui en fait aussi son intérêt. Néanmoins, n’oublions pas que la presse est avant tout un outil de représentation et de propagande, reflétant ici la construction de la culture de guerre à destination des enfants via leurs parents.
Nous sommes à présent au printemps 1915, il s’agit non plus d’inciter à la fabrication de « bonnes vêtures chaudes », de « chaudes pièces » à l’entrée de l’hiver, mais de remercier les « écolières et jeunes filles » pour tous les nombreux « précieux ouvrages » qu’elles ont confectionnés. L’auteur n’hésite pas à grossir le trait en prétendant que grâce à elles, les papas ont pu revenir « sains et saufs » (évitant les « mauvaises bronchites » et même peut-être la mort !), et en insistant sur les souffrances physiques des soldats dans les tranchées dues aux mauvaises conditions météorologiques (voir notre chronique de février 2015). L’auteur cite tous les noms des élèves (non reproduits ici dans leur totalité) ainsi que le détail des objets confectionnés, pour donner plus de poids à son propos et valoriser l’action de Madame Veyrier-Montagnères, présidente du conseil des dames de la Croix-Rouge locale, responsable de l’œuvre du paquetage, et épouse du maire, soutenu par le journal.
La première chose que l’on constate dans le texte est l’utilisation de l’enfant à des fins de galvanisation patriotique : les soldats se battent pour « défendre » leurs enfants, « avec leur pays bien aimé », les deux objectifs étant étroitement liés. Mais, surtout, l’article fait de ces derniers des acteurs à part entière de la mobilisation générale des énergies, « œuvre immense » à laquelle « tout le monde s’emploie ». On retrouve ici la solidarité de l’arrière et du front, pourtant si lointain sous « la dangereuse rafale » où les hommes livrent une « terrible campagne ». Les fillettes sont assimilées à des « modestes ouvrières de la défense nationale » par analogie avec les femmes au travail dans les usines de guerre (« munitionnettes »), mais aussi aux soldats eux-mêmes, « leurs armes de combat » saisies « bravement » sont « le crochet ou l’aiguille », qui plongent « dans de la bonne laine bien chaude », substitut au corps de l’ennemi vivant. L’image est osée, et montre qu’on n’hésitait pas à associer les enfants à la violence de guerre et à la haine de l’ennemi, même si le journal se défend de vouloir effrayer les jeunes lecteurs.
En général, ce sont plutôt les garçons qui sont dans ce cas mis en scène, dans les jeux guerriers par exemple, ou à travers les exercices de gymnastique, préparation au futur combat et au « viril courage » dont font preuve leurs aînés. Les rôles sociaux sont bien cloisonnés. Ici, les filles sont bien les seules à effectuer des travaux d’aiguille, et elles sont présentées avec des attributs de genre bien marqués : leur « ardeur » est qualifiée de « tenace » mais aussi de « gentille », leur « vaillance » de « gracieuse », leurs « petits cœurs » sont « tout émus » en songeant à leur père ou à leur frère. L’émotion, bien qu’elle soit censée gagner les papas pensant à leurs filles, est un registre associé au féminin dans le texte : la maman essaie pourtant de la cacher comme il se doit (soupir « presqu’imperceptible », « sanglot étouffé »). Elle permet, à travers les allusions pudiques de l’auteur, d’appréhender la réalité des souffrances intimes de l’arrière, la souffrance morale que constituent la « perpétuelle attente » et la peur de la mort de l’être aimé. C’est un témoignage précieux, trop peu souvent mis en avant.
Outre l’importance du cadre familial, le texte souligne le rôle de l’école de la République dans la mobilisation des enfants dans l’effort de guerre, à travers le rôle incitatif et organisationnel des enseignants («dévouées maîtresses», dont la « sagacité » a su « coordonner » « tant de bonnes volontés »). La mobilisation peut se faire comme ici à travers des travaux manuels dévolus aux « menus doigts agiles » des filles, mais aussi par tout ce qui stimule les « intelligences déjà si éveillées ». En effet, pendant la guerre, tout l’enseignement est teinté de propagande patriotique voire nationaliste, et chaque matière doit y contribuer, pas seulement l’histoire et la géographie. Exercices, livres scolaires, décoration des salles de classe, tout doit concourir à la mobilisation des esprits. Au-delà de la scolarité obligatoire (13 ans), symbolisée ici par les écoles primaires Victor Duruy à l’Aiguillon et Jeanne d’Arc au centre-ville, nous constatons dans l’article que l’effort se poursuit chez ceux qu’on n’appelle pas encore les adolescents : les cours dits « complémentaires » (l’un d’entre eux est installé dans l’école maternelle Engrémy, angle rue Molière et cours Héricart de Thury) font suite à l’école primaire pendant deux puis trois ans.
Le texte cite aussi les élèves de l’œuvre post-scolaire municipale. Les municipalités financent souvent les cours de l’éducation populaire et laïque, qui se développa beaucoup à partir de 1894-1895 par la volonté de solidarité sociale de la Ligue de l’enseignement. À Arcachon, d’après L’Avenir d’Arcachon, cette œuvre fonctionne depuis octobre 1913, installée pour les filles dans les écoles Victor Duruy et surtout Engrémy (grâce au legs Engrémy). Il n’est pas étonnant que Mademoiselle Puech professeur soit citée dans le texte, puisqu’elle y assurait les cours de coupe de vêtements le dimanche matin. Enfin, sont citées « les jeunes filles en traitement au sanatorium du Moulleau ». Il s’agit du sanatorium Armaingaud créé en 1888, grâce à une autre partie du legs Engrémy (47 000 F) pour soigner et éduquer les enfants pauvres scrofuleux, rachitiques ou tuberculeux.
Armelle BONIN-KERDON