C’était en mai 1914

C’était en mai 1914

 

L’article choisi pour ce mois-ci révèle un autre type de préparation à la guerre, plus concret, la mise en place de structures sanitaires pour accueillir les « blessés militaires » dans un éventuel conflit. C’est ce vocable rencontré dans le texte que le principal ancêtre de la Croix-Rouge française utilise en 1914 pour se nommer : « Société Française de Secours aux Blessés Militaires » (SFSBM). L’expression « Croix-Rouge française » désigne alors un comité de coordination créé en 1907, qui réunit la SFSBM et deux autres organisations-sœurs, l’Association des dames françaises (créée en1879), et l’Union des femmes de France (en1881). La fusion des trois organismes ne se fera qu’en 1940. La SFSBM est incontestablement le plus important des trois : elle possède déjà un maillage territorial fin (environ 900 comités locaux), comme on le voit ici à travers « le comité d’Arcachon et du littoral », nom conservé aujourd’hui par la délégation locale.

C’est son président, Léopold Escarraguel, un ingénieur civil, qui écrit ici au journal pour que celui-ci diffuse des informations. Ce dernier s’empresse de le faire : favorable au maire M. Veyrier-Montagnères, comme on l’a déjà montré dans une précédente chronique, il est aussi un bon médiateur pour son épouse Mathilde qui préside le Conseil des dames de la Croix -rouge locale et mène une forte activité caritative jusqu’à sa mort en 1925 (les comités de dames en interne existaient depuis 1867, soit trois ans après la création de la SFSBM).

La première partie de l’article évoque d’ailleurs le cinquantième anniversaire de cette création en 1864, qui doit se fêter à Paris le 20 juin 1914. M. Escarraguel transmets une lettre circulaire nationale invitant les affiliés à s’y rendre, et y joint sa propre incitation auprès des membres arcachonnais au sens large, afin qu’ils représentent dignement l’antenne locale. Un argument pour les y encourager est de leur offrir un demi-tarif sur les allers-retours en chemin de fer, ce qui n’est pas nouveau pour la Croix-Rouge, car des accords existent systématiquement pour des actions pratiques, entre elle et les grandes compagnies de chemin de fer de l’époque, qui pratiquent ainsi un mécénat patriotique. Ce qui est intéressant aussi, c’est la façon dont les festivités sont envisagées, en prenant bien soin de séparer le religieux, le matin autour de l’archevêque de Paris à Notre-Dame, du profane le soir dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, qui réunit les mondes politique, intellectuel et artistique. Les lois de laïcité de 1905 sont passées par là. M. Escarraguel demande donc aux élites locales – qui seules ont à l’époque le temps de se consacrer aux œuvres caritatives – de bien vouloir s’inscrire auprès de lui pour participer à ce grand rendez-vous des élites nationales. La bienfaisance, version laïcisée de la charité chrétienne, est aussi une des expressions des réseaux de sociabilité, qu’elle contribue à renforcer.

Le plus intéressant pour nous, car c’est au cœur de notre sujet, c’est l’organisation, avant-même la déclaration de guerre du mois d’août, d’un hôpital « auxiliaire » à Arcachon. Près de 1 500 hôpitaux de ce type seront mis en place en France au cours du conflit. Le terme « auxiliaire » est réservé aux établissements sanitaires relevant de la Croix-Rouge, par opposition aux autres hôpitaux temporaires du temps de guerre. Il date du décret du 2 mars 1878 du Ministère de la guerre instituant la SFSBM comme « auxiliaire » du service de santé de l’armée en prévision d’un conflit. En vertu de ce décret, la SFSBM devait former des équipes soignantes, constituer des stocks de matériel, et trouver des locaux pour installer des hôpitaux. Il s’agissait de corriger les défauts observés pendant la guerre de 1870.

C’est dans ce cadre qu’est donc créé « l’hôpital auxiliaire du territoire » n°16 dans les locaux de la clinique orthopédique 7 boulevard de l’Océan. Les HT ou hôpitaux territoriaux sont les hôpitaux de l’arrière, par opposition à ceux de la zone des combats. La clinique orthopédique est en fait l’ancienne clinique Saint-Joseph, sise dans l’ancienne villa du cardinal Donnet, et tenue par les religieuses du même nom, qui d’enseignantes sont devenues uniquement soignantes, ce qui a permis leur maintien à Arcachon après la séparation de l’Église et de l’État et la laïcisation de l’enseignement. Leur activité hospitalière a été en quelque sorte sécularisée par l’installation dans leurs locaux de l’œuvre municipale « des garde-malades et d’assistance gratuite aux malades pauvres d’Arcachon », dirigée en 1910 par Mme Veyrier-Montagnères, dans la droite ligne des premières lois sociales décrites dans la chronique précédente. On voit que l’état républicain utilise les anciennes structures caritatives, faute de moyens suffisants dans un premier temps pour mettre en œuvre sa politique. On peut transposer ce raisonnement au début de la guerre en ce qui concerne le service de santé des armées. Débordé par les pertes énormes du début du conflit, ce dernier sera content de pouvoir compter sur les structures bénévoles du type de celles de la Croix-Rouge, qui avaient parfois su anticiper les besoins, même modestement, comme on le voit ici à travers l’hôpital n°16.

Armelle BONIN-KERDON

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