C’était en octobre 1914

C’était en octobre 1914

La chronique de ce mois d’octobre 1914/2014 aborde un sujet très concret, l’une des « œuvres de guerre » d’aide aux combattants, le « Paquetage du Soldat », c’est-à-dire les vêtements complémentaires envoyés en surplus de l’habillement règlementaire fourni en principe par l’armée. Outre l’intérêt habituel d’évoquer la participation locale à un phénomène national, ce thème est un biais qui permet d’aborder plus généralement la solidarité entre le front et l’arrière, ainsi que l’impréparation des autorités à une guerre de position dans les tranchées. En effet, la guerre devait être courte et donc terminée avant l’hiver. L’armée n’avait donc pas prévu d’équiper les soldats contre le froid : on le constate bien en lisant la colonne de gauche (article du 4 octobre 1914), puisque les soldats sont invités à apporter eux-mêmes leurs propres vêtements chauds, qu’ils se font rembourser ensuite. Les familles sont aussi encouragées à en envoyer dans des colis, qui bénéficient d’un envoi prioritaire, ce qui en dit long sur l’urgence de pallier les manques, au moment où l’automne amène les premiers frimas. En cet automne 1914, les uniformes garance sont en train d’être remplacés par les bleu horizon : on est dans un entre-deux, pendant lequel les soldats n’hésitent pas à arborer des tenues non réglementaires, notamment des pantalons de velours confortables. Les lainages s’ajoutent à cet ensemble bigarré.

L’urgence se perçoit bien aussi dans la volonté d’organiser la collecte de ces lainages de façon « collective » (article « Du linge pour nos soldats ! ») pour épargner aux soldats les « privations inutiles » et les « maladies graves », pour « adoucir » leur sort « si dur », pour leur « assurer l’indispensable avant l’arrivée du froid » (article Croix-Rouge). Ces derniers « vont avoir sur le champ de bataille à subir les rigueurs de l’hiver ». Le journal, relayant une directive de l’armée, s’appuie sur le fait que toutes les familles sont concernées par la guerre, pour en appeler au patriotisme de l’arrière, en écho au patriotisme de l’avant : l’œuvre « ainsi accomplie » sera « pour la France un inappréciable bienfait ».

Il s’agit de faire jouer la solidarité nationale, et d’abord la solidarité entre les genres. L’un des articles du 11 octobre s’adresse « aux vraies Françaises », dont on flatte « les doigts de fée » qui font « des merveilles ». Il est vrai qu’à l’époque il aurait été impensable d’imaginer demander à un père ou un grand-père de s’occuper du linge dans une famille. Aussi est-ce logique de mobiliser les femmes sur ce front domestique, alors leur sphère de prédilection. C’est l’un des éléments de ce qu’on appelle l’effort de guerre féminin, mis en exergue par des cartes postales telles que celles figurant ici. Comme nous le constatons dans le dernier entrefilet, les petites filles sont également mobilisées dans le cadre de leurs écoles, à l’imitation de leurs mères. Toutefois, il est à noter, en novembre 1914, la création à l’hôpital Saint-Elme de « l’École du tricot », où les soldats blessés apprennent à tricoter sous l’égide des infirmières : il est vrai que, là, c’est la fraternité des combattants qui joue, ainsi que le besoin de distraction.

La deuxième solidarité est la solidarité sociale entre riches et pauvres. L’appel « Du linge pour nos soldats ! » est en fait un appel aux « privilégiées de la fortune et de l’éducation », dont les « ressources matérielles et morales » peuvent être mobilisées, celles de « l’argent » et celles « du cœur ». On retrouve ici la tradition caritative et moralisatrice des élites sociales, déjà évoquée à propos de la Croix-Rouge et de la création de l’hôpital n°16 au 7 boulevard de l’Océan, dans la chronique de mai dernier. L’État, dont les moyens sont insuffisants, est toujours bien content de pouvoir compter sur la bienfaisance privée. C’est d’ailleurs à la Croix-Rouge qu’il demande ici aussi d’organiser la collecte et la fabrication des colis du « Paquetage du Soldat ». À Arcachon, elle fait d’abord œuvre sociale avant que nationale, en commençant par envoyer des colis aux poilus de « familles nécessiteuses », comme on le constate en bas de la troisième colonne.

Les modalités de confection des paquets sont détaillées avec précision : les dons peuvent être faits soit en argent – la Croix-Rouge achète alors le contenu des colis (10 francs* par colis) –, soit en nature – le colis déjà constitué, ou des éléments épars. On peut même faire le don de son travail, en rejoignant l’atelier de la villa du Bon Lafontaine, encore siège actuel de la Croix-Rouge arcachonnaise, rue du Casino, actuellement rue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny. Le colis doit répondre à un contenu bien précis, que l’on découvre dans l’article Croix-Rouge. Contrairement à ce qu’il est demandé aux soldats d’apporter eux-mêmes (chandail, paire de gants) et hormis le gilet, il s’agit en fait de sous-vêtements, accompagnés de serviettes de toilette et de savon. Le but est de pouvoir changer de linge de corps et d’améliorer l’hygiène de soldats dont nous savons par ailleurs qu’ils ne pouvaient se laver que rarement. La plupart des éléments du trousseau sont en flanelle, étoffe douce, souple et légère, de laine peignée ou cardée, à tissage assez lâche, très douillette à porter et capable de garder la chaleur. Il est à noter que les pièces devaient répondre à des critères de taille : par exemple les chaussettes devaient avoir une longueur de pied de 38 cm à 40 cm. Outre les colis, un article du mois de novembre précise que des ballots ont également été envoyés avec en vrac des vêtements tricotés, vraisemblablement par l’atelier, pour des soldats dépourvus des apports de leurs familles : chandails voisinent avec cache-nez (écharpes) et passe-montagne. Les cache-nez devaient avoir 30 à 35 cm de large sur 1,65 m à 1,70 m de long. Le tout devait avoir la couleur la moins voyante possible dans un souci de camouflage. Le souci règlementaire était donc poussé très loin ! C’est l’armée qui répartissait ensuite sur le front les différents envois.

En tout état de cause, la campagne du paquetage semble avoir été fructueuse à Arcachon, comme on le voit sur la colonne de droite. Pour inciter aux dons, le journal publie d’ailleurs cinq listes de donateurs jusqu’au numéro du 20 décembre 1914.

Armelle BONIN-KERDON

*soit deux fois environ le salaire journalier d’un ouvrier

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